Combattre le virus à la matraque

 

Police, violence et confinement : des récits différents

 

« A Paris, si tu respectes pas le confinement on te met une amende, en banlieue on te coupe la jambe »-Lyna Malandro[1]

 

Pendant le confinement, nous avons tous ressenti l’augmentation de la pression policière. Les patrouilles incessantes des voitures de police, le bruit assourdissant des sirènes à longueur de journées, les messages d’avertissement diffusés dans les haut-parleurs, et en France, les contrôles réguliers pour vérifier les attestations … À l’heure du déconfinement, ce renforcement de la présence policière est toujours une réalité, et paradoxalement, il en découle un fort sentiment d’insécurité, ainsi qu’une méfiance accrue à l’égard des agents de police. Il faut dire que cette situation a quelque chose de kafkaïen : qui aurait-pu un jour imaginer que s’asseoir sur un banc serait passible d’une amende de 150 euros ? Qu’il faudrait une attestation pour sortir acheter son pain ? Comme le personnage du Procès, on finit par avoir l’impression d’être coupable d’exister, et les rencontres avec la maréchaussée prennent des proportions démesurées. Le plus pervers est probablement la rhétorique culpabilisante mobilisée pour justifier l’infraction, comme si en nous asseyant sur ce banc, nous portions sur les épaules le poids de tous les morts des derniers jours.

 

L’éthique de la responsabilité individuelle

Il n’est nullement question ici  de remettre en cause le bien-fondé ou la nécessité des mesures de confinement, mais la distribution d’amendes pour non-respect de ces mesures a quelque chose d’invariablement grotesque, à partir du moment où l’on considère qu’il s’agit d’un moyen de transférer la responsabilité politique vers celle de l’individu, confié à la surveillance des forces de l’ordre afin que personne ne nuise au reste de la société en bravant le confinement. Autrement dit, l’omniprésence policière est devenue le moyen de faire peser la responsabilité sur les citoyens plutôt que sur les mauvaises décisions de la classe politique, et de véhiculer le dogme d’une responsabilité individuelle plutôt que d’une responsabilité collective (mais après tout, qu’est-ce que le collectif, puisque ce n’est pas la somme de toutes les individualités ?). En parallèle de la peur de la contamination, nous avons donc développé une forme de culpabilité exacerbée qui nous prend à la gorge dès que nous sortons ou que nous croisons des amis : nous nous sentons coupables, et ce sentiment est très largement renforcé par l’omniprésence des uniformes.

 

Des récits différents

Néanmoins, il ne faudrait pas croire que nous sommes tous logés à la même enseigne : même s’il se fait plus souvent contrôler par les « flics » depuis le depuis du confinement, un blanc ne sera jamais un noir ou un arabe aux yeux de la police. Et vice-versa. « Je suis d’origine étrangère, mais j’ai la chance d’être blanche et de vivre dans un quartier assez calme, donc je ne me fait pas contrôler par la police tant que je n’ouvre pas la bouche. » me confiait récemment une amie d’origine portugaise. Ces propos illustrent ceux de la journaliste et militante Rokhaya Diallo au micro de l’émission politique la Perm du média Parole d’honneur[2], lorsqu’elle évoque la narration différenciée du confinement entre les quartiers aisés et les quartier populaires : «  Il y a une différence à la fois de traitement mais aussi de narratif, on a pu le voir au tout début du confinement lorsqu’on décrivait les habitants des quartiers populaires comme étant indisciplinés, alors qu’on parlait d’autres personnes qui avaient simplement envie de prendre l’air. »  Les médias participent largement à créer et à véhiculer le récit selon lequel les habitants des quartiers populaires seraient « indisciplinés » et incapables de respecter les consignes de confinement qu’ils seraient, de toute façon, dans l’incapacité de comprendre. Ainsi, dans un article du Monde intitulé « Coronavirus : dans les quartiers populaires, l’incompréhension face aux mesures de confinement », un journaliste rapporte :

 

« «  “La chose a du mal à être prise au sérieux, il y a beaucoup d’incompréhension, observe Larbi Liferki, président de Parkour59, à Roubaix (Nord). Il va falloir déborder d’imagination pour les faire rentrer chez eux.” [on relèvera au passage le lapsus révélateur … ] Même constat dans les quartiers nord d’Asnières (Hauts-de-Seine) où Zouhair Ech Chetouani, leader associatif qui se dit “très inquiet” du non-respect des consignes et décrit des situations qui “partent en vrille”. »[3]