L’héritage d’Afschrift : évasion fiscale, liberté du plus fort & mépris du commun

Nous avons appris le décès de Typhanie Afschrift, célèbre avocate fiscaliste.
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Fin 2019, ATTAC Bruxelles  (ainsi que 300 associations et 350 citoyens) ont porté plainte (déontologique) contre Typhanie (Thierry à l’époque) Afschrift, épinglée dans le cadre des Dubaï Papers, ainsi que Arnaud Jansen, avocat fiscaliste et Guy Ollieuz, expert comptable (voir l’article Prière de ne pas déranger les organisateurs de l’évasion fiscale). Au bout d’un parcours labyrinthique, des plaignants ont fini par saisir, à propos des deux avocats fiscalistes, la Cour européenne des droits de l’homme dès fin décembre 2020, laquelle n’a pas encore statué sur l’interpellation ou non de l’Etat belge. Quant à l’Institut des experts comptables (IEC devenue ITAA), il a, à ce stade, enterré l’affaire.
Typhanie Afschrift a disparu, comme les milliards d’euros qu’elle a contribué à faire échapper au bien commun. Mais le combat, en cette affaire, contre l’Etat belge devant la CEDH continue.
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Noyé dans un océan de nécrologies vantant l’intelligence et les qualité humaines de cette orfèvre de l’évasion fiscale, nous sommes tombés sur ce post salvateur d’Éric Walravens, qui nous a autorisés à le reproduire en nos pages. Nous l’en remercions.
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« J’ai tendance à penser que la mort est le temps du recueillement et que si on n’a pas aimé l’artiste mieux vaut la fermer pendant que les autres rendent hommage. Pour Typhanie Afschrift, je déroge à ma règle, tant les nécrologies lues dans la presse me semblent avoir oublié de dire ce qu’elle a représenté.
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Je ne doute pas qu’elle ait eu des qualités humaines, qu’elle ait été fidèle en amitié, ni qu’elle ait été dotée d’une connaissance exceptionnelle des rouages de la fiscalité, comme on l’a rappelé ici et là. En préparant mon livre sur la concurrence fiscale, il y a une dizaine d’années, j’avais interviewé celle qui était encore Thierry Afschrift, dans son cabinet de l’avenue Louise. J’avais été frappé par son intelligence malicieuse, guillerette presque, qui contrastait avec la brutalité des idées qu’il défendait alors, qu’elle a défendu jusqu’au bout de sa vie.
Typhanie Afschrift n’était pas seulement une avocate richement rémunérée pour permettre à ses clients fortunés de payer le moins d’impôt possible. Elle était l’activiste en chef d’une idéologie consistant à penser que l’État est prédateur, qu’il devrait se limiter aux fonctions régaliennes. Les services publics et les fonctionnaires n’avaient pas beaucoup de grâce à ses yeux, et les syndicalistes, n’en parlons pas. Tous étaient peu ou prou assimilés à des parasites.
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La richesse, dans le monde de Typhanie Afschrift, était créée uniquement par les individus, au mérite. Peu importe que ses idées simplistes sur le ruissellement ou la méritocratie puissent avoir été déconstruites par un étudiant de première année, il se trouvait toujours des thuriféraires sur ses réseaux sociaux pour l’applaudir comme si c’était brillant. “Les inégalités existent, pourquoi seraient-elles de nature injuste ? Chacun est libre de choisir. Travailler plus ou moins, de profiter de notre vie en se consacrant à ses passions ou à une activité lucrative”. Tel était le genre de sagesses qu’elle dispensait. Tout était tellement simple pour Typhanie Afschrift. Si on était pauvre, il n’y avait qu’à travailler, à n’importe quelle condition. La lutte syndicale de Delhaize contre la franchisation des enseignes et les conditions de travail détériorées n’était pour elle qu’une lutte d’intérêts mal placés. “Les syndicats sont comme des politiciens ! Ils mènent un combat contre la flexibilité en pensant conserver leurs adhérents ! Ils savent que si leurs syndiqués deviennent salariés de petites structures, ils ne seront sans doute plus syndiqués ! Et donc, ils vont perdre des cotisants !” Tout est tellement simple, oui, quand on résume les choses aux intérêts individuels.
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Quand il s’agissait de défendre ceux de ses clients, Typhanie Afschrift allait loin, plus loin même que “le choix légal de la voie moins imposée” qu’elle préconisait. Les Dubaï Papers ont révélé que le recours aux montages les plus opaques d’évasion fiscale illégale faisait aussi partie de son arsenal. Il ne s’agissait pas uniquement de payer moins d’impôt. Il s’agissait d’éviter à tout prix la moindre contribution des riches à la solidarité. J’avais aussi été interloqué de lire, dans l’enquête de Médor sur Franquin, que Thierry Afschrift, dans les années 1980, avait été l’une des chevilles ouvrières du dépouillement de l’auteur de Gaston.
Quand Typhanie Afschrift a annoncé sa transition de genre, je me suis demandé si cette révolution personnelle serait suivie d’une épiphanie sur d’autres questions sociales ou économiques. Mais elle a poursuivi dans la voie d’un individualisme forcené, sans jamais reconnaître, par exemple, que sa nouvelle expression de genre était aussi le résultat d’une longue lutte collective. Elle admirait presque la realpolitik de Trump, celui-là même qui affiche sans retenue son mépris des personnes trans.
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Alors, oui, Typhanie Afschrift “incarnait une certaine idée de la liberté”, comme l’a écrit Le Soir. La liberté du lion dans la jungle, la liberté du fort de dominer le faible. Pas mon idée de la liberté. »
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Eric Walravens.
Son post sur sa page Facebook privée :

Illustration : printscreen de mars 2021 du site internet https://www.afschrift.com/nos-avocats/thierry-afschrift

La page n’existe plus aujourd’hui, elle a été remplacée par une nouvelle page, sur laquelle Typhanie Afschrift dit désormais ceci :

A condition qu’il respecte la loi, chaque contribuable – privé et entreprise – a le droit de réduire la pression fiscale croissante qui pèse sur lui. Nous sommes là pour l’y aider !