Une loi pour faire semblant, appliquée en faisant semblant.

CHAPITRE IV

Des lois appliquées en faisant semblant, cela existe. Des lois conçues pour faire semblant, c’est encore autre chose. Et pourtant !

Suite à l’introduction de l’obligation de déclaration, la Belgique a été retirée de la liste grise des paradis fiscaux en septembre 2009.
Que nous dit Mr Patrick Seré, Conseiller Général, CAF, SPF Finances lors de son audition[1] du 26 octobre 2022 ? Il nous apprend ce que l’on s’attendait à entendre de Mr Jean-François Vandermeulen, Administrateur général, AGISI, SPF Finances, le seul à s’être exprimé au cours des exposés introductifs[2]. Approfondissant l’historique de l’obligation de déclaration des paiements des entreprises belges vers les paradis fiscaux, il rappelle que la loi, promulguée le 23 décembre 2009 « a été prise en réaction au fait que la Belgique a été reprise en avril 2009 sur la liste grise des paradis fiscaux de l’OCDE, ce qui a entraîné un recul immédiat du classement de la Belgique. Le ministre des Finances de l’époque a alors pris trois mesures pour retirer le plus vite possible la Belgique de la liste grise: la signature d’un certain nombre de TIEA (Tax Information Exchange Agreements) avec une série de paradis fiscaux, l’introduction d’un échange automatique de données à partir du 1er janvier 2010 et l’introduction d’une obligation de déclaration pour les paiements vers les paradis fiscaux à partir du 1er janvier 2010. » Il précise que « suite à l’introduction de l’obligation de déclaration, la Belgique a été retirée de la liste grise des paradis fiscaux en septembre 2009.»

Il y avait quelque urgence à ce que le Ministre des Finances fasse quelque chose puisque même le Luxembourg avait déjà quitté cette fameuse liste grise.  
Mr Patrick Seré se trompe légèrement de date. En effet, c’est exactement le 16 juillet 2009 que la Belgique a été retirée[3] de la liste grise de l’OCDE qui dans un communiqué indique que la Belgique est désormais classée parmi les pays qui « ont substantiellement mis en œuvre les standards fiscaux internationaux », passant ainsi de la liste grise à ce qui était alors dénommé liste blanche. La liste grise comprenait « les pays qui se sont engagés à respecter les standards, mais qui ne les ont pas encore substantiellement mis en œuvre. » Précisons que la liste noire concernait « les pays qui ne se sont pas engagés à respecter les standards. ». Cette dernière n’avait pas fait long feu puisque les 4 pays qui y figuraient (Uruguay, Costa Rica, Malaisie et Philippines) s’étaient engagés immédiatement à coopérer plus activement en matière d’échanges d’informations fiscales. L’information de retrait de la Belgique de la liste grise à laquelle nous faisons référence nous apprend aussi que la liste grise comptait alors une quarantaine de pays ou juridictions et qu’elle devrait se vider progressivement au fur et à mesure de l’atteinte, par les Etats concernés, du seuil de 12 conventions conformes aux standards de l’OCDE. Il faut dire qu’il y avait quelque urgence à ce que le Ministre des Finances fasse quelque chose puisque même le Luxembourg avait déjà quitté cette fameuse liste grise.

Daucuns parmi ces fortunés en sont venus à dire que la Belgique avait instauré le « communisme…pour les riches.»
Qui était le Ministre des Finances de l’époque ? Didier Reynders, depuis plus de 10 ans, dont chacun sait qu’il s’est montré si féroce dans la lutte contre l’évasion fiscale et si créatif dans l’octroi d’avantages fiscaux aux grandes entreprises ainsi qu’aux riches particuliers que d’aucuns parmi ces fortunés en sont venus à dire que la Belgique avait instauré le « communisme…pour les riches. »

On appréciera ce que le mot « substance » repris par l’OCDE peut bien vouloir dire … !!!!

13 ans plus tard, la Belgique était le seul pays où l’obligation de déclaration pour les paiements vers les paradis fiscaux avait été introduite.
On appréciera aussi ce que Mr Patrick Seré nous apprend à savoir que l’obligation de déclaration pour les paiements vers les paradis fiscaux avait été adoptée lors d’une réunion du G20 en réaction à la crise financière et avait été inscrite dans les recommandations de l’OCDE. Et Mr Seré de noter que s’agissant d’une recommandation de l’OCDE, cette obligation de déclaration pouvait parfaitement être introduite dans d’autres États membres de l’OCDE, mais constatait que, 13 ans plus tard, la Belgique était le seul pays où l’obligation de déclaration pour les paiements vers les paradis fiscaux avait été introduite. Si cette obligation de déclaration avait été mise en œuvre au niveau européen, ce serait déjà beaucoup plus facile de détecter les paiements non déclarés vers les paradis fiscaux, rajoutait-il  Faire semblant pour les uns ou se passer de faire semblant pour les autres ?

Pour mémoire, les conventions préventives de la double imposition doivent être approuvées par les Parlements.
Outre le fait que l’on s’étonne de voir la Belgique si rapidement -moins de 5 mois – après son arrivée  sortie de la liste grise, en septembre 2009 (en fait le 16 juillet 2009) avant même le vote de la loi en décembre  de la même année, l’on se remémore que Mr Didier Reynders est signataire le 12 mars 2002, en tant que Ministre des Finances,  de la Convention préventive de la double imposition entre la Belgique et les Emirats Arabes Unis (son collègue du MR Louis Michel est signataire en tant que Ministre des Affaires  Etrangères et Annemie Neyts-Uyttenbroeck (Open VLD) l’est également en tant que Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères. Il agissait alors au sein de la coalition gouvernementale dirigée par le Premier Ministre Guy Verhofstadt I qui réunissait le MR, l’Open VLD, ainsi que les PS (francophone et flamand) et Ecolo (francophone et flamand). Pour mémoire, les conventions préventives de la double imposition doivent être approuvées par les Parlements. Quels ont été les votes ? Rappelons également que le texte de la convention du 12 mars 2002 commence ainsi «…loi portant assentiment à la  Convention entre le Royaume de Belgique et les Emirats arabes unis tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune… ».  Défense de rire !

L’histoire de la loi telle que l’a rappelée Mr Patrick Seré semble cependant s’apparenter à de la « réécriture de l’histoire » que de l’histoire au regard de ce que nous indique Mr Victor Serge.
L’histoire de la loi telle que l’a rappelée Mr Patrick Seré semble cependant s’apparenter à de la « réécriture de l’histoire » que de l’histoire au regard de ce que nous indique Mr Victor Serge qui fut un des témoins de la Commission d’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et qui prépare un livre et une recension sur l’évolution de la fraude fiscale et de la lutte contre la fraude fiscale ces 40 dernières années en Belgique. Ainsi, le 7 mai 2009, la Chambre des Représentants  publiait le rapport (Document 52K0034/004) adopté à la quasi-unanimité par la Chambre des Représentants suite aux travaux de la Commission d’enquête sur les grands dossiers de fraude fiscale, lequel rapport contient 100 recommandations dont 18 en matière de lutte contre les paradis fiscaux et contre les mécanismes de fraude internationale.

La recommandation 88 prévoit d’instaurer une obligation de déclaration spontanée des transactions des entreprises avec les paradis fiscaux tels qu’identifiés à l’article 203 CIR92.

Obligation qui sera traduite par la loi promulguée le 23 décembre 2009 et sur la mise en œuvre de laquelle porte le rapport de la Cour des comptes.

Les recommandations adoptées à la quasi-unanimité par la Chambre des Représentants  reprennent notamment :

-la mise en place au sein du SPF Finances d’une Task Force Anti-Paradis Fiscaux (recommandation 101);

-la réalisation d’une enquête sur le recours aux paradis fiscaux dans un but d’évasion fiscale et de fraude fiscale (recommandation 100, une première étape ayant été réalisée sur base des données de la Justice pénale dans les travaux du Collège de lutte contre la fraude fiscale piloté par le Secrétaire d’Etat Mr John Crombez);

-les recommandations adoptées par le G20 de l’OCDE (G20 dont la Belgique n’est pas membre) et relatives à la conclusion d’au moins 12  accords d’échanges de renseignements (TIEA) conformes aux standards de l’OCDE avec des paradis fiscaux (recommandations 89 et 96 de la Commission parlementaire d’enquête).

La Belgique avait opté, avec le Luxembourg et l’Autriche, pour l’option de la  retenue à la source sans communication des éléments d’information notamment l’identité des bénéficiaires.
N’est pas formellement abordé par les recommandations de la Chambre des Représentants l’introduction à partir du 01janvier 2010 d’un échange automatique de données, soit le modèle décidé par le G20 de l’OCDE (G20 dont la Belgique n’est pas membre), promu par l’OCDE et également concrétisé par les directives de l’Union européenne, échanges de données qui succéda à la Directive Epargne de 2005  pour la mise en œuvre de laquelle la Belgique avait opté, avec le Luxembourg et l’Autriche, pour l’option de la  retenue à la source sans communication des éléments d’information notamment l’identité des bénéficiaires, au contraire des autres pays de l’Union Européenne qui avaient opté pour la communication des informations sur l ‘identité des bénéficiaires et des revenus perçus.

Mr Victor Serge rappelle d’autre part que les décisions du G20 (G20 auquel le Belgique ne participe pas), les travaux de l’OCDE et de l’Union Européenne ont constitué le socle qui a permis de fonder en 2014 le « Commun Reporting Standard » et également de noyer l’alternative élaborée par la Suisse du modèle Rubik (retenue à la source sans communication de l’identité pour préserver le secret bancaire des pays signataires des accords bilatéraux relatifs à ce modèle) auquel ont adhéré UK et Autriche (avant de ne plus les appliquer puis de les abroger vu notamment les déceptions quant aux rendements réalisés par rapport aux rendements promis) et qu’ont refusé Allemagne, France, Espagne, Portugal, ce modèle Rubik ayant été présenté par la Suisse en 2012 à la Belgique où il bénéficiait d’un a priori favorable de certains milieux politiques, financiers et administratifs.

Bref, ce qu’a entendu la Commission Finances & Budget de la Chambre des Représentants à propos de l’historique de la loi prêtait à de nombreuses et opportunes approximations.

Le rapport de la Cour des comptes mettait en évidence une sorte d’incohérence législative. Le faire semblant aurait-il pu conduire à la rendre délibérée ?  

Christian Savestre

 

Table des matières

Chapitre I – Après l’avoir abusée, le Ministre des Finances et son Administration fiscale finissent par lâcher – piteusement – la vérité à la Cour des comptes.
Chapitre II – La Cour des comptes avait pourtant interrogé les autorités responsables, mais avait été contrainte de déclarer qu’elle n’avait pas reçu d’explications satisfaisantes.
Chapitre III – Une véritable embrouille d’Etat, au long cours, sur les chiffres
Chapitre IV – Une loi pour faire semblant, appliquée en faisant semblant.
Chapitre V – Depuis 2010, des milliers de milliards de paiements vers des paradis fiscaux qui n’ont pas inquiété grand-monde, jusqu’à ce que la Cour des comptes décide de mener son enquête.
Chapitre VI – Un inexplicable désintérêt des parlementaires
Chapitre VII – Opacité et art de l’esquive comme mode de gouvernance.
Chapitre VIII – Les Emirats Arabes Unis, « Le stade Dubaï du capitalisme »
Chapitre IX – Une future étude scientifique
Chapitre X – Pas de risque de fraude des particuliers effectuant des paiements dans des paradis fiscaux, déclare le Ministre des Finances.
Chapitre XI – Un énorme scandale maintenu sous cloche
Chapitre XII – Trois  auditions, trois occasions de savoir, trois constats d’échec
Chapitre XIII – Les constats d’échec en détails

ANNEXES

Annexe I – Méthodologie
Annexe II – Quelques points de repère chronologiques
Annexe III – Audition des Représentants de l’Inspection Spéciale des Impôts du 26 novembre 2022
Annexe IV – Audition du Ministre des Finances du 09 novembre 2022
Annexe V – Tableau de calcul du passage des chiffres officiels aux chiffres officiels corrigés sur base du cash pooling prétendument inclus dans ces chiffres officiels

Le mépris des lois, c’est le commencement de la décadence.  Jean Pellerin, Poète

[1] Page 59 du rapport établi par Mr Benoît Piedboeuf, Rapporteur des 3 auditions

[2] Pages 40 à 57 du rapport établi par Mr Benoît Piedboeuf, Rapporteur des 3 auditions

[3] https://www.rtbf.be/article/paradis-fiscaux-la-belgique-retiree-de-la-liste-grise-5337363Belgique liste grise paradis fiscaux