Dès la fin du Moyen Âge, la prostitution était présente dans les villes commerçantes des Plats Pays. Alternant pendant longtemps entre tolérance et répression, les Pays-Bas et la Belgique ont fini par adopter des approches certes différentes mais libérales à l’égard du commerce du sexe. Or, on est encore loin de la normalisation de la prostitution.
Les lieux d’activité commerciale sont aussi des lieux de commerce sexuel. Avec l’essor des Pays-Bas méridionaux et septentrionaux, la fin du Moyen Âge voit le développement d’une industrie du sexe avant la lettre. Les artisans, marchands, marins, soldats, artistes, étudiants ou diplomates, locaux et «étrangers», peuvent assouvir leurs pulsions charnelles dans des maisons closes, des «bains publics», des tavernes, des auberges ou des «maisons de plaisir» qui offrent une large gamme de divertissements, en fonction du budget. Les autorités religieuses et laïques ne voient pas la «putasserie» d’un bon œil, mais la considèrent comme un mal nécessaire qui doit être réglementé ou à tout le moins toléré pour éviter une aggravation de la situation.
Entre la fin du Moyen Âge et le début des Temps modernes, tolérance et répression alternent dans des villes portuaires comme Bruges, Anvers et Amsterdam, des plaques tournantes du commerce comme Gand, Leyde et Louvain, et des bastions de pouvoir comme Bruxelles et La Haye.
Objectif identique, moyens différents
C’est Napoléon Bonaparte qui sera à l’origine d’un changement majeur. Au début du XIXe siècle, il instaure un système de réglementation moderne pour prévenir la propagation des maladies vénériennes. Ce système de contrôle sophistiqué est censé protéger l’ensemble de la population contre la prostitution non réglementée.
Après la chute définitive de Napoléon en 1815, bon nombre de pays européens conservent ce système afin de tenir en bride le plus vieux métier du monde. Mais toutes les puissances européennes ne sont pas convaincues de son efficacité. Alors qu’Anvers, Bruxelles et Paris se montrent tout à fait favorables à la réglementation, les Britanniques et les Néerlandais le sont beaucoup moins et tiennent principalement les villes de garnison et les territoires coloniaux à l’œil. Londres, par exemple, n’a jamais mis en œuvre le système. Amsterdam l’a fait, mais de manière très différente du zèle réglementaire qui caractérise les villes belges.
La Belgique est alors connue pour être un pays hyperrégulateur. En théorie, la réglementation belge est censée non seulement prévenir les maladies, mais aussi offrir un certain degré de protection aux prostituées enregistrées. Dans la pratique, le système instaure un contrôle très strict des femmes qui vendent des services sexuels. Elles doivent non seulement se faire enregistrer, mais aussi se soumettre à des examens médicaux pénibles et humiliants, travailler dans des maisons closes et se tenir éloignées des églises et des écoles.
Les autorités amstellodamoises, ainsi que la population en général, ne sont pas convaincues par cette approche contraignante –non pas parce qu’à l’époque elles considèrent déjà la prostitution comme une forme de travail, mais parce qu’elles reconnaissent l’inefficacité du système. L’idée selon laquelle la prostitution est le symbole du patriarcat prend également forme, contribuant à la critique internationale du système réglementaire.
À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les critiques se font de plus en plus vives. Le mouvement abolitionniste britannique, qui entend se débarrasser de la réglementation de la prostitution, s’étend rapidement. L’«abolitionnisme» n’entend pas éradiquer la prostitution elle-même, mais interdire son organisation. En d’autres termes, il ne s’agit pas de sanctionner la vente de prestations sexuelles, mais bien la publicité, la tenue d’un bordel ou toute aide comptable. Les abolitionnistes disposent d’arguments solides: non seulement le système de réglementation est inefficace et immoral, il est même criminel. Ils estiment que les maladies vénériennes vont continuer à se propager tant que l’immoralité prévaut et que les hommes cèdent à leurs pulsions sexuelles. Les bordels réglementés favorisent en outre la «traite des Blanches». La morale à géométrie variable de la réglementation, conjuguée à la peur de la traite des êtres humains, rend le système indéfendable.
Le mouvement abolitionniste engrange l’un de ses premiers succès à Amsterdam, qui instaure une interdiction des maisons closes en 1897. C’est en 1911 qu’une politique abolitionniste à l’échelle du pays voit le jour. La Belgique, par contre, attendra 1948 pour abolir son système réglementaire. Si les deux pays optent pour l’abolitionnisme, c’est parce qu’ils ne sont pas favorables à l’interdiction pure et simple ou au «prohibitionnisme» qui a cours en Union soviétique et aux États-Unis, entre autres.
La suite sur le site de Plats pays : https://www.les-plats-pays.com/article/le-sexe-tarife-legalise-aux-pays-bas-depenalise-en-belgique/
traduit par Ludovic Pierard, 29 octobre 2023.