Ce qui, dans l’intention, ne devait être qu’une diversification accessoire d’activité du milieu agricole, une contribution annexe à la transition énergétique, devient aujourd’hui une industrie à part entière.
Sous la pression d’industriels poussant comme des champignons sous une pluie d’automne, les agriculteurs se découvrent une âme de producteurs d’énergie, non pour nourrir sainement les corps, mais pour alimenter nos sacrées bagnoles et la cohorte des gadgets électroniques qui hantent notre quotidien. Ça ne nourrit pas son homme et sa femme, mais ça capitalise.
Si vous pouvez lire ceci, c’est parce que d’autres se sont abonnés.
MERCI À CELLES ET CEUX QUI NOUS SOUTIENNENT !
C’est grâce à vous que nous pouvons publier du contenu.
Vous pouvez aussi nous soutenir en vous abonnant,
sur Tipeee, ou nous soutenir GRATUITEMENT avec Lilo !
Cette offensive, moins médiatisée que la submersion bitumeuse de l’A69, est pourtant massive sur les terres agricoles, naturelles et forestières. Des industriels colonisent les espaces ruraux pour produire une énergie dite renouvelable, mais loin d’être positive, ni même neutre, pour l’environnement. Ce qui ne devait être qu’un complément de revenu pour des agriculteurs devient une opportunité pour des industriels prédateurs, une pompe aspirante d’autant plus puissante qu’elle est arrosée d’importantes subventions.
Les projets sont dès lors d’une proportion tout autre et en viennent à transformer et perturber les paysages ruraux, les biotopes et la cohésion sociale. Ce qui multiplie les luttes locales et fait fédération à travers tout le territoire.
C’est le cas de l’agrivoltaïsme, et de ses « fermes » photovoltaïques. L’agrivoltaïsme, c’est comme le biocarburant, une histoire de préfixes qui sèment la confusion dans l’esprit du public et des agriculteurs, une histoire de verdissement d’un discours pour emballer une prédation. Les installations photovoltaïques au sol sont des installations industrielles qui n’ont rien d’une « ferme » ni d’agricole, comme l’agrocarburant n’a rien de « bio » au sens écologique du terme. « L’histoire de l’agrivoltaïsme est celle d’un coup marketing visant à s’accaparer du foncier, sous couvert de décarbonation », juge Loïc Santiago, de la Coordination nationale des luttes contre le photovoltaïque sur les espaces naturels, agricoles et forestiers.1
Il rappelle que ce concept marketing est né en 2019 de la rencontre entre l’agroforestier Christian Dupraz, encarté à l’époque EELV, et le polytechnicien et industriel du photovoltaïque Antoine Nogier, actuel patron du lobby France agrivoltaïsme (dont est adhérent Dupraz Christian), après avoir conseillé TotalEnergies, EDF, Engie, Areva, etc. Ils ont été rejoints par les syndicats agricoles de la FNSEA et de la Coordination rurale pour tenir les mains des parlementaires qui ont rédigé la loi d’Accélération des énergies renouvelables (AER) en 2023.
Les grandes exploitations agricoles y voient depuis une opportunité capitalistique, tandis que le piège se referme sur les agriculteurs en difficulté dont les terres sont convoitées par les industriels. « Nous souhaitons vivre dignement de notre métier, qui n’est pas de produire de l’énergie. […] La faiblesse du revenu agricole, qui est dénoncée avec force partout en France, ne doit pas être un prétexte pour jeter les paysan·nes en pâture à des firmes énergéticiennes qui précarisent nos droits fonciers », revendique la Confédération paysanne.2
Selon les sources, entre un et deux millions d’hectares sont dans le viseur des industriels. Près de 800 projets sont recensés sur la carte des luttes3, loin d’être exhaustive, et 160 personnes et collectifs ont rallié la Coordination nationale des luttes contre le photovoltaïque sur les espaces naturels. Ils s’opposent formellement aux installations photovoltaïques sur des espaces naturels, agricoles ou forestiers, revendication également portée par la Confédération paysanne.
« Faire croire que des tonnes de métal à l’hectare, des pistes de graviers, des postes transfo, des kilomètres de grillage à plus de deux mètres avec caméras et des kilomètres de câbles enterrés, ne sont pas de l’artificialisation », n’est que rhétorique, juge encore Loïc Santiago. Malgré ces mobilisations contre une préemption des terres agricoles et naturelles et des paysages communs, les luttes pour contrer ces projets sont longues, chronophages et les succès sont encore rares.4
Des marées scintillantes dans nos paysages ruraux et touristiques
Non seulement ces marées scintillantes transforment radicalement nos paysages, mais elles compromettent la vocation première des terres agricoles, celle de nourrir la communauté. L’agrivoltaïsme est l’angle mort du décret d’application de la loi d’Accélération des énergies renouvelables (ARE). Ainsi, s’il précise que sur les parcelles squattées par les panneaux photovoltaïques l’activité agricole doit rester « principale », il n’y a aucune référence à la production et au revenu de l’agriculteur.
Les brebis « alibis », solution la moins contraignante, se multiplient donc pour justifier d’une activité agricole. Or, les indices de perturbations non seulement des rendements agricoles, du bien-être animal, mais également de la biodiversité et de l’hydrologie dans ces parcelles s’accumulent malgré les dénégations des promoteurs.5,6&7
Comme cerises sur le gâteau du paysage, les plus gros projets, comme celui du Lot-et-Garonne (1000 hectares, dix « fermes » solaires sur six communes et 1,2 gigawatts, autant qu’une centrale nucléaire), généreront également l’installation bétonnée de postes source permettant d’injecter le courant sur le réseau, ainsi que des lignes à haute-tension pour acheminer ce courant, le tout en contradiction avec la loi Zéro artificialisation nette (ZAN). On est loin d’une production locale pour une consommation locale.
Pourtant, le gouvernement vient de sabrer les aides aux petites et moyennes installations, notamment pour l’autoconsommation, pour tout miser sur les plus gros projets. Une décision en ligne avec une imminente loi de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) pour la période 2025-2035, qui prévoit que la part de l’électricité dans la consommation énergétique française doit passer de 27 % aujourd’hui à 39 % en 2035. Ceci alors que la production solaire est déjà trop importante durant certaines périodes fastes, parallèlement au retour sur le réseau de nos vieilles centrales nucléaires retapées. À tel point que le prix sur le marché de cette électricité surabondante plonge, dans ces périodes, en dessous de zéro !
C’est donc une ruée sur le foncier agricole, pénalisant encore un peu plus l’installation de nouveaux agriculteurs et agricultrices, sans pour autant sauver les paysans en difficulté. « La question centrale pour garder et installer des paysan·nes est celle du revenu issu de nos productions agricoles, sans avoir besoin de revenu issu de la production d’énergie », appuie la Confédération paysanne.
L’impact est également économique dans les régions touristiques qui s’appuient sur la qualité de leurs paysages et sites naturels ainsi que sur leurs circuits de fermes et produits locaux. Bardés de centaines d’hectares de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes, il y a fort à parier que ces paysages seront moins attirants.
Autre accaparement de terres agricoles normalement dévolues à l’alimentation, celui des agrocarburants qui alimentent les moteurs thermiques, qui là encore, prennent la place d’une production alimentaire pour la « souveraineté » vendue par la FNSEA.
Il faut dire que le président de ce syndicat patronal, Arnaud Rousseau, est aussi le patron d’Avril, quatrième groupe agro-industriel français (8 milliards d’euros de chiffre d’affaires) et spécialisé dans les huiles (Lesieur…) et protéines végétales (alimentation animale) ainsi que dans les carburants (diester) et la chimie.
Pour faire bonne mesure, il faut y ajouter la méthanisation, dont les installations autrefois limitées à une ou deux exploitations pour valoriser des déchets agricoles, deviennent aujourd’hui des installations industrielles dont l’appétit en matières premières réclame des cultures dédiées, là encore au mépris de la production alimentaire. Sans oublier les nombreux dysfonctionnements et accidents générant des pollutions et des risques pour le voisinage.
Concurrence effrénée sur la ressource forestière
Les forêts font également l’objet d’une prédation massive tant par les « fermes » photovoltaïques que par les producteurs d’énergie qui s’accolent sans vergogne des étiquettes « verts » ou « durables ».8 Bûches compressées, biochar9, hydrogène, carburant aviation, les forêts de l’Hexagone deviennent là encore le terrain de jeu des industriels qui font main basse sur la ressource, avec la bénédiction des subventions publiques.
Cette ressource, qualifiée de « durable » dans le discours commun politique et industriel, risque pourtant de s’assécher très vite au vu de la multiplication des utilisateurs de tronçonneuses et autres pelles abatteuses pour le bois de construction, le bois de chauffage, la pâte à papier, l’ameublement, etc. Sans oublier les Chinois qui achètent du bois français pour le travailler chez eux et nous le renvoyer transformé.
Si tous ces industriels « verts » promettent qu’ils utiliseront une « sylviculture fine » pour renouveler la ressource, il y a fort à parier que cela se terminera en monoculture d’espèces à croissance rapide et que ces plantations à fort besoin de pesticides fragiliseront encore un peu plus les forêts naturelles, victimes du réchauffement climatique. De plus, cela n’effacera pas la dette écologique : les arbres coupés aujourd’hui et transformés en carburants brûlés à court terme seront remplacés par des plantations qui ne recaptureront le carbone émis que dans plusieurs décennies.
La sobriété d’abord
Bien sûr, les énergies renouvelables ont un rôle essentiel à jouer pour remplacer l’énergie issue du pétrole ou du charbon, et ce le plus rapidement possible. Mais l’explosion des énergies renouvelables ne se substitue pas, ou à la marge, au pétrole dont la consommation est loin de baisser en proportion. Elles s’ajoutent donc aux énergies carbonées et nucléaire pour une consommation totale d’énergie en forte progression.
Le gouvernement abandonne en rase campagne les objectifs de sobriété, premier gisement de diminution des factures et des besoins. Comme il joue double jeu en disant viser une souveraineté alimentaire tout en livrant les terres nourricières aux industriels de l’énergie, et en favorisant toujours plus les exportations de produits agricoles… et d’énergie.
Le photovoltaïque doit d’abord coloniser les toitures, les façades, et toutes les zones déjà artificialisées : friches industrielles, parkings, hangars… tandis que les terres agricoles doivent rester dans le giron vital de l’alimentation humaine. On peut se passer un temps d’électricité, pas de nourriture.
Les énergies renouvelables doivent, parallèlement aux efforts de sobriété, favoriser les autonomies locales avec des mix-énergétiques adaptés aux configurations géographiques. De plus, ces projets doivent être partagés, c’est-à-dire élaborés dans un cadre de démocratie locale et participative, voire en favorisant la création de coopératives attachées à des territoires délimités. C’est la seule voie possible pour une acceptation sociale.