LES IRAQ WARS LOGS – JULIAN ASSANGE

JULIAN ASSANGE, UNE VIE
Épisode 18
Sa valise contenant trois ordinateurs portables et disques durs WikiLeaks cryptés qui se sont volatilisés au moment du contrôle aéroportuaire
Le 27 septembre 2010, avec l’autorisation du parquet suédois, Julian Assange quitte la Suède pour Londres en passant par Berlin. Malgré ses demandes répétées, il n’a pas été entendu par Marianne Ny, la nouvelle procureure qui a rouvert l’enquête préliminaire sur le dossier suédois. En octobre encore, il se déclarera prêt à revenir témoigner en Suède, mais n’obtiendra pas de réponse… Lors de son voyage, sa valise contenant trois ordinateurs portables et disques durs WikiLeaks cryptés qui se sont volatilisés au moment du contrôle aéroportuaire… Le sort des objets dérobés a été rendu public en 2013, lorsque des informations provenant de ses ordinateurs portables ont été publiées dans les dossiers d’accusation contre Chelsea Manning.

Pendant plusieurs mois, WikiLeaks ne pourra plus recevoir des fuites !
Julian est donc de plus en plus sous pression. D’autant plus que WikiLeaks traverse une crise sans précédent : suite aux tensions provoquées par la publication des Afghans Diaries et l’affaire suédoise, Birgitta Jonsdottir, l’architecte de WikiLeaks et Daniel Domscheit-Berg le n°2 de WikiLeaks, ont quitté l’association. Ces deux derniers ont  emporté avec eux les clés d’accès qui permettaient aux lanceurs d’alerte de soumettre des leaks à WikiLeaks. Pendant plusieurs mois, WikiLeaks ne pourra plus recevoir des fuites !

C’est épaulé par Kristinn Hraffnsson (actuel rédacteur en chef de WikiLeaks) avec qui il collabore depuis l’Islande et par Sarah Harrison, nouvelle venue chez WikiLeaks, qu’il va travailler à publier la suite des leaks de Chelsea Manning, les Iraq War Logs : 391.832 rapports de l’armée américaine qui documentent la guerre et l’occupation en Irak entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2009.

Face au dilemme entre se protéger ou protéger Julian, les journaux choisissent de sauver leur peau en n’affichant pas leur collaboration avec WikiLeaks
Afin de « maximiser l’impact des publications », WikiLeaks entend poursuivre la collaboration avec les grands journaux le Guardian et Der Spiegel. Mais à la veille de la grande conférence de presse organisée à Londres, Sarah Harrison, reçoit un appel téléphonique : les trois journaux confirment leur présence à la conférence de presse, mais, par contre, ils demandent que leurs noms soient retirés de la bannière des organisateurs de l’évènement… Pourquoi cette frilosité ? Laisser leurs noms figurer sur les bannières aux conférences de presse de WikiLeaks les expose à d’éventuelles poursuites judiciaires par les États-Unis. Ils savent que les USA cherchent à inculper Julian Assange en vertu de l’Espionnage Act en l’assimilant à une source (pour ce faire, il leur faut parvenir à établir la complicité entre Chelsea Manning et Julian Assange dans hack des leaks de Manning) plutôt que de le reconnaître comme journaliste, ce qui lui permettrait d’avoir recours aux lois qui protègent la presse. Face au dilemme entre se protéger ou protéger Julian, les journaux choisissent de sauver leur peau en n’affichant pas leur collaboration avec WikiLeaks. Julian Assange commentera :
« Betrayal often comes not as a surprise, but as a recognition »
(« Bien souvent, la trahison n’est pas une surprise, mais une preuve de reconnaissance »).
Voilà pourquoi, quand on parle de Julian Assange, il est toujours bien de rappeler qu’il n’est pas un lanceur d’alerte, mais bien UN JOURNALISTE !

Les Iraq Logs sont encore plus lourds et plus accablants que les Afghans Logs :

CRIMES DE GUERRE : ils dévoilent des actions commises par l’armée américaine, susceptibles d’être jugées comme crimes de guerre. Ils montrent comment les forces de la coalition avaient tué des journalistes et d’autres civils innocents, déshonorant souvent leur mémoire en les qualifiant d’« ennemis tués au combat »…

VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME : les forces américaines savaient que les prisonniers étaient victimes d’abus, de torture, de viol et de meurtre.

VICTIMES CIVILES : les rapports font état de 109.032 morts en Irak, dont une majorité sont des décès de civils (plus de 60%), c’est-à-dire 31 décès de civils/jour pendant 6 ans. L’Irak a été cinq fois plus meurtrier avec une population équivalente.

La crainte de la CIA de voir la population d’Europe occidentale se retourner contre la guerre n’avait cessé d’augmenter
FABRICATION DU CONSENTEMENT EUROPÉEN : les révélations des Iraq Wars Logs seront complétées par un document classé secret de la CIA : le rapport Mémorandum Red Cell, semblable au le nom de l’unité très secrète créée par le directeur de la CIA, George Tenet, au lendemain des attentats du 11 septembre (publié le 26/03/2010). Au cours des guerres en Iraq et Afghanistan, la crainte de la CIA de voir la population d’Europe occidentale se retourner contre la guerre n’avait cessé d’augmenter. Le rapport développait une stratégie pour manipuler l’opinion publique européenne afin d’obtenir son consentement ou du moins entretenir son « apathie » (« public apathy enable leaders to ignore voters » – « L’apathie du public permet aux dirigeants d’ignorer les électeurs »).

– En exploitant le sort des femmes afghanes pour tirer sur les cordes sensibles des Allemands et des Français. Essayer de persuader, en particulier les femmes européennes, que la guerre en Afghanistan était une sorte de projet humanitaire plutôt qu’un effort géostratégique contrôler la région et ses ressources.

– En utilisant la popularité du président Obama parmi les Européens pour donner à la guerre un visage moral, humanitaire et civilisé. Du point de vue de la CIA, la valeur la plus importante d’Obama était d’enjoliver, de « vendre » et de prolonger les guerres, et non d’y mettre fin.

La publication des Irak Wars Logs a permis de faire découvrir, preuves à l’appui, le vrai visage de la guerre en Iraq qui n’avait rien à voir avec la guerre qu’on nous avait vendue. Son impact sur l’opinion publique mondiale sera considérable. À Londres, Nick Clegg, vice-premier ministre commentera :

Je pense que la nature des allégations faites est extrêmement grave. Je pense que tout ce qui suggère que les règles fondamentales de la guerre, des conflits et de l’engagement ont été enfreintes ou que la torture a été tolérée de quelque façon que ce soit est extrêmement grave et doit être examiné.

Beaucoup de personnalités médiatiques et politiques ont sommairement condamné WikiLeaks pour avoir publié les Iraq War Logs, généralement sans aborder les révélations. Hillary Clinton, Secrétaire d’État américaine, a déclaré :

Nous devrions condamner dans les termes les plus clairs la divulgation de toute information classifiée… qui met en danger la vie des militaires des États-Unis et des pays partenaires.
(Nous reconnaissons la stratégie du sang sur les mains expliquée dans l’épisode 16)…

Il est à déplorer que le document Memorandum Red Cell ait été si peu relayé dans la presse.

Voilà. C’était le 18ème épisode de WANTED, la série qui vous emmène au cœur du réacteur de notre monde et vous en dévoile les faces cachées… Demain, la tension va encore monter d’un cran entre les États-Unis et WikiLeaks…

Belgium4Assange

Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc Molitor, Pascale Vielle et Bogdan Zamfir

Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.

A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes.

Sources / Pour en savoir plus

The most dangerous man in the world, Andrew Fowler, Skyhorse Publishing, 2011.

The unauthorized autobiography, Julian Assange, Canongate Books Ltd, 2011.

http://www.entelekheia.fr/2019/05/18/les-revelations-de-wikileaks-n3-la-plus-grande-fuite-de-documents-classes-secrets-de-lhistoire/

https://www.thebureauinvestigates.com/projects/iraq-war-logs.

Sarah Harrison : https://www.refinery29.com/en-gb/wikileaks-sarah-harrison.

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/22/sarah-harrison-n-2-de-wikileaks-prix-willy-brandt-pour-le-courage-politique_4794766_4408996.html.

Concernant la fabrication du consentement européen : https://greenwald.substack.com/p/a-long-forgotten-cia-document-from?fbclid=IwAR0E-f1vcwQE5exB928j6uXkM9UlHkcIuNOMVrGKNU5Dj1GSVmTjdpQ5_eY.