Des voies pour CHANGER L’EUROPE – Hubertus Buchstein et Michael Hein

Des personnalités du monde politique, académique ou citoyen formulent des propositions tendant à sortir l’Europe du marasme. Ces propositions vont de formules modérées s’inscrivant dans le cadre des traités européens existants à des solutions plus radicales impliquant une véritable refondation des institutions européennes, voire leur disparition.

POUR.press lance une nouvelle série «Des voies pour CHANGER L’EUROPE» avec leurs propositions.

Introduction – Des voies pour CHANGER L’EUROPE
1ère proposition – Hubert Védrine
2ème proposition – Yanis Varoufakis
3ème proposition – Thomas Piketty
4ème proposition – Paul N. Goldschmidt
5ème proposition – Andrew Duff

Hubertus Buchstein: professeur d’université, enseignement et recherche en théorie politique et Histoire des idées politiques (depuis 1999).

Michael Hein: post-doctorant à l’Université Humboldt de Berlin, Département des Sciences Sociales, Chaire de Politique comparée et des Systèmes Politiques d’Europe de l’Est.

Ces deux chercheurs ont formulé une proposition ambitieuse et très détaillée d’introduction du tirage au sort dans le recrutement des institutions de l’Union Européenne.

La présentation suivante est basée sur la recension, par Laurence Morel, de deux livres:
• Gil Delannoi & Oliver Dowlen (eds.), Sortition, theory and Practice, Imprint Academic, UK (Exeter) and USA (Charlottesville), 2010, 181 pages.
• Gil Delannoi,
 Le retour du tirage au Sort en Politique, Fondapol (Fondation pour l’innovation politique), décembre 2010, 34 pages.

Tirage au sort dans les institutions de l’UE

Selon ces deux chercheurs, le tirage au sort serait susceptible d’intervenir efficacement à trois niveaux institutionnels cruciaux, pour réduire les «trois déficits communautaires»: le déficit démocratique, le déficit de transparence, et le déficit d’efficacité.

Au niveau de la Commission, le tirage au sort de ses membres devrait légitimer la réduction de leur nombre, condition pour aboutir à une meilleure gouvernance: «Le tirage au sort fournit un moyen comparativement facile de générer une Commission plus petite avec des domaines de responsabilité politique organisés de manière efficiente et une meilleure capacité d’action politique».

Au niveau du Parlement, le tirage au sort des membres des commissions parlementaires, ainsi que de leurs présidents et rapporteurs, devrait permettre de réduire la corruption et l’influence des lobbies, que les auteurs attribuent à la longévité excessive des détenteurs de ces positions, perpétuellement reconduits dans leurs fonctions. Ainsi se trouverait également accrue l’égalité entre les membres du Parlement pour l’accès à ces postes.

Une Chambre de «tirés au sort». Buchstein et Hein recommandent enfin la constitution d’une European House of Lots de 200 citoyens tirés au sort, qui viendrait s’ajouter au Parlement Européen et serait dotée de pouvoirs substantiels en matière législative:

  • Droit d’adresser des recommandations au Parlement, à la Commission ou au Conseil;
  • Droit de veto;
  • Droit d’initiative en matière législative et pour d’éventuelles modifications des traités en vigueur;
  • Droit d’approbation des changements institutionnels de l’Union;
  • Droit d’approbation de l’adhésion de nouveaux états membres.

Pour tenir compte des fortes disparités en termes de population, entre Etats membres de l’Union européenne, le principe du tirage au sort serait assorti du principe de «proportionnalité dégressive».

Ainsi le nombre d’individus parmi lesquels il est tiré au sort serait, pour chaque pays membre, dégressivement proportionnel à sa population. En d’autres termes, les grands pays seraient sous-représentés et les petits pays surreprésentés dans le pool, mais les premiers auraient néanmoins la garantie de disposer d’un nombre supérieur de «tirés au sort».

Ce principe est déjà appliqué dans la répartition des sièges de l’actuel Parlement européen.

L’Allemagne, plus grand pays de l’UE en population y dispose de 96 sièges, soit 1 siège pour 846.000 habitants; la Belgique de 21 sièges, soit 1 siège pour 536.000 habitants; le G-D. de Luxembourg de 6 sièges soit 1 pour 94.000 habitants.

Une telle chambre permettrait d’accroître la teneur délibérative et participative du processus de décision européen, affirment les auteurs.

Elle souffrirait probablement à ses débuts d’une faible légitimité, mais avec le temps, ainsi que la diffusion du tirage au sort dans de nombreuses sphères de la vie politique et sociale, cette légitimité devrait augmenter.

Laurence Morel, qui commente ces propositions, ajoute quelques appréciations personnelles intéressantes:

L’argument selon lequel le tirage au sort d’un nombre réduit de Commissaires européens permettrait d’améliorer la gouvernance est assez convaincant, mais ce qui est gagné d’un côté ne serait-il pas perdu de l’autre avec la création d’une seconde Chambre aux pouvoirs substantiels venant alourdir la procédure législative?

Ces propositions visant à instiller une «dose» de tirage au sort dans les rouages des systèmes politiques modernes pourraient transformer beaucoup plus radicalement ces systèmes que ne le laissent présager leurs auteurs. Même si formellement la démocratie représentative continuerait à prédominer, au travers de l’élection et du principe d’indépendance des élus, l’esprit de la démocratie directe pourrait pénétrer les institutions au-delà de toute attente.

Voilà une nouvelle «voie pour changer l’Europe» innovatrice et qui rejoint les préoccupations de nombreux spécialistes en science politique et, surtout, de nombreux groupes de citoyen/ne/s.

Rappelons à ce sujet l’article d’Anne De Muelenaere, «Le tirage au sort, une innovation pour sauver nos démocraties?».