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Traçons un parallèle qui permettra d’illustrer ce dernier argument. On sait que les États-Unis dépensent plus d’argent dans leurs soins de santé que nous
[1], alors qu’ils n’ont pas d’assurance soins de santé obligatoire comme la nôtre mais se reposent essentiellement sur des couvertures assurantielles privées. Dans les deux cas de l’argent est utilisé pour se soigner, et dans les deux cas les dépenses sont d’un ordre de grandeur similaire ; mais dans le premier cas cet argent passe par le marché, dans l’autre il passe par une institution collective.
J’en viens à mon second argument. On présente souvent le régime des salariés et plus encore celui des indépendants comme fondés sur la « valeur travail », comme si celle-ci était absente du régime des fonctionnaires (on a tous en tête des préjugés sur les fonctionnaires paresseux). Or, elle y est bien présente. Simplement, elle est évaluée autrement. Voyons comment.
On l’a dit, pour les fonctionnaires la pension consiste en une partie d’un montant proche de la dernière rémunération. Pour les salariés et les indépendants en revanche, elle consiste en un pourcentage de la moyenne de l’ensemble des revenus professionnels perçus pendant la carrière. Qu’est-ce que cela change ? Pour les salariés et les indépendants, la prise en compte de l’ensemble des rémunérations passées (ou assimilées) implique en principe que les « bonnes années », pendant lesquelles on a bien gagné sa vie, sont grevées par les « mauvaises » ou les moins bonnes. Ceux qui gagnent tout de suite bien leur vie et se sont maintenus à un haut niveau de revenus ont donc une meilleure pension que ceux qui ont connu des années de vaches maigres. Pour les fonctionnaires, les périodes passées sont prises en considération en tant qu’elles ont consisté en des périodes de travail (ou assimilées), et uniquement sous cet aspect ; leur rémunération par contre est sans incidence sur la pension puisque celle-ci est calculée à partir des rémunérations de fin de carrière. Ce qui implique qu’une mauvaise période passée n’aura pas d’effet à la baisse sur le montant futur. Pour prendre un exemple, le fonctionnaire peu ou pas diplômé ayant commencé au bas de l’échelle et ayant gravi les échelons pourra avoir la même pension – à durée de carrière égale – que son collègue universitaire directement engagé à un poste mieux rémunéré.
Ces modes de calcul reposent donc sur deux conceptions distinctes du mérite dans le travail. Dans le régime des salariés et des indépendants, c’est une logique d’évaluation immédiate qui prévaut : où es-tu maintenant, combien es-tu payé aujourd’hui ? c’est l’addition des réponses à cette question, répétée chaque année, qui détermine le montant de la pension. Dans régime des fonctionnaires, c’est une logique d’évaluation d’après le résultat qui est préférée : peu importe par où tu es passé, montre-moi où tu es arrivé.
Alors, des deux types de régime, lequel devrait servir de modèle pour tous les travailleurs ? Rien en tout cas ne me semble justifier qu’on condamne celui des fonctionnaires comme dépassé : outre qu’il promet la stabilité des ressources au retraité sans patrimoine, il présente l’avantage de libérer le travail du besoin de rentabilité immédiate. Sa disparition représenterait à mes yeux un formidable appauvrissement. Non seulement pour les travailleurs concernés, pour qui elle entraînerait un important manque à gagner. Mais aussi quant à la manière de concevoir le travail et sa valorisation dans notre société.
Quentin Detienne,
Professeur à l’Université de Liège
25 mars 2025.
[1] Voir notamment cette source : https://www.drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-01/9%20Comparaisons%20internationales%20de%20la%20d%C3%A9pense%20courante%20de%20sant%C3%A9%20et%20du%20reste%20%C3%A0%20charge.pdf