La ceinture alimentaire : écosystème de forces vivantes

Des alternatives existent pour sortir de la logique pure de marché : à Liège, déjà en 2011, des citoyens se bougeaient à partir de l’idée de transition écologique. Petite histoire de la ceinture alimentaire liégeoise qui se bat pour l’alimentation durable respectueuse des producteurs et pour son accès à tous.

Animateur en éducation permanente, Christian Jonet découvre la thématique de l’alimentaire et comprend que c’est un des enjeux politiques les plus cruciaux de notre époque. Il rejoint le mouvement citoyen Liège en Transition qui sera officiellement créé en novembre 2011. Divers groupes et associations susceptibles de prendre part au mouvement sont contactés. L’idée est de mener des actions locales pour rendre la société plus solidaire, durable et résiliente. Parmi les dizaines de participants, un groupe porteur se dégage et organise un ciné-débat autour du thème de la culture en transition. La salle du cinéma Le Parc avec 400 places est remplie, certains sont restés dehors ! À l’écran le film In Transition 2.0 relate les expériences de transition appliquées depuis 2004 en différents lieux de la planète. Des communautés locales produisent leur nourriture et leur énergie avec l’objectif de relocaliser leur économie et créer des liens de convivialité et de solidarité entre producteurs et consommateurs.

Le lire et s’en inspirer

Profitant des enseignements du Manuel de transition de Rob Hopkins paru en 2010, l’initiative Liège en transition, est partie des idées venues des citoyens pour créer des groupes de travail dans plusieurs domaines comme le logement, la mobilité, la production alimentaire, les monnaies complémentaires, l’habitat groupé ou encore le tourisme local et alternatif. Mais s’apercevant qu’il y avait un risque de se disperser sur trop de thématiques, il est décidé de se reporter sur les thèmes les plus porteurs, à savoir l’alimentaire et les monnaies citoyennes. L’un est lié à l’autre pour stimuler l’économie locale et donc le bien-être social. Une charte est signée et la monnaie Le Valeureux[1] sera lancée en 2014 pour renforcer les filières courtes.

À son tour, l’alimentaire monte au créneau

On ne sait trop d’où est venue l’expression « ceinture alimentaire ». Ceinture maraîchère ou ceinture verte ont peut-être inspiré les imaginations. Peu importe. À Liège, tout naturellement, on sort le jeu de mot ceinture aliment-terre qui symbolise le lien avec la terre en contraste avec l’agriculture hors sol. Et c’est en novembre 2013, à savoir 2 ans après le lancement de Liège en Transition, qu’une coalition d’acteurs citoyens, économiques et culturels de la région, pose les bases « d’une réflexion et d’un plan d’action pour que la part locale des biens alimentaires consommés en Province de Liège grandisse de manière significative

« Ce fut une journée inspirante, confie Christian Jonet, où on a eu des témoignages d’expériences venues d’Allemagne, de France, mais aussi un spectacle théâtral pour prendre conscience des problématiques et tracer un horizon désirable. On a donné rendez-vous à tous le lendemain-même, les 5 et 6 novembre, pour participer à un forum ouvert (dispositif d’animation où les participants font l’ordre du jour) avec la question “Comment parvient-on d’ici une génération à ce qu’une majorité soit produite localement dans les meilleures conditions écologiques et sociales ?” ».

Six ans déjà !

« La Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL) comptait au départ sept organisations de terrain impliquées dans les filière courtes avec pour objectif de professionnaliser le projet et non de se limiter à transformer le monde le mercredi soir ou le jeudi matin !, dit, un rien moqueur, Christian Jonet, coordinateur du projet. Nous ne sommes pas une association et pas plus une entreprise ; on rassemble les gens concernés par ce qui nous nourrit. On leur “vend” une vision d’avenir où ils ont une place plus respectée. Dès le départ, on est passé par une série de relais que sont les mouvements paysans, le syndicat Fugea, les secteurs associatifs…, qui ont compris le sens de tisser des alliances entre monde urbain et rural, entre producteurs et consommateurs. Sans pour autant oublier les institutionnels, les scientifiques, les politiques… Notre objectif de très long terme (25 ans) est de parvenir à porter la part des produits locaux et sains à 50% du panier de la consommation locale. On a structuré un solide plan d’action avec de grands chantiers et créé une dynamique avec des porteurs de projets qui ont une autre finalité que le profit et créent des entreprises, privilégiant pour la plupart la Coopérative à Finalité Sociale (SCRLFS). Et nous avons pris une part active au travail de conception de l’agriculture et alimentation locale du schéma de développement territorial pluri-communal des 24 communes de l’Arrondissement de Liège. »

Le nerf de la paix

Obtenir un subside est le cauchemar de toute association sans but lucratif. La CATL a eu, au départ, une aide de la Région wallonne, puis en a été privée. Ensuite, « en juillet 2016, la Wallonie (DGO6, Économie sociale) a confié à l’ASBL Exposant D, une des organisations à l’origine du projet CATL, la mission de soutenir le développement de l’écosystème CATL, et en particulier de projets et partenariats coopératifs innovants destinés à structurer la filière locale. Depuis la mi-2016, la CATL est devenu l’unique projet porté par l’ASBL Exposant D, et son plan d’action s’est structuré autour de 6 axes de travail »[2]

Mais, la fin de l’année 2019 approche, et c’est le grand point d’interrogation sur la poursuite des subsides. Des préavis à titre conservatoire viennent d’être envoyés aux cinq personnes salariées. Il est urgent que les relais politiques se bougent, et pas seulement avec quelques bonnes phrases. Si la ville de Liège collabore et soutient la dynamique comme mettre des terrains à disposition, aider dans la communication ou l’organisation de festival comme Nourrir Liège, elle ne peut aller au-delà. Des moyens doivent suivre pour développer et consolider une filière alimentaire courte, écologique et génératrice d’emplois de qualité.

Ceinture de ville, ceinture des champs

« 70 jeunes producteurs se sont installés depuis le lancement de la CATL, explique Christian Jonet. Le maraichage est plus accessible que l’élevage, ça parle aux jeunes qui sont proches des consommateurs. Et il y a place pour tout le monde. On planche sur un projet de coopérative d’éleveurs sans passer par des intermédiaires. Il faut souligner que Liège est une ville importante qui veut fixer des liens avec la périphérie. Il existe toute une série d’acteurs et l’enjeu est qu’ils et elles travaillent ensemble. Nous proposons un cadre où les producteurs ont plus intérêt à collaborer que jouer chacun sur son pré carré. Il existe plusieurs ceintures dont Tournai, Verviers, Charleroi et bientôt Namur. Un territoire n’est pas l’autre, chaque ceinture a sa charte. À Liège, nous sommes partis d’une page blanche et nous nous avons constitué une asbl, donc on ne produit rien de matériel. On incube des projets qui vont devenir économiques et autonomes. Nous menons un travail d’expertise, de sensibilisation, de lobbying, de plaque tournante sur qui fait quoi, on oriente les demandes et identifie les chaînons manquants. »

Avenir incertain

La prise de conscience de l’urgence écologique est partagée par une bonne partie de la population et la politique régionale veut soutenir ce type de démarche, mais, s’inquiète Christian Jonet, « certains interlocuteurs de la pyramide s’en fichent par volonté ou ignorance et c’est frustrant. Très régulièrement, on se trouve bloqué parce que la mauvaise personne se trouve au mauvais endroit. Certains politiciens sont très éloignés de la dynamique d’alimentation locale, d’où des rapports de force usants qui nous privent de notre énergie.

Comment faire un pas de plus ? On a eu un développement très dynamique et je crains qu’on arrive à un plafond de verre. Il est difficilement envisageable pour beaucoup de producteurs de s’orienter vers le durable vu le peu de revenus qu’ils obtiennent de leur travail. Nos mandataires nationaux ont-ils des relais efficaces pour être entendus à l’Europe, notamment pour réorienter le modèle agricole ? Le volontarisme ne suffit pas, il faut changer les conditions d’encadrement politique, de financement et de mise en place des réglementations. Sans cela, on n’y arrivera pas. Or c’est un mouvement de fond à contre-courant de l’agro-industrie et de la grande distribution auquel nous devons tous collaborer. »

Godelieve Ugeux


[1] En octobre 2017, le « Valeureux » sera transformé en « Val’heureux ».
[2] https://www.catl.be/wp-content/uploads/2019/02/Rapport-activit%C3%A9-Exposant-d-CATL-2016-2017.pdf