Le genou en travers de la gorge : ça fait 500 ans !

Leur Histoire est la nôtre. Leur histoire et la nôtre.

Des traites esclavagistes aux rapports Nord-Sud aujourd’hui.

L’actuel débat sur le déboulonnage des statues coloniales montre la difficulté des anciens pays colonisateurs à faire face à une histoire coloniale qui dépasse le cadre du récit national. Parmi les mouvements décoloniaux, antiracistes et afrodescendants, plusieurs positionnements s’expriment : déboulonner ces statues à la gloire des acteurs de la colonisation, n’est-ce pas aussi effacer les traces d’un crime commis à l’encontre des populations d’Afrique, sous prétexte de le réparer ? En Europe et aux États-Unis, la mémoire collective de l’esclavage et de la colonisation s’est largement construite par omission : taire, oublier, rendre tabou, effacer mais surtout, en dire le moins possible sur l’horreur de ce passé colonial qui ne s’avoue pas. Pourtant, aujourd’hui, cette histoire ressurgit dans un contexte de dénonciation des violences policières à caractère racial et  postcolonial instigué par le meurtre violent de Georges Floyd, tué par un policier blanc le 25 mai dernier. Impulsés par un racisme structurel qui fait système au sein du Nord global, ces actes racistes restent globalement impunis. Pour resituer les choses, il faut préciser que cet événement est survenu juste après la période de confinement mondial qui a accentué les inégalités subies par les personnes racisées, souvent surexposées et confrontées à une plus grande précarité mais aussi à l’augmentation de la présence et des violences policières dans certains quartiers. Le meurtre de Georges Floyd a agi comme un détonateur sur toute cette colère acumulée depuis des siècles d’inégalités raciales, et à plus forte raison pendant le confinement. Aujourd’hui, cette colère éclate dans la rue, les voix s’élèvent et le silence se brise.

Afin de contribuer à ce mouvement et lever le voile sur ces questions, POUR a décidé de lancer un « fil rouge » qui propose d’analyser ces violences, et plus généralement, le fonctionnement de nos sociétés occidentales, sous un prisme décolonial, c’est-à-dire en proposant une lecture de ces événements à la lueur du passé colonial et esclavagiste de ces civilisations. Ce projet s’étalera sur plusieurs mois avec publication tous les mercredis d’un contenu (article, podcast ou vidéo) en rapport avec l’histoire des relations entre le Nord et le Sud et leurs implications actuelles. Nous commencerons par retracer l’histoire de l’esclavage depuis les première révoltes d’esclaves dans l’Antiquité, puis celles des plantations haïtiennes, jusqu’à l’exploitation des minerais qui servent dans nos téléphones, en montrant comment cette période d’esclavagisme a structuré l’ère industrielle et le capitalisme. Puis dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur le passé colonial des sociétés européennes ainsi que sur la manière dont cette histoire se recompose au présent à travers la perpétuation des inégalités économiques entre le Nord et le Sud, mais également à travers la construction d’une mémoire collective biaisée et la systématisation d’un racisme ordinaire.

« Je ne comprends pas quil puisse encore y avoir des noirs aux États-Unis » disait récemment le philosophe Norman Ajari[1]. L’assassinat de Georges Floyd donne un sens bien regrettable à ces propos. En France, cet événement Outre-Atlantique a convoqué le souvenir cuisant du meurtre d’Adama Traoré, un jeune homme de 24 ans tué devant une caserne de police lors d’une interpellation musclée, il y a 4 ans de cela. Le 2 juin, un rassemblement de 20.000 personnes a eu lieu devant le tribunal de Paris pour protester contre les violences policières, en réclamant « Justice pour Adama ! » [2] tandis qu’en Belgique, des policiers se félicitent d’avoir  « percuté Adil », un jeune Bruxellois de 19 ans[3]. En parallèle de ces événements, Mediapart a révélé une affaire impliquant un groupe de policiers Rouennais ayant tenu des propos racistes d’une extrême violence sur un groupe de messagerie Whatsapp, pointant du doigt la persistance (ou la résurgence ?) de l’idéologie fasciste.[4] Pendant ce temps-là à Bruxelles, des citoyens s’élèvent contre l’omniprésence d’un passé colonial normalisé qui domine l’espace public, surgissant à tous les coins de rue, des rues qui portent des noms de personnalités ayant joué un rôle dans la colonisation, ou qui s’incarne à travers des statues à la gloire de Léopold II. Que penser d’une société qui érige en fierté nationale des personnalités complices d’un crime contre l’humanité ? Une société qui distille sa version biaisée de l’histoire coloniale au cœur de l’espace public ? Une société qui se refuse à concevoir l’intégration de ses membres en dehors d’une adhésion inconditionnelle à ce récit national, même si cela implique une violence quotidienne ? Aux États-Unis comme en Europe où les violences policières sont aussi monnaie courante[5], ces faits récents ont donné lieu à des manifestations et à des rassemblements de grande ampleur contre le racisme, révélant une volonté collective de briser les tabous autour de la question raciale.

POUR lance un “Dossier décolonisation” au sein duquel nous analyserons, durant plusieurs mois, le fonctionnement de nos sociétés occidentales sous le prisme décolonial. Chaque mercredi, nous vous proposerons un nouvel article ou vidéo qui participera à approfondir ce sujet plus que jamais d’actualité.