Lutter contre BlackRock au temps de la peste

En plein confinement, des activistes se mobilisent pour faire annuler le contrat attribué à BlackRock par la Commission Européenne pour imaginer la finance durable. Alors que la pandémie est dans tous les esprits, il s’agit d’expliquer le conflit d’intérêt et l’urgence d’une régulation contraignante sur les investissements irresponsables. 

Durant l’été 2020, comme des milliards de personnes, j’étais exclu de toute vie sociale et je m’en sortais à peine par manque de travail. Entre la cuisine, le canapé et la promenade dans le parc, j’écrivais de longs courriels à des ONG et à divers médias d’investigation pour expliquer Show Me Finance et tenter d’obtenir un financement, ou au moins un soutien pour une publication. Sans succès. L’article ne promettait que beaucoup de codage complexe et pas de gros titres. J’en tirais tout au plus quelques marques d’intérêt, mais pas grand-chose d’autre. À l’époque, j’envisageais sérieusement de donner à Show Me Finance une entité légale, puis de rechercher des fonds auprès de donateurs publics et privés. Cela semblait être la seule façon d’aller de l’avant, mais la perspective de la paperasse administrative diluait ma confiance en paresse anxieuse. Je ne savais pas ce que signifiait gérer une organisation quand j’ai commencé à creuser les données financières.

Alors que mes collaborateurs-ices gagnaient en ambition et perdaient en patience, je commençais à prendre conscience de la quantité réelle de travail nécessaire pour professionnaliser un projet comme Show Me Finance. C’est dans un moment comme ça que j’ai reçu une réponse à l’un des emails que j’avais envoyés. Une réponse de Loris, qui travaillait pour Finance Watch.

Loris n’est pas son vrai nom, je vais donner des pseudonymes à toutes les personnes impliquées dans la campagne contre BlackRock. Les noms des organisations sont réels.

Pas un job pour des amateurs
On s’est fixé une réunion en ligne. C’était encore sommaire à ce moment-là, chaque appel était interrompu par des bugs de connexion. Loris avait lu mon email sur Show Me Finance et écoutait patiemment ma présentation. “C’est impressionnant,” dit-il. Il aurait pu s’arrêter là et faire ma journée. Je ne cherchais rien d’autre qu’un peu de validation, probablement depuis plus longtemps que je ne me souvienne. Il a aimé la recherche sur les transactions financières dans les données publiques, le laboratoire civique composé de geeks bénévoles, le projet axé sur la transparence. “Mais je ne vois pas vraiment ce qu’on peut faire avec ça.” Aille. Exactement ce que j’espérais que Loris m’aiderait à comprendre. “Nous avons peu de personnes qui sont des économistes de formation professionnelle et ils ont un calendrier serré. Ça ne fonctionne pas comme ça, nous ne pouvons pas simplement inclure de nouvelles analyses de données dans l’organisation. Nous planifions notre stratégie des années à l’avance et mettons en place nos équipes et notre budget en conséquence.” Pas un job pour les amateurs. Loris était sympathique mais il m’épargna les faux espoirs.

J’ai pensé à retourner enseigner en école secondaire, face à des adolescents qui poseraient des questions sur le fonctionnement du monde. Sur l’argent, la politique et la justice. L’option de la recherche de financement pour Show Me Finance était une pente raide. “Ecoute,” dit-il en regardant ma tristesse en basse résolution. “Il y a cette nouvelle campagne pour laquelle on a besoin de bénévoles. Il s’agit de BlackRock, tu vois ce que c’est ?”.

BlackRock engagé par la Commission pour l’aider à réguler la finance durable
La première fois que j’avais entendu ce nom, c’était en 2008, quand BlackRock a été engagé par la Réserve fédérale américaine pour régler le problème des “credit default swaps”, les produits structurés qui ont provoqué un krach financier cette année-là. “Cette fois-ci, BlackRock a été engagé par la Commission Européenne pour étudier les aspects techniques de la réglementation de la finance durable.”

Jan Wijnants 1631-1684 Amsterdam Lisière de forêt
BlackRock, paradis fiscaux et déforestation [dossier]

En 2020, la plate-forme Change Finance lance une campagne contre l’influence de BlackRock sur la régulation de la finance durable en Europe et tente de faire peser la société civile face au secteur financier.


By Antoine Kopij

Après avoir participé à la campagne du CADTM contre les fonds vautours en 2016, Antoine se met à apprendre le code pour pouvoir accéder aux données du marché secondaire de la dette des états. En 2019, Il reçoit un coup de main technique du civic lab de la Open Knowledge Foundation et lance le blog Show Me Finance. Avec l’aide d’une équipe de bénévoles de la finance, il analyse les données publiques de la finance européenne. Le groupe se dissout en 2020, et Antoine rejoint la campagne Change Finance contre l’influence de BlackRock sur la régulation européenne de la finance durable.  Antoine est formateur de langues en freelance, aime l’analyse de données et enquêter sur les paradis fiscaux. antoinekopij [at] gmail [dot] com