“Big Five”. Une enquête inédite sur 5 majors néerlandaises prédatrices de l’océan mondial

A l’occasion de la Troisième Conférence des Nations-Unies sur les Océans qui commence à Nice le 9 juin 2025, POUR Press vous donne à lire diverses études et analyses pertinentes et récentes de l’ONG BLOOM, fondée par Claire Nouvian, études et analyses qui vont au-delà du double language et du jeu de dupes habituellement utilisés par ceux qui se veulent les maîtres de ce monde.

La surpêche par chatulier de fond détruit le fonds des océans, les zones dites protégées et la pêche artisanale de la Bretagne au Sénégal.
Elle provoque un affaiblissement des économies des communautés locales, qui conduit à des mouvements de paupérisation comme pour les artisans et ouvriers pêcheurs bretons ou à des mouvements de migration sur la route de la mort vers l’Europe comme pour les pêcheurs sénégalais (comme le met en évidence pour cet aspect notamment l’ONG Environnemental Justice Foundation).
Elle se nourrit également d’accaparement de subsides publics, de régimes douaniers favorables et d’évasion fiscale.
Cette surpêche fournit au secteur de la grande distribution des boîtes de thon pour lesquelles la presence de mercure est excessive dans la moitié des 148 boîtes testées.
Claire Nouvian et l’association BLOOM sont  régulièrement intimidées et menacées, par le lobby de la pêche mais également par l’extrême-droite, sur la mer (poursuites par des navires), dans les enceintes parlementaires, sur les réseaux sociaux et, plus récemment pour Claire Nouvian, à son domicile, pour leur combat.
Sur le site de l’association BLOOM, voir comment les soutenir et un historique de leurs combats et victoires.
L’association BLOOM développe des collaborations avec FoodWatch, association de défense des consommateurs, avec  l’Observatoire Européen de l’Industrie (Corporate Europe Observatory, présent à Bruxelles et dont le siege statutaire est à Amsterdam), avec l’association française Anticor, et des coalitions avec des pêcheurs côtiers.

BLOOM, en collaboration avec le consortium de journalistes néerlandais « Spit », publie une enquête inédite sur les activités et la stratégie d’expansion de cinq majors néerlandaises qui dominent aujourd’hui la pêche industrielle en Europe et ont étendu leur emprise sur l’océan mondial. Ces cinq entreprises, surnommées les « Big Five » : Parlevliet & Van der Plas, Cornelis Vrolijk, Van der Zwan, Alda Seafood et la famille De Boer, dominent l’ensemble de la chaîne de production, de la capture à l’assiette, dans des activités à l’échelle mondiale. L’étude reconstruit l’étendue tentaculaire de leurs filiales composées d’environ 400 entreprises et de 230 navires ainsi que leurs liens commerciaux complexes, afin de mettre en lumière leur hégémonie. La situation de domination des Big Five constitue aujourd’hui un véritable oligopole en mesure d’influencer les décisions publiques contre l’intérêt général. La domination des Big Five sur le secteur européen de la pêche est le résultat de mécanismes institutionnels permissifs, de complicités politiques et d’opérations et structurations financières intentionnellement opaques. Une partie des Big Five investit désormais dans l’immobilier, révélant ainsi une approche extractiviste néfaste des ressources sauvages, à l’opposé de la gestion durable prônée par l’Union européenne, et consistant à maximiser les profits à court terme en transformant les poissons en gain à investir ailleurs. Les Big Five incarnent en cela la forme la plus négative du capitalisme financiarisé qui pilote la décision publique pour privatiser les profits et faire payer le prix au collectif en mutualisant les pertes (destruction des écosystèmes marins, des emplois, des territoires et des finances publiques).

Un réseau opaque interconnecté à l’influence mondiale

Les Big Five ont construit, au fil des décennies, un maillage opérationnel et financier très complexe. Ils forment un réseau puissant, se partagent les quotas, possèdent des navires en copropriété, défendent leurs intérêts communs par des actions de lobbying conjointes et investissent ensemble dans des filiales pour accroître leur contrôle sur les ressources. Par l’intermédiaire de filiales internationales, les Big Five sont membres d’au moins quinze organisations de lobbying actives dans l’Union européenne.[1] Leur puissant lobbying influence dans l’ombre les décisions politiques au niveau des États membres et des institutions européennes de façon anti-démocratique et contraire aux intérêts des citoyens européens.

« Grâce à un réseau de filiales complexe, à une flotte de navires technologiquement suréquipés, et à une stratégie agressive de rachats, ces multinationales règnent sur la pêche mondiale. Derrière une façade de concurrence, ces entreprises coopèrent étroitement : elles s’allient pour écraser les autres acteurs du secteur. », explique Laetitia Bisiaux, responsable de la campagne pêche industrielle à BLOOM. Cette concentration extrême entre les mains de quelques acteurs se traduit par une mainmise opaque sur les ressources halieutiques, au détriment des écosystèmes marins, des pêcheurs artisans et de l’intérêt général.

Mise à jour : 20/05/2025

Les structures des groupes ont été cartographiées à partir de leur rapport annuel 2023 et complétées notamment avec les données de Company.infoOrbisNorth Data et Companies House (voir jeu de données pour plus de détails). Par conséquent, les données relatives à la propriété des entreprises peuvent être obsolètes.
Les propriétaires des navires ont été identifiés grâce au Global Integrated Shipping Information System (GISIS) de l’Organisation Maritime Internationale (OMI).

Une flotte géante aux techniques destructrices

Leur logique industrielle repose sur le gigantisme des navires et une capacité d’extraction massive incompatible avec la préservation du bon fonctionnement des écosystèmes marins. Ensemble, les Big Five possèdent environ 230 navires de pêche, dont plusieurs font partie des plus grands navires du monde. Le plus emblématique, l’Annelies Ilena, mesure 145 mètres de long et capture 400 tonnes de poisson par jour (autant que 1000 petits bateaux de pêche artisanale en une journée). Si on alignait tous leurs navires à la suite, ils s’étendraient sur près de 10 kilomètres. Tous les navires appartenant aux Big Five (à l’exception d’un seul), utilisent des techniques de pêche destructrices : chalutage de fond, chalutage pélagique, senne démersale, dispositif de concentration de poisson (DCP) pour le thon tropical. Leur empreinte écologique est planétaire : leurs engins destructeurs sont déployés des côtes africaines à l’Arctique, en passant par le Suriname ou encore le Chili.

Navires de pêche, hangars de stockage, usines de transformations, chaînes de distribution, et même sociétés de recrutement d’équipage, les Big Five contrôlent toutes les étapes de la filière pêche. Ils peuvent ainsi acheter le poisson à leurs propres filiales à des prix artificiellement bas pour réduire les salaires versés aux équipages, souvent rémunérés à la part, et pour transférer les bénéfices vers des paradis fiscaux.

Trajectoires des navires exploités par les Big Five entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2025 (source: Global Fishing Watch)

 

La pêche française sous emprise néerlandaise

Après les Pays-Bas, c’est en France que les Big Five ont le plus investi. 24 navires industriels concentrant une grande partie des quotas français opèrent sous pavillon français via leurs filiales : la CFTO (Compagnie française du thon océanique) acquise par P&P en 2016 (10 navires) ; Euronor et la Compagnie des Pêches Saint-Malo, toutes deux rachetées par P&P en 2011 (7 navires combinés) ; et France Pélagique (7 navires), co-fondée en 1988 par Cornelis Vrolijk. En siégeant dans des instances comme le Comité national des pêches, les dirigeants des filiales françaises donnent aux Big Five un moyen d’influer directement sur les règles, dans leur propre intérêt.

 

Géants de la pêche, des fraudes et de la corruption

Chaque entreprise des cinq Big Five a été impliquée dans des affaires judiciaires dans le monde entier. En Namibie, au Pérou, en Norvège ou au Cameroun, ces sociétés et leurs dirigeants ont été accusés ou condamnés pour divers faits tels que la pêche illégale, la corruption liée à l’obtention de droits de pêche, l’évasion fiscale, le « high-grading »[2], les captures non déclarées ou encore la pollution marine. Entre 2012 et 2019, l’entreprise islandaise Samherji qui a fondé Alda Seafood aux Pays-Bas en 2019, a été au cœur du scandale de corruption Fishrot en Namibie impliquant le versement de pots-de-vin à des responsables namibiens pour obtenir des quotas de pêche. L’un des navires à avoir reçu des quotas corrompus en Namibie, le Saga, était exploité par Atlantex, alors entièrement détenue par Samherji. Le Saga détenait aussi des quotas européens (polonais en l’occurrence). En 2018, P&P acquiert 50% d’Atlantex à vil prix, et quelques mois plus tard, P&P vend l’Annelies Ilena (le plus grand navire-usine du monde, 145 m) à Atlantex pour récupérer les quotas polonais du Saga, qui entre-temps, a fui en Amérique du Sud pour blanchir son pavillon. Ces opérations opaques et frauduleuses montrent la nature prédatrice de ces géants industriels. On est très loin de la pêche vivrière.

 

Une diversification dans l’immobilier révélatrice d’un capitalisme extractiviste nuisible

Face à la perspective d’un épuisement progressif des populations de poissons, plusieurs de ces géants de la pêche commencent à rediriger leurs investissements vers l’immobilier. Ce changement est le signe d’un modèle extractif en bout de course. Par exemple, la famille Van der Plas a récemment cédé ses parts à la famille Parlevliet, afin de se concentrer sur l’immobilier. Cette évolution traduit une logique économique, analysée dès les années 1970 par l’économiste Colin Clark, dite de la « terre brûlée » : tant qu’il est plus rentable de surexploiter une ressource que de la gérer durablement, les acteurs économiques privilégient le court terme, quitte à compromettre l’avenir écologique, social et économique des activités. Lorsque le poisson n’est plus qu’un levier de profit transitoire, ce ne sont pas seulement les écosystèmes marins qui sont en danger, mais aussi la stabilité des territoires côtiers, la souveraineté alimentaire et à terme, la viabilité de notre planète.

 

Reprendre le contrôle sur les Big Five

Rien de tout cela n’est inéluctable. Ce système est le résultat direct de politiques publiques qui ont permis et encouragé l’expansion incontrôlée de ces entreprises. C’est aussi le produit d’un système enfermé dans l’opacité, où les intérêts économiques des acteurs industriels l’emportent sur le bien commun. Dans ce contexte, il est urgent de repenser fondamentalement le modèle économique et politique qui régit aujourd’hui l’accès aux ressources marines. Nous devons reprendre le contrôle de nos politiques de pêche, protéger les pêcheurs artisans et l’océan de l’appropriation industrielle, et nous éloigner d’un modèle économique extractiviste pour construire une véritable justice sociale et écologique. Si nous ne faisons rien, ce n’est pas seulement la biodiversité qui disparaîtra, mais aussi une certaine vision de la démocratie et du bien commun, sacrifiés sur l’autel de la cupidité capitaliste effrénée. Il est encore temps d’agir, mais la fenêtre se rétrécit. L’action nécessite du courage politique et de l’indépendance par rapport à l’influence néfaste des lobbies industriels.

 

BLOOM,
19 mai 2025.


Notes

[1] Trouvé dans le registre de lobbying de l’UE : Deutscher Hochseefischerei-Verband, AIPCE-CEP (via visfederatie), bottomfishingalliance.eu, European Tuna Group (Europeche), France Pelagique, EAPO, Lithuanian Long Distance Fisheries Association, PFA, Seafood Importers and Processers Alliance (via visimporteurs.nl), LDAC, NSAC, PELAC, DOPR, UAPF, ANOP, CNPMEM

[2] Le rejet des captures pour les remplacer par des spécimens plus gros ou d’une plus grande valeur marchande, entraînant une forte mortalité non comptabilisée.

Source : https://bloomassociation.org/big-five-peche-industrielle/

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Publication intégrale autorisée.
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A LIRE, en accès libre, sur Reporterre.net.
Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG BLOOM, intimidée à son domicile dans la nuit du 3 juin au 4 juin 2025. Une intimidation qui s’ajoute à d’autres ces dernières semaines, notamment de la part de l’extrême-droite française.
A LIRE, sur BLOOM, en accès libre, à l’occasion de la Conference des Nations-Unies à Nice, les aspects politiques.
■”Emmanuel.Macron, le président impuissant”, 7 juin 2025.
■” Pacte Européen des Océans : le cadeau de la Commission Européenne aux lobbies de la pêche”, 5 juin 2025.
■Un texte qui reprend, outre les intimidations de BLOOM, les victoires de BLOOM et ses revendications.
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A VOIR, en accès libre, sur le site de BLOOM.
■Un documentaire exceptionnel de Charles Villa vient appuyer 2 rapports inédits de BLOOM, “Les Big Five” et “Big Five, Big Money”, 20 mai 2025.
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A LIRE, en accès libre, sur le site de BLOOM.
■Big Five, Big Money. Quand les aides  Brexit alimentent la pêche électrique et les géants de la pêche néerlandaise, 20 mai 2025.
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A LIRE également sur le site de BLOOM, en accès libre.
■Mettre en œuvre de véritables aires marines protégées, une transition possible, 21 mai 2025.
■Fausse protection et vrai chalutage : les aires marines dites protégées toujours “bulldozées”, 10 mai 2025.
■Victoire. La Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye donne raison au Royaume-Uni contre les manœuvres antiécologiques de la France et de l’UE, 2 mai 2025.
■Le commissaire Kostas contînue de louvoyer sur le chalutage de fond dans les aires marines protégées, 13 mai 2025.
■La protection “au cas par cas”, un permis pour détruire, 15 mai 2025.
■Scandale des aides Brexit : les industriels bretons font main basse sur l’argent public, 29 avril 2025.
■Le lien pervers entre éolien offshore et lobby du chalut, 4 avril 2024.
■Le Far West de la pêche thonière en Afrique, 14 novembre 2022.
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A LIRE, en accès libre, sur La Relève et La Peste.
■”85% des captures des chalutier de fond pourraient être transférées vers des techniques dites passives”, 21 mai 2025.
■”La surpêche pousse les Sénégalais sur la route de la mort vers l’Europe”, 14 mai 2025.
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A LIRE, en accès libre, sur Reporterre.net.
■Surpêche. L’ONG BLOOM dénonce l’impunité des thoniers français, 6 mars 2023.
■Mercure dans le thon. BLOOM et FoodWatch, cette dernière association de  défense des consommateurs, ont analysé,  pendant 18 mois, 148 boîtes de thon vendues dans la grande distribution dans 5 pays européens dont la France (donc, pour certaines vendues en Belgique). Elles  contiennent toutes du mercure et pour plus de la moitié, les doses présentes dans la moitié des boîtes de thon dépassent la limite la plus stricte de 0,3 mg par kilo de poisson frais et jusqu’à 9 fois les quantités autorisées pour des sardines fraîches ou du cabillaud frais de 0,1 mg par kilo. De tels dépassements des limites sont préjudiciables aux femmes enceintes et aux enfants. Ces deux associations dénoncent un scandale sanitaire.
●Mercure dans le thon : deux ONG dénoncent un scandale sanitaire, 29 octobre 2024.
●Les mères des quartiers populaires s’attaquent à la grande distribution sur le thon contaminé, 23 avril 2025.
●Thon en conserve : Carrefour attaqué en justice, 17 mars 2025.
■THON. LE GUIDE POUR CHOISIR LA BONNE BOITE, Reporterre.net,.30.octobre 2023.

By BLOOM

BLOOM Association est fondée en 2008 par Claire Nouvian, ancienne journaliste et militante écologiste. L'association œuvre pour la conservation marine au travers de démarches de sensibilisation, de médiation scientifique, de production d'études scientifiques, de participation à des consultations publiques et à des processus institutionnels. BLOOM Association mène des actions, notamment judiciaires, en collaboration avec des associations partenaires. Claire Nouvian est une des fondatrices fin 2018 de Place Publique qu'elle quitte à l'été 2019, coupant tout contact avec cette organisation et dénonçant sa récupération par des professionnels du parti socialiste français.