Chronique de ma vie avec Élisa
Avec sa jupe blanche et son chandail bleu marine, Élisa est entrée dans ma vie comme elle l’a fait dans la chambre d’hôpital. En trébuchant. Le smartphone à la main. À deux doigts de perdre l’équilibre pour valser dans le lit vide à côté du mien. In extremis, elle n’en fit rien. Abandonnant sa console, le petit prince lui a sauté dans les bras pour brailler avec enthousiasme des « Maman, Maman », « Le monsieur va bien » et d’autres choses du même acabit. Je l’ai dévisagée. Avec sa peau claire et ses longs cheveux châtains tenus en arrière par un élastique fantaisie, elle n’avait rien d’une tragédie grecque (de quoi fallait-il donc la sauver ?). Elle m’a souri. J’ai souri aussi. Sans qu’on s’en aperçoive, un petit fil invisible s’est tendu entre nos sourires.
Quelques jours plus tard, ce fil nous prenait par la main le temps d’un repas dans un restaurant proposant d’excellents vins et des menus « spécial enfants ». (Je tenais à offrir ce repas au petit prince et à sa maman, en guise de remerciement). Ce fut une soirée mi-figue, mi-raisin. à force de la voir s’absenter pour lire et envoyer des messages, j’ai trouvé Élisa parfaitement agaçante. À l’inverse, le tête-à-tête avec son fils fut émouvant.
« Je peux continuer à t’appeler « petit prince » ? » fut le début de notre conversation. Il n’a pas dit oui, il n’a pas dit non. Il a tenu à connaître l’histoire, la vraie, celle du conte de Saint-Exupéry. Alors, je la lui ai racontée, entrecoupée de multiples relances de sa part, auxquelles je répondais en inventant moult détails qui nous tinrent en haleine, lui comme moi, tout au long du repas. Au dessert, il m’appelait l’« aviateur ». Puis m’expliqua qu’il était heureux de revoir sa maman après une semaine passée chez son papa.
– « Ah bon. Et tu as fait de belles rencontres en visitant la planète Papa ?
– Pas vraiment. Papa m’a envoyé sur la planète Grand-mère : là-bas, ça sent pas bon et on peut pas faire de bruit, sinon elle crie. Le reste du temps, j’étais sur la planète école !
– Et quoi ? Là non plus, pas de créatures fantastiques ?
– Oh si, j’ai croisé un monstre effrayant !
– Lequel ?
– Examen-de-Matématik…
– À coup sûr, un monstre hideux et repoussant.
– Oui, il habitait un nid plein de chiffres, que la maîtresse nous a donné pour qu’on gagne des points. Comme dans les jeux vidéo. Pour le faire fuir, j’ai dû le dessiner sur la feuille et lui planter une épée dans le cœur !
– Hum, je crains que ta maman n’apprécie pas beaucoup cette histoire…»
Il a haussé les épaules, comme si ça n’avait pas grande importance – ni pour elle, ni pour lui – et j’en ai eu le cœur pincé. À tort ou à raison, j’ai vu le petit prince se transformer en enfant perdu dans un monde d’adultes trop bêtes ou trop méchants pour lui… Père absent ? Maman ultra-connectée ? Parents paumés se l’envoyant comme une balle de ping-pong pour régler leurs malentendus passés ? Ces questions se bousculaient dans ma tête et j’hésitais sur la manière d’en apprendre davantage lorsque sa mère, manifestement agacée par sa conversation téléphonique, est revenue pour s’excuser. Séance tenante, ils devaient s’en aller. Du bout des lèvres, elle accéda à la requête de son fils s’exclamant : « Maman, maman. Il est trop cool, l’aviateur. Est-ce qu’on peut le revoir bientôt ? »
Pour accéder à l’intégralité de cet article, vous devez vous connecter (connexion) ou souscrire à l’Abonnement numérique.
Bruno Poncelet
« Chroniques de ma vie avec Élisa » Épisode 1 : Le petit prince du jeu vidéo |
Illustration : Catherine Vander Elst