Les Dubaï Papers ont révélé un scandale mondial de fraude et d’évasion fiscale qui a éclaté en France en septembre 2018 grâce à un consortium de journalistes ayant exploité les données fournies par un lanceur d’alerte. Une quantité considérable de personnalités de premier plan y sont impliquées : Flavio Briatore ex patron des écuries de Formule 1 Benetton et Renault, l’émir Quatari Abdullah Ben Khalifa Al-Thani, David Mills expert en paradis fiscaux au service de S. Berlusconi, Denis Sassou-Nguesssau Président du Congo Brazzaville, les protagonistes de l’un des volets de l’affaire Areva en France, le directeur suisse du Lybian African Portfolio (LAP) qui est l’un des fonds d’investissement du régime Kadhafi, cité aussi dans la saga des « fonds libyens » en Belgique.
Vous ne pouvez lire cet article que parce que d’autres lecteurs se sont abonnés.
Vous aussi, soutenez une presse libre !
En Belgique, les Dubaï Papers divulguent aussi un gigantesque scandale d’évasion fiscale frauduleuse aux ramifications internationales au centre duquel se trouve le Prince Henri de Croÿ, efficacement conseillé par Maître Thierry Afschrift et Maître Arnaud Jansen qui en outre figurent dans les archives du Prince comme apporteurs d’affaires du Groupe Helin contrôlé par Henri de Croÿ et centre névralgique de l’évasion implanté dans l’émirat arabe de Ras al-Kaïmah, le plus petit des sept émirats constituant les Emirats Arabes Unis et très important paradis fiscal, bien que peu connu.
La plainte d’Attac est une plainte déontologique visant à ce que le Bâtonnier apprécie l’extrême gravité des faits au regard des règles déontologiques qu’il a pour mission de faire respecter (Les Dubaï Papers mettent notamment en évidence le recours à de fausses factures, à des factures antidatées, entre autres combines frauduleuses).
Maître Thierry Afchrift est le pape du « No Tax », il fait valoir son idéologie dans nombre de médias, enseigne depuis 41 années à l’ULB/Solvay, est juge conseiller suppléant auprès de la Cour d’Appel de Bruxelles (6ème Chambre fiscale) depuis au moins 20 années sans discontinuer et conseille à ses heures le gouvernement. Maître Arnaud Jansen a quant à lui été très impliqué au Barreau en tant que membre du Conseil de l’Ordre de 2002 à 2006 ; à ce jour il est membre du conseil de discipline des Barreaux Francophones du ressort de la Cour d’Appel de Bruxelles et membre assesseur au conseil de discipline pour le Barreau de Bruxelles. Il est par ailleurs candidat à la succession du Bâtonnier en 2020.
Ces deux plaintes « déontologiques » qui n’ont rien à voir avec des plaintes civiles, pénales ou administratives sont en revanche susceptibles d’avoir une très forte portée symbolique. Elles visent en effet des personnes ayant des positions sociales et exerçant des fonctions d’un tel niveau que les citoyens attendent d’eux qu’ils soient non seulement irréprochables mais aussi exemplaires alors même qu’ils sont prescripteurs d’opinion.
Face à une évasion fiscale énorme et en croissance continue, face à des inégalités de plus en plus insupportables (la Belgique a l’un des taux de pauvreté des enfants les plus hauts d’Europe : 40% des enfants grandissent dans la pauvreté à Bruxelles, 25% en Wallonie et 10% en Flandre)[4] face au délabrement de tous les services publics, il ne faut effectivement pas attendre le déroulement d’un procès (l’État Belge s’est constitué tout récemment partie civile) qui va durer de longues années à l’instar de la fameuse affaire dite des « sociétés de liquidités » qui a duré 20 années de 1995 à 2015 avec les mêmes organisateurs que ceux impliqués dans les Dubaï Papers de 1985 à 2018 et qui sauront utiliser au mieux les recours de toute nature, les procédés dilatoires et autres manœuvres destinées à jouer avec les délais de prescription.
Intervenir dès maintenant dans le cadre de plaintes déontologiques, c’est s’inviter dans le processus d’une affaire qui, sinon, échapperait complètement à la société civile, prendre à témoin une communauté de 4.839 avocats francophones, mettre sur le devant de la scène les organisateurs de l’évasion fiscale, les concepteurs du système qui pille les nations et c’est en cela contribuer de manière beaucoup plus efficace au combat contre la fraude et l’évasion fiscale qu’en se limitant à la seule dénonciation des bénéficiaires.
S’emparer du dossier des Dubaï Papers, c’est aussi lui donner une dimension politique qu’il n’a pas aujourd’hui : la Belgique est un paradis fiscal pour les riches, mais il n’empêche qu’elle est aussi victime d’évasion fiscale à grande échelle de la part des riches qui considèrent qu’il existe des paradis encore plus attrayants. Et cela, les Dubaï Papers le démontrent sur une longue période de 1985 à fin 2018, pendant laquelle le citoyen entendait ses dirigeants clamer leur volonté de lutter contre l’évasion fiscale. Les Dubaï Papers sont la parfaite démonstration du choix délibéré d’une infime minorité, le « gratin de la société », de ne plus faire société, avec l’aide d’avocats fiscalistes chèrement rémunérés.
S’emparer du dossier permet aussi de dénoncer à quel point tant le citoyen que la magistrature ont été abusés par les protagonistes de l’affaire dite des « sociétés de liquidités » qui sont les mêmes que ceux de l’affaire des Dubaï Papers : pendant que se déroulait sur 20 années l’instruction et le procès des « sociétés de liquidités », ceux qui étaient mis en accusation et ceux qui les défendaient continuaient d’agir de concert pour servir les intérêts de riches clients dans le cadre d’un vaste système international d’évasion fiscale frauduleuse. La parution des articles du journaliste indépendant Frédéric Loore a permis de relater les chronologies entrecroisées des deux affaires. Leur lecture est proprement stupéfiante et ne peut que laisser pantois même les plus avertis et les plus cyniques face à tant d’impostures[5].
Il n’existe pas d’autre moyen pour s’emparer de ce scandale que de faire comme Attac et de porter plainte[6] auprès du Bâtonnier de l’Ordre Francophone des avocats du Barreau de Bruxelles. Tant les associations que les personnes physiques sont en droit de le faire. Ne pas le faire, c’est renoncer à une opportunité unique.
Jean-Claude Garot
[1] Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) a été créée en France en 1988 et s’est développée dans 21 pays (15 en Europe, 3 en Amérique du Sud, au Canada, au Liban et au Japon). En Belgique, elle est présente à Bruxelles, Liège (sous forme d’asbl) ainsi qu’à Charleroi et Eupen (sous forme d’associations de fait) et enfin à Gand (Attac Vlaanderen). Attac milite pour la justice fiscale, sociale et écologique et conteste le pouvoir pris par la finance sur les peuples et la nature. Sa vocation de mouvement d’éducation populaire la conduit à produire analyses et expertises, organiser des conférences, des réunions publiques, participer à des manifestations et des mobilisations au niveau local, national et international.
[2] Dépêche Belga du 17/12/2019.
[3] Frédéric Loore, journaliste indépendant, a publié 3 articles dans Paris Match Belgique des 29/05/2019, 17/10/2019 et 12/12/2019.
[4] Unicef Belgique. Publié le 09/05/2014. Adapté le 20/07/2016.
[5] Chronologies entrecroisées de l’affaire dite des « sociétés de liquidités » et de l’affaire des Dubaï Papers
[6] S’agissant d’une plainte déontologique, les seuls et uniques frais à exposer sont ceux d’une lettre envoyée en recommandé avec accusé de réception et ce pour toute la durée de la procédure. Attac est en mesure de répondre aux questions de ceux qui voudraient porter plainte.