Tous victimes et auteurs de la bougeotte

Au départ « avoir la bougeotte » désignait le plus souvent l’hyper activité d’enfants qui ne savaient pas tenir en place. Le sens que Laurent Castaignède développe dans son livre La bougeotte, nouveau mal du siècle s’applique lui aux sociétés modernes où les déplacements, dans leurs divers modes, ne font que croître, avec les conséquences négatives que cela entraîne.

En Belgique (2021) le secteur des transports, avec l’industrie comptait pour près de 22% des émissions totales de CO2. […] Les transports routiers sont le secteur qui croît le plus vite.

Castagnède estime que « l’épidémie de bougeotte s’est aujourd’hui transformée en une véritable pandémie. » La croissance continue des transports qui, « par leur déploiement segmentent les terres et entraînent leurs artificiellement ». Cela entraîne à l’éloignement physique des maigres espaces naturels que chacun trouvait presque au pied de sa porte auparavant. Aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte que chez soi est une des raisons du besoin de se déplacer dans les loisirs qui, à côté des déplacements professionnels, est source explique l’explosion de la bougeotte. En Belgique (2021) le secteur des transports, avec l’industrie comptait pour près de 22% des émissions totales de CO2. Et ces transports se répartissent pour 72% pour les transports routiers, 14% pour la navigation maritime et à 13,4% pour l’aviation civile. Les transports routiers sont le secteur qui croît le plus vite.

Les penseurs de l’écologie politique, tels Ivan Illich et André Gorz ont tôt dénoncé la gabegie énergétique qui confère à la vitesse un statut social. Les transports rapides et bon marché ont, dans les faits, allongé les distances plutôt qu’ils n’ont réduit les durées des trajets. Les origines profondes de la bougeotte sont multiples, de l’ennui à la curiosité, du désir à la contrainte, de l’envie d’évasion à la quête de « tout voir ».

L’auteur étudie successivement comment ont évolué historiquement les différents secteurs, avec tout seigneur tout honneur, le transport routier.

 

Résultat : la pollution de l’air due aux véhicules à moteur tue plus de personnes que les accidents de la route. […] Et sur le plan environnemental c’est aussi la catastrophe : les transports provoquent 30% des émissions de CO2

L’autophilie

Si les premiers véhicules automoteurs, équipés de moteurs à vapeur, sont apparus en Angleterre dans le courant des années 1820, ils ne furent pas développés, les véhicules hippomobiles restant maîtres des routes pendant quelques décennies. Ce ne fut qu’à la fin du XIXe siècle, avec les moteurs à explosion, que l’automobile a progressivement remplacé les chevaux.
Et c’est au début du XXe siècle que la voiture ne fut plus l’apanage d’une classe très fortunée, mais commença à se répandre dans la population. Après la Seconde Guerre mondiale, cette évolution s’est accélérée pour en arriver à la situation actuelle où 2 milliards de véhicules provoquent des embouteillages tels qu’en ville la vitesse moyenne est quasi celle des diligences 2 siècles plus tôt.
Cela est dû à la multiplication des véhicules, mais aussi l’allongement des distances parcourues. Cet accroissement est dû à l’urbanisation qui a séparé les quartiers d’habitation des zones de loisir et de commerce. Le rêve de beaucoup est la villa 4 façades en zone verte, ce qui accroît fortement les distances pour gagner les fonctions autres que la cité dortoir. Le sommet de cette évolution appelée fonctionnalisme est les hypermarchés, construits loin de tout, à la campagne. Résultat : la pollution de l’air due aux véhicules à moteur tue plus de personnes que les accidents de la route (en 2019, on estimait à 4,2 millions le nombre de décès prématurés provoqués par la pollution de l’air ambiant dans le monde ; en France ce sont 48.000 décès prématurés annuels que l’on compte et 9.400 en Belgique).Et sur le plan environnemental c’est aussi la catastrophe : les transports provoquent 30% des émissions de CO2.L’évolution récente est effrayante : si les moteurs sont un peu plus efficaces, cette amélioration est contrebalancée par l’alourdissement du poids des véhicules. En 2022, les ventes de SUV, ces monstres de 2 tonnes, atteignent une proportion de 50%.

De nos jours, on vante les voitures électriques et l’on développe un contexte réglementaire complaisant, magnifié par l’affirmation que les émissions de CO2 seraient nulles. C’est faux, on ne fait que déplacer les pollutions du véhicule vers les centrales productrices d’électricité. On devra y produire 2 à 3 fois plus d’électricité par rapport à la situation actuelle. Les éléments rares qui seront nécessaires pour les batteries des véhicules électriques (notamment le lithium) prendront demain la place du pétrole dans l’extraction effrénée des ressources naturelles.

 

Le « croisiérisme »

Le « croisièrisme » est le phénomène qui traduit la bougeotte sur les mers. En effet non seulement le transport de fret augmente avec l’éloignement des lieux de production et de consommation, mais la multiplication de croisières par des touristes fortunés voit croître les nuisances du transport maritime. Des navires de plus en plus grands promènent les croisiéristes de lieux touristiques en lieux touristiques sur des paquebots de plus en plus grands. Ainsi, certains navires récents battent tous les records : 300 mètres de long, 220.000 tonnes et 9.000 passagers et membres de l’équipage ! L’utilisation de fuel lourd  provoque l’émission de polluants et de particules fines qui empoisonnent les lieux visités par ce cabotage international.

 

L’« avionite »

Enfin l’« avionite » désigne la croissance de l’utilisation des avions pour des buts touristiques. Ainsi, « …un contexte de trafic démultiplié : 300 fois plus de distance parcourue par les passagers aériens  en 2019 qu’en 1950 ». Cette évolution est due à divers soutiens de la collectivité à ce moyen de transport : kérosène détaxé, construction de voies d’accès routières ou ferroviaires, subventions publiques directes pour attirer des vols dans des zones périphériques. Ajouté au développement du low cost, le tourisme aérien croît de façon exponentielle que rien ne semble pouvoir l’arrêter sans mesures drastiques. Les transports aériens suivent donc une accélération exponentielle. Le tourisme est en grande partie la cause de cette croissance, avec des voyages de plus en plus longs vers les pays exotiques.

Le secteur aérien à lui seul contribue à hauteurs à 3,8% de l’effet de serre si on tient compte des émissions d’oxydes d’azote, NOX et des traînées de condensation.

 

Les remèdes

Le livre se termine par un chapitre sur « les remèdes contre la bougeotte. » Castagnède dénonce le messianisme technologique qui est une croyance qu’il y a une solution technologique à tout problème. Cette manière d’aborder les questions sociétales fait que la technologie est le nouveau sacré et la machine une nouvelle religion. L’innovation est toujours présentée comme LA solution alors que nous devrions plutôt contester nos modes de vie. Le secteur des transports devrait s’inscrire désormais autour d’une logique de ralentissement de la vitesse et d’une diminution des déplacements.

Si certaines nouveautés, comme l’électrification des deux-roues sont considérées comme positives par l’auteur. Sur le plan philosophique, rejoint le constat de Lewis Mumford qui soulignait que « c’est bel et bien l’homme, et non pas la machine, qui devrait être le but ultime du progrès.

 

Laurent Castaignède

La bougeotte, nouveau mal du siècle ?

Transports et Liberté

 

Éditions écosociété, 2021,

vg161 pages, 15 euros