Depuis 2010, des milliers de milliards de paiements vers des paradis fiscaux qui n’ont pas inquiété grand-monde, jusqu’à ce que la Cour des comptes décide de mener son enquête.

CHAPITRE V

V-1 Plus c’est gros, plus ça passe

Le Ministre des Finances est aussi Vice-Premier Ministre et est notamment chargé de la Coordination de la lutte contre la fraude.
C’était le 24 février 2021. Ce jour-là,  la Cour des comptes, après avoir décidé à son initiative d’enquêter sur les paiements des entreprises belges vers des paradis fiscaux informe officiellement le Ministre des Finances, le Président du Comité de Direction du SPF Finances, l’Administrateur Général de la fiscalité (AGFisc ) et l’Administrateur Général de l’ Administration générale de l’Inspection Spéciale des Impôts (Agisi). Les dénominations de ces hautes fonctions de responsabilité sont carrément rébarbatives, mais il est important de les citer pour souligner que toutes les filières hiérarchiques de l’Administration sont saisies à cette date-là par la Cour des comptes du démarrage de son audit. Il n’est pas non plus inutile de rappeler que le Ministre des Finances est aussi Vice-Premier Ministre et qu’il est notamment chargé de la Coordination de la lutte contre la fraude.

Chaque année, les chiffres communiqués par le Ministère des finances ne cessent d’augmenter très fortement.
Il faut dire que la Cour des comptes, qui mènera son audit de mars 2021 à décembre 2021, avait quelques raisons de se préoccuper de cette question des paiements d’entreprises belges vers des paradis fiscaux. Chaque année, les chiffres communiqués par le Ministère des finances ne cessent d’augmenter très fortement et d’interpeller par leur ampleur phénoménale décrite dans les tableaux précédents.

Étrange absence de curiosité des médias mainstream.
Ces centaines de milliards n’avaient cependant pas interpellé le Parlement Fédéral au point de le conduire à mandater la Cour des comptes afin qu’elle se penche sur la question. Pourtant, l’obligation légale faite aux entreprises belges de déclarer ces paiements vers des paradis fiscaux ne datait pas d’hier puisque c’est le 01 janvier 2010 que la loi  était entrée en vigueur : plus de 11 années et de 7 gouvernements successifs[1] durant lesquelles le citoyen lambda devra se contenter de peu, de très peu d’informations (voire de pas d’informations du tout de 2010 à 2014, années de paiements), sinon de ces chiffres ébouriffants (à partir de 2015, année de paiements) dont l’énormité n’a d’égale que :

L’opacité unanimement et continument maintenue par les Ministres des Finances successifs et l’Administration dont ils ont la tutelle.
• l’étrange absence de curiosité des médias mainstream
• l’opacité unanimement et continument maintenue par les Ministres des Finances successifs et l’Administration dont ils ont la tutelle
• ainsi que les quelques commentaires insensés que les « personnes autorisées » avaient consenti à distiller avec extrême parcimonie.

 

V-2 L’intérêt social, l’importance budgétaire, la présence de certains risques et les plus-values attendues sont à l’origine de l’auto-saisine de la Cour des Comptes.  

Pourquoi a-t-il fallu attendre l’irruption de la Cour des comptes sur un sujet aussi déterminant ?
Autant de facteurs essentiels qui pendant 12 années n’ont pourtant pas conduit le Parlement Fédéral à agir concrètement et à saisir lui-même la Cour des comptes, comme il en a le droit. Mais d’autres institutions, d’autres personnes exerçant des fonctions de responsabilité (Premier Ministre, Présidents de Chambres, Ministre des Finances, Procureurs du Roi) n’ont-elles pas aussi la possibilité , comme en d’autres pays, de la saisir ?

Pourquoi a-t-il fallu attendre l’irruption de la Cour des comptes sur un sujet aussi déterminant en matière de finances publiques, de consentement à l’impôt, d’investissements publics stratégiques ?

La Cour des comptes n’avait pas manqué de rappeler que :

– Premièrement, même un très faible pourcentage de transactions frauduleuses pourrait avoir un impact considérable sur le budget, compte tenu de l’ordre de grandeur des montants déclarés.

– Deuxièmement, l’autorité dispose actuellement de peu d’informations, voire aucune, sur les paiements non déclarés et leur importance

Christian Savestre

Table des matières

Chapitre I – Après l’avoir abusée, le Ministre des Finances et son Administration fiscale finissent par lâcher – piteusement – la vérité à la Cour des comptes.
Chapitre II – La Cour des comptes avait pourtant interrogé les autorités responsables, mais avait été contrainte de déclarer qu’elle n’avait pas reçu d’explications satisfaisantes.
Chapitre III – Une véritable embrouille d’Etat, au long cours, sur les chiffres
Chapitre IV – Une loi pour faire semblant, appliquée en faisant semblant.
Chapitre V – Depuis 2010, des milliers de milliards de paiements vers des paradis fiscaux qui n’ont pas inquiété grand-monde, jusqu’à ce que la Cour des comptes décide de mener son enquête.
Chapitre VI – Un inexplicable désintérêt des parlementaires
Chapitre VII – Opacité et art de l’esquive comme mode de gouvernance.
Chapitre VIII – Les Emirats Arabes Unis, « Le stade Dubaï du capitalisme »
Chapitre IX – Une future étude scientifique
Chapitre X – Pas de risque de fraude des particuliers effectuant des paiements dans des paradis fiscaux, déclare le Ministre des Finances.
Chapitre XI – Un énorme scandale maintenu sous cloche
Chapitre XII – Trois  auditions, trois occasions de savoir, trois constats d’échec
Chapitre XIII – Les constats d’échec en détails

ANNEXES

Annexe I – Méthodologie
Annexe II – Quelques points de repère chronologiques
Annexe III – Audition des Représentants de l’Inspection Spéciale des Impôts du 26 novembre 2022
Annexe IV – Audition du Ministre des Finances du 09 novembre 2022
Annexe V – Tableau de calcul du passage des chiffres officiels aux chiffres officiels corrigés sur base du cash pooling prétendument inclus dans ces chiffres officiels

[1] Yves Leterme II du 25 novembre 2009  au 6 décembre 2011. Elio Di Rupo 06 décembre 2011 au 11 octobre 2014. Charles Michel I, au 11 octobre 2020 au 09 décembre 2018. Charles Michel II du 09 décembre 2018 au 27 octobre 2019.  Sophie Wilmès I du 27 octobre 2019 au 17 mars 2020. Sophie Wilmèes II  du 17 mars 2020 au 01 octobre 2020.  Alexander De Croo depuis le 01 octobre 2019.