Les économistes conservateurs considèrent depuis longtemps le philosophe écossais du XVIIIe siècle Adam Smith comme le héros du « libre marché ». Mais à son époque, comme l’a récemment souligné Steve Wamhoff, de l’Institut progressiste sur la fiscalité et la politique économique, Smith défendait des positions qui font aujourd’hui bondir les partisans du libre marché.
Smith, par exemple, était fermement convaincu que les plus riches d’entre nous, ceux qui croulent sous « le luxe et la vanité », devraient supporter une charge fiscale beaucoup plus lourde que les plus pauvres. Nos riches, déclarait-il, « devraient contribuer aux dépenses publiques, non seulement proportionnellement à leurs revenus, mais davantage encore ». Notre façon contemporaine de résumer cette idée : taxons les riches !
Aux États-Unis, c’est exactement ce que nous avons fait au milieu du XXe siècle, sous des présidents démocrates et républicains. Un exemple : dans les années 1950, pendant les deux mandats du républicain Dwight Eisenhower, les plus riches des États-Unis étaient soumis à un taux d’imposition de 91 % sur les revenus individuels supérieurs à 200 000 dollars, soit l’équivalent d’environ 2,3 millions de dollars aujourd’hui.
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Quel est le taux d’imposition maximal aujourd’hui ? Seulement 37 %, et rares sont les riches qui paient des impôts proches de ce taux. Notre code fiscal fédéral actuel regorge de failles et d’astuces qui permettent aux milliardaires de payer des impôts à des taux annuels inférieurs à ceux des ménages américains moyens.
Notre dernier président, Joe Biden, a pris des mesures pour mettre fin à ces injustices. Son administration a investi massivement dans l’Internal Revenue Service (IRS), recrutant des experts qui connaissaient toutes les astuces utilisées par les riches et les entreprises qu’ils dirigent pour échapper à l’impôt.
Les bureaux de ces experts de l’IRS se vident aujourd’hui. Les républicains au Congrès ont « récupéré » la moitié des 80 millions de dollars de nouveaux fonds que la loi de 2022 sur la réduction de l’inflation avait accordés à l’agence fiscale américaine, chroniquement sous-financée.
La nouvelle administration Trump, quant à elle, est arrivée au pouvoir avec l’objectif initial de réduire de 18 % les effectifs de l’IRS. Les garçons de DOGE, comme vient de le rapporter Bloomberg Tax, visent désormais des « réductions d’effectifs » qui pourraient atteindre 25 % du personnel de l’IRS, voire plus.
Deux bureaux de l’IRS semblent être les plus touchés par les mesures trumpistes. Le Bureau des droits civils et de la conformité de l’IRS, une unité anciennement appelée Bureau de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, a perdu 80 % de ses 200 employés.
Un autre bureau de l’IRS figurant sur la liste noire de DOGE, l’unité Global High Wealth de l’agence, comptait 353 employés chargés de veiller à ce que nos super-riches paient leur juste part d’impôts sous Biden. Fin mars, après un peu plus de deux mois de Trump II, cet effectif était tombé à seulement 220 personnes.
Les professionnels de la fiscalité qui ont quitté l’unité contre leur gré se sont retrouvés, selon une analyse de l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), à devoir laisser derrière eux « des audits inachevés sur des personnes ultra-riches ».
« Nous ne savons pas ce qui va se passer », a déclaré à Spencer Woodman, de l’ICIJ, un agent toujours en poste au sein de l’unité chargée des fortunes importantes. « C’est un jour de chance pour certains contribuables qui doivent des centaines de milliers, voire des millions, au gouvernement. »
Quel sera l’impact global des réductions d’effectifs au sein de l’IRS ? Dans un rapport publié mi-mars, le Budget Lab, un groupe de réflexion indépendant de l’université de Yale, a tenté de calculer la perte de recettes que l’IRS risque d’essuyer si les réductions d’effectifs décidées par Trump sont maintenues. Selon les analystes du Budget Lab, la perte de 18 % des effectifs de l’IRS coûterait près de 1 600 milliards de dollars au gouvernement fédéral au cours de la prochaine décennie.
Mais cette estimation, soulignent les analystes, sous-estime l’ampleur des dommages auxquels l’IRS est actuellement confronté.
Selon le Yale Lab, plus l’effectif de l’IRS est réduit, moins il y a de contrôles fiscaux des contribuables à revenus élevés. La réduction des contrôles fiscaux diminue considérablement l’effet dissuasif puissant que ceux-ci peuvent avoir sur les contribuables fortunés. Plus il y a de contrôles, plus ceux qui ne sont pas contrôlés craignent d’être les prochains. Plus ils s’inquiètent, moins ces contribuables fortunés tentent de frauder le fisc dans leurs déclarations d’impôts.
Les chercheurs ont constaté ces dernières années que chaque dollar dépensé par l’IRS pour contrôler les déclarations fiscales des contribuables à revenus élevés génère 12 dollars de recettes fiscales supplémentaires. Mais les chercheurs « n’ont pas étudié », observe le Yale Budget Lab, « l’impact qu’une modification des dépenses consacrées aux contrôles aussi importante que celle proposée par l’administration actuelle aurait sur le recouvrement des recettes ».
L’équipe de Yale conclut sombrement qu’il n’existe « aucun précédent historique moderne » aux coupes budgétaires que l’administration Trump a commencé à imposer à l’IRS. Ces coupes laissent « planer le doute sur la capacité de l’IRS à fonctionner correctement ».
Cette deuxième offensive de Trump contre l’IRS ne se déroule bien sûr pas dans le vide. Les législateurs républicains s’empressent actuellement de prolonger les réductions d’impôts accordées aux riches en 2017, qui expirent à la fin de cette année. Et Trump vient d’annoncer une série de nouveaux droits de douane sans précédent que le représentant Brendan Boyle de Pennsylvanie, le principal démocrate de la commission budgétaire de la Chambre des représentants, qualifie de « plus forte augmentation d’impôt de l’histoire américaine ».
Avec ces droits de douane en vigueur, ajoute Boyle, les Américains à faibles revenus « finiront par payer un pourcentage plus élevé de leurs revenus » en impôts.
Le rêve ultime de Trump ? Il aimerait voir les recettes provenant de droits de douane régressifs remplacer tout ce qui s’apparente à un impôt progressif sur le revenu, note Timothy Noah dans The New Republic.
Nous avons déjà créé une société, résume Steve Wamhoff, de l’Institute on Taxation and Economic Policy, qui offre à nos plus riches des récompenses « bien supérieures à ce qui est nécessaire pour motiver l’investissement, l’innovation et le travail ».
« L’inégalité qui en résulte ne peut être combattue », estime à juste titre M. Wamhoff, « sans un système fiscal plus progressif ».
En attendant, tant que la Maison Blanche et le Congrès resteront entre les mains de Trump, nous aurons tous fort à faire pour empêcher notre système fiscal actuel de devenir encore plus régressif.
Sam Pizzigati,
6 avril 2025,
Institut for Policy Studies et coéditeur d’Inegality.org ,
traduction POUR.
Outre les mesures décrites dans cet article, des mesures de réduction du personnel affecté au contrôle des Grandes Entreprises et des prix de transfert sont également annoncées. Source. Inegality.org, février 2025.
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