La grande hypocrisie « verte » Nord-Sud

L’édito de la dernière parution de la collection Alternatives Sud, Business vert en pays pauvres.

Quatre ou cinq brèves assertions pour entamer cet éditorial. Quatre ou cinq truismes certes, mais que l’on se sent l’obligation de rappeler avant d’aller plus loin. L’ampleur du désastre écologique d’abord, sa centralité, son urgence. Annoncé par les scientifiques et les activistes depuis des lustres, il explose aujourd’hui dans toute son irréversibilité, par l’hypothèque qu’il fait peser sur la préservation de la biodiversité et des équilibres naturels. Son injustice ensuite, les premières et principales victimes de la crise environnementale et climatique n’étant pas ses premiers et principaux responsables. Les populations vulnérables et les pays pauvres d’un côté, les populations aisées et les pays riches de l’autre. En cause, les répercussions du productivisme et du consumérisme abusifs de ces derniers, la couche démographique la plus opulente – et donc la plus pollueuse – de la planète, moins d’un quart de l’humanité.

D’où, troisième point, la « dette écologique » considérable [1]… dont les « gros mangeurs » sont redevables aujourd’hui envers les nations ou les personnes qui font les frais du festin auquel elles n’ont pas pris part. Or, quatrième évidence, au lieu de l’honorer à la hauteur et à la vitesse requises, cette dette écologique, les grandes puissances économiques, publiques et privées, sont occupées à la creuser davantage encore. En menant des politiques dites de « développement durable » ou de « Green Growth », qui tendent à aggraver les fractures sociales et environnementales. Business vert en pays pauvres, c’est précisément l’objet de ce livre, la grande hypocrisie Nord-Sud consistant à « déplorer les effets dont on continue à chérir les causes », selon la formule consacrée. Prétendre contrer l’effondrement en l’empirant. Qu’en pensent celles et ceux, au Sud, qui y voient du « néocolonialisme vert » ? Tel est le propos des pages et des articles qui suivent.

Bernard Duterme,
avril 2025.

Notes

[1Lire CETRI, « Le Nord remboursera-t-il un jour sa ‘dette écologique’ au Sud ? », 18 juin 2024, Equal Times

[2À l’heure d’écrire ces lignes, un membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) rappelle publiquement (https://auvio.rtbf.be/media/matin-premiere) que, d’après une étude publiée en 2024 (https://www.carbonbrief.org/analysis-trump-election-win-could-add-4bn-tonnes-to-us-emissions-by-2030/), la réélection du républicain Donald Trump à la présidence des États-Unis va coûter à l’humanité, rien qu’en émissions carbone, en quatre ans et sur le plan strictement domestique, plus du double de ce que la « transition énergétique mondiale » est parvenue à épargner ces cinq dernières années.

[3Dans cet Alternatives Sud, l’article de González et Verbeek notamment explique par le détail les différents instruments politiques et juridiques utilisés par l’Union européenne dans les négociations commerciales pour assurer le caractère asymétrique des accords conclus. Des accords qui, par exemple, illégalisent les restrictions à l’exportation des minéraux critiques que nombre de pays du Sud tentent d’imposer pour en promouvoir le traitement sur leur territoire, y créer de la valeur ajoutée et développer sur cette base leur propre industrie verte.

[4Laissant donc de côté, par exemple, la dissémination en hausse des plastiques dans l’environnement, l’arrosage tous azimuts de pesticides chimiques, la production de quantités toujours plus considérables de déchets, peu ou mal recyclés, l’artificialisation croissante des sols, la pollution de l’air par les particules fines, la contamination des eaux par un cocktail de nouveaux polluants, la surexploitation des nappes phréatiques, des terres et des mers, l’impact délétère grandissant de la ruée minière, etc.

[5« La majorité des projets de compensation qui ont vendu le plus grand nombre de crédits carbone sont ‘vraisemblablement de la camelote’ (likely junk) » conclut entre autres une étude de Corporate Accountability relayée par The Guardian du 19 septembre 2023 : « Revealed : top carbon offset projects may not cut planet-heating emissions ».

[6Pour une analyse fouillée et balancée des conditions d’efficacité, des risques et des effets pervers des multiples instruments de marché (techniques, financiers et juridiques : compensation biodiversité, certifications, fiscalité écologique, processus REDD+, paiements pour services environnementaux, Green Bonds, fonds fiduciaires conservationnistes, accès et partage des avantages (APA) des ressources génétiques, droits de propriété intellectuelle, etc.) mis à la disposition des grands pollueurs afin de concevoir leurs politiques environnementales, lire notamment les travaux d’Alain Karsenty du CIRAD (https://catalogue-formation.cirad.fr/formation/136/instruments-economiques-et-financiers-pour-le-climat-et-la-biodiversite/175).

 


 

bibliographie

Source :
Publication intégrale autorisée avec la cordiale autorisation de l’auteur et du CETRI.
Publication intégrale autorisée par Les Editions Syllepse.
Article publié également sur le site EntreleslignesEntrelesmots, Licence Creative Commons.