Déjà plus de sept semaines qu’environ 430 des 475 sans-papiers qui occupent l’église du Béguinage ainsi que les campus de la VUB et de l’ULB ont entamé une grève de la faim. Elle fait office de dernier recours pour les quelques 475 occupants qui exigent une régularisation de leur situation.
Les sans-papiers, eux, ne veulent plus de promesses. Ils veulent des actes.
Le jeudi 8 juillet 2021, et après plus de six semaines de grève de la faim, le rapporteur de l’ONU et professeur de droit à l’UCLouvain, Olivier De Schutter, est venu, à leur demande, rencontrer certains des porte-paroles de l’Union des sans-papiers pour la Régularisation (USPR) à l’église du Béguinage. Sa promesse ? Faire prochainement part de ses préoccupations au gouvernement belge par le biais d’une « communication officielle », tel que l’exige la procédure officielle de l’ONU. Mais les sans-papiers, eux, ne veulent plus de promesses. Ils veulent des actes. Ils veulent que des décisions soient prises pour mettre fin à bientôt deux ans de précarité liée à la crise sanitaire du COVID-19, à près de six mois d’occupation et à plus de sept semaines de grève de la faim.
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La plupart des 475 occupants sont en Belgique depuis de longues années, jusqu’à 27 ans. Ce mouvement ne vise pas uniquement à dénoncer leur situation depuis le début de la crise sanitaire. Celle-ci, au-delà de les avoir plongés dans la précarité la plus totale, est venue amplifier des problèmes déjà existants : travail illégal, conditions de travail déplorables, abus sexuels sur des employées, salaires dérisoires (parfois moins de 5 euros de l’heure), impossibilité de cotiser pour une pension, pour le chômage, pour la santé… la liste est longue. Certains avaient eu la « chance » d’obtenir un titre de séjour lors de la vague de régularisation de 2009. Une chance visiblement caduque puisque le gouvernement belge a retiré le droit de séjour de manière arbitraire à des travailleurs qui l’avaient obtenu de leur plein droit et qu’ils surnomment les « victimes de 2009 ». Ce sont toutes ces raisons qui ont poussé les occupants à prendre une décision de groupe et entamer une grève de la faim.
On a manifesté pendant le premier confinement, ils ne nous ont pas écoutés. On occupe trois lieux historiques dans la lutte des sans-papiers en Belgique depuis plus de six mois, ça n’a pas d’effet. La grève de la faim, c’est notre dernière carte à jouer pour être écoutés
explique Tarik, l’un des porte-paroles de l’USPR et occupant à l’église du Béguinage. Une grève de la faim symbolique donc, puisqu’elle fait écho à celle engagée par les 230 occupants du même lieu en 2009. Omar Radi, également porte-parole de l’USPR et coordinateur entre les différents lieux d’occupations et occupants de l’ULB sur le campus de la Plaine alerte de la gravité de la situation :
On appelle entre 10 et 15 ambulances par jour pour des crises cardiaques, des crises d’hypoglycémie. Après chaque tweet de Sammy Mahdi – secrétaire d’état à l’Asile et à la migration et chargé de la loterie nationale en 2020 au sein du gouvernement De Croo – des gens pètent des plombs. On a eu 6 tentatives de suicide ici. Quelqu’un a avalé une lame de rasoir, deux personnes ont avalé des piles de télécommande, un autre un briquet.
Omar, lui, ne fait pas 100% de la grève de la faim pour être apte à assister aux négociations mais il a tout de même perdu 16 kilos en l’espace de six semaines. Tous espèrent que leurs efforts porteront leurs fruits, c’est-à-dire la création de critères clairs et permanents ainsi que d’une commission indépendante pour l’octroi des titres de séjour.
Un vide juridique propre à la Belgique
La Belgique est un des seuls pays à ne pas prévoir de critères clairs et permanents pour la régularisation des sans-papiers.
Et c’est là que les chose se compliquent. En effet et contrairement à la plupart des pays européens, la Belgique n’a aucun cadre juridique clair quant à la régularisation des sans-papiers. En Espagne, les sans-papiers désireux de voir leur situation régularisée doivent répondre à trois critères permanents : avoir vécu trois ans sur le territoire espagnol et disposer d’un casier judiciaire vierge ainsi que d’une promesse d’embauche. Si ces trois critères sont remplis, l’Etat espagnol s’engage à leur adresser une réponse, normalement positive, dans les six mois après le dépôt de la demande. En France, les sans-papiers doivent avoir vécu trois ans sur le territoire national et disposer de 24 fiches de paies pour pouvoir introduire un dossier. L’Allemagne a récemment adopté une loi, certes controversée, mais qui facilite la régularisation des sans-papiers qui souhaitent travailler dans des secteurs en manque de main d’œuvre. Au Portugal, sur du moins long terme, les sans-papiers ont été régularisés pour bénéficier des aides sociales et faire face tant bien que mal à la crise sanitaire du COVID-19. L’Italie a emboité le pas 3 mois après le Portugal. Plusieurs pays membres de l’Union Européenne ont donc faits des efforts, à différentes échelles, mais en Belgique rien. Sur le court terme, la plupart des sans-papiers, employés illégalement dans des secteurs en manque de main d’œuvre, se retrouvent sans revenus à cause de la pandémie. Et sur le long terme, toujours rien. La Belgique est un des seuls pays à ne pas prévoir de critères clairs et permanents pour la régularisation des sans-papiers. Ces derniers, lorsqu’ils formulent une demande de titre de séjour, se jettent dans le vide. Déjà parce qu’il n’existe aucun cadre dans lequel ils pourraient rentrer. L’article 9bis de la loi belge stipule qu’un sans-papiers ou demandeur d’asile peut formuler une demande « quand des circonstances exceptionnelles justifient que la demande soit introduite en Belgique ». Une phrase qui laisse libre cours à interprétation. L’article 9ter dit qu’une demande peut être introduite « pour des raisons médicales ». Enfin, l’article 25/2 concerne les personnes qui séjournent « déjà légalement en Belgique ». Aucune de ces trois lois ne s’appliquent à leur cas. Plus, il n’existe pas de délai de réponse en Belgique. Certains sans-papiers ont attendu jusqu’à six ans avant d’avoir une réponse de l’Office des Etrangers.
Ce vide juridique ainsi que l’ignorance du gouvernement à l’égard des grévistes de la faim semblent totalement aberrants. La population active vieillit en Belgique, et comme presque partout en Europe. Selon le dernier rapport du Center for Global Development « Can Africa Help Europe Avoid Its Looming Aging Crisis? », l’Europe devrait compter une centaine de millions de travailleurs de moins qu’en 2015 à l’horizon 2050. Les sans-papiers pourraient donc combler ce manque. D’autant plus que la plupart d’entre eux travaillait dans des secteurs déjà en manque de main d’œuvre. Tous ces aspects mis bout à bout donnent une lueur d’espoir aux 475 occupants du Béguinage, de la VUB et de l’ULB. Comme Tarik, porte-parole au Béguinage, le dit :
On ira jusqu’où il faut pour récupérer une certaine dignité, on en a marre d’être des esclaves, on préfère mourir avec honneur que continuer à être exploités.
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