Les bénévoles, nous en retrouvons dans presque toutes les associations. Ils permettent même d’en faire vivre certaines. C’est dire l’importance de leur investissement. Paysans-Artisans ne déroge pas à la règle. Focus.
Forte de plus de trois cents bénévoles, cette coopérative agit pour un retour aux circuits courts et au commerce local. Créée à Floreffe en 2013, elle s’appuie sur leur participation à chaque niveau de son fonctionnement.
Souvent militants, mais toujours sympathisants, nous avons voulu en savoir un peu plus sur ce qui motive ces bénévoles chez Paysans-Artisans. Les témoignages principaux ont été recueillis lors d’une journée de mise au vert desdits bénévoles. Ils sont complétés par des avis glanés lors de différents événements organisés par la coopérative. Comme les produits, ces motivations sont livrées en vrac. Nous les assemblerons par la suite.
Changer le monde. Briser sa solitude. Faire la nique au capitalisme. Aider un ami, un voisin. Donner un sens à sa vie. Faire sa juste part. Participer à une révolution. Faire quelque chose qui en vaille la peine. Etre solidaire. Participer à construire un monde meilleur. Agir concrètement. Entretenir sa forme. Sociabiliser. Développer une alimentation responsable. Aider les paysans. Boire un verre. Secourir l’agriculture locale. Bien manger. Changer le modèle de société. Aider les producteurs du Sud. Se sentir vivant. Etre solidaire.
Au détour de salades, de concombres et de rencontres
Pascal est bénévole au Point de R’Aliment (PR) de Floreffe. Il a 60 ans et y donne un coup de main les jeudis et vendredis pour l’assemblage. C’est «par hasard» qu’il a commencé. François, son voisin et actuel trésorier de la coopérative, lui parle d’un petit marché qu’il met sur pieds avec des gens du coin. Pascal lui demande ce qu’il attend de lui. «Tu vas mettre des légumes dans un panier». La motivation de Pascal se fait tout de suite jour: «je me dis si ça peut faire plaisir à François et me permettre de recréer un peu le lien, de rencontrer des gens».
Très vite, il s’est rendu compte «qu’il y avait là quelque chose qui se mettait en place, qui prenait corps et âme, qui me plaisait bien et qui répondait un peu aux grandes interrogations que j’avais sur ce que je veux dans ma vie, de ma vie, cette société qui me perturbe un peu et qui a l’air d’aller droit la tête dans le mur». Et d’ajouter «qu’il trouve des ébauches de réponses à ces questions au détour de salades, de concombres et de rencontres».
Julien, lui, est prof d’histoire dans le secondaire. Il est actif dans le PR de Saint-Servais, à la fois pour les permanences mais aussi en participant à l’Université populaire de PA. Il est arrivé là suite à une prise de conscience sur «l’importance de l’alimentation et d’où elle vient». «Originaire d’un milieu rural, j’étais sensibilisé à la préservation d’un mode de vie correct pour les producteurs, les paysans, les fermiers de chez nous. Et donc, quand on a appris qu’une initiative se créait à Saint-Servais, nous sommes allés à la réunion de création, de développement du projet.» En participant à cette initiative, il rejoint ses principales motivations: «1° bien manger; 2° soutenir les producteurs; 3° travailler dans un circuit court».
Nos deux bénévoles se rejoignent dans le conte amérindien du colibri, dont s’inspire Pierre Rabhi pour l’un de ses ouvrages et l’association qu’il fonde avec Cyril Dion. Lors d’un incendie de forêt, tous les animaux restent tétanisés par la peur. Seul le minuscule oiseau transporte quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Il se fait railler par un tatou qui ne voit pas l’intérêt de transporter une si petite quantité d’eau pour éteindre un si grand feu. Le colibri lui répond qu’il fait sa part, sous-entendant que si chacun faisait la sienne, le désastre pourrait être stoppé.
Eh bien, cette juste part, c’est ce que font non seulement Pascal et Julien, c’est également ce que font bon nombre de bénévoles, mais aussi les salariés et les clients, chez Paysans-Artisans. «La part appartient à chacun, petite ou grande», nous dit Pascal qui va même un peu plus loin en parlant de «juste part». Et de préciser: «je suis attentif à donner juste ce que je peux donner, également en terme d’efficacité, donc je ne donne pas trop, mais je ne donne pas trop peu. Je fais attention à ce que ce soit juste et équilibré». Pour Julien, cette part, ce sont des initiatives comme Paysans-Artisans qui sont «les petites gouttes d’eau du colibri».
Du local, du lien et du liant
«On se rend compte de choses complètement incroyables dans des pays d’Amérique du Sud ou d’Afrique, nous explique Julien, où les populations n’ont plus du tout accès à la terre parce que des systèmes de monoculture leur ont été imposés. Les Européens ont décidé que, là-bas, ils devaient produire telle chose parce que leur sol était bon pour ça. Mais ça détruit leur écosystème et c’est mauvais pour tout le monde: pour eux, pour la planète. Et pour nos paysans car on vend au supermarché des haricots qui viennent du Pérou ou des pommes d’Israël alors qu’on en produit chez nous. Il faut revenir à une consommation locale».
De la mondialisation, Pascal nous ramène à cette dimension locale: «en faisant ma juste part dans cette coopérative, en mettant ma petite salade dans le panier, je sais d’où vient cette salade, comment elle a été faite. J’agis et c’est concret. Quand j’ai accompli ma journée de bénévolat, que j’ai mal au dos, je sais de quoi il s’agit, et donc je sais où je vais». Pour enfin fermer la boucle et retrouver Julien sur un autre continent car, «en bout de course, c’est le fameux effet papillon: c’est ma part plus la part de l’autre, et ça aide quelqu’un en Amérique du Sud par exemple».
C’est donc avec un enthousiasme contagieux que les bénévoles s’acquittent de leurs tâches. «D’autres personnes se disent que ça a l’air sympa», constate Pascal. Cela resserre le lien social. «C’est cette ambiance qui qualifie la coopérative, témoigne-t-il. Il y a de la complicité, de l’amitié, entre les bénévoles. Nous ne sommes pas là pour faire des choses uniquement pour les faire. Quand je vais à la coopérative et que je sais que Claude y est, j’ai du plaisir à y aller, je sais que je vais rencontrer Claude et que, accessoirement, on mettra des trucs dans nos paniers». Et pour preuve, l’un des bénévoles rencontrés, mais non interviewé, n’est même pas client chez Paysans-Artisans, il participe aux activités parce qu’il s’y plaît.
Pascal de conclure: «c’est cela qui me permet de rester en forme, de rencontrer des gens et pas de rester bêtement devant ma télé ou ma Playstation, d’avoir un certain équilibre et surtout de donner un sens aux choses, un sens à mes actions et pas de faire des choses uniquement pour les faire».
L’espoir de voir le modèle agro-économique changer unit également les bénévoles, comme Julien qui «pense que participer à ce genre d’initiative c’est participer à une révolution». En effet, «une initiative comme Paysans-Artisans court-circuite l’industrie agro-alimentaire. Le fait de se dire que l’on se trouve dans un rapport direct entre producteur et consommateur, le fait de soutenir une autre agriculture, fait du tort à ce système de production».
En ajoutant tous les Pascal à tous les Julien, c’est à un essaim de colibris que nous avons affaire. Chacun apporte sa part, qu’elle soit juste ou non, avec ses motivations propres, à une autre vision de l’alimentation, hors des grands circuits de production et de distribution, loin de l’exploitation forcenée des terres agricoles, des veaux, vaches, cochons et autres gallinacées. Sans oublier les paysans et les artisans, heureux.
En complément
Reportage de Canal C sur la coopérative (février 2017)