L’instruction pénale vient au secours d’un avocat pris la main dans le sac

ENQUÊTE SUR UN SCANDALE AUX DROITS DE SUCCESSION

ÉVASION FISCALE – L’affaire Verbruggen – Épisode 4/11

L’ordre des avocats fait feu de tout bois pour couvrir au nom de la déontologie des infractions à sa propre déontologie

 

Un tel coup aurait dû emporter l’adhésion enthousiaste de tous les héritiers. Échapper à des millions de droits de succession ne peut en effet qu’entraîner l’unité d’un clan, même soumis à des divisions  passées.
Tout s’est jusqu’à présent très bien passé. La « planification successorale » a été menée de main de maître par l’expert en la matière, l’avocat professeur à l’Université Emmanuel de Wilde d’Estmael et la succession du richissime notaire Robert Verbruggen a été transformée en succession de Monsieur Tout-le-Monde, avec le concours de deux notaires et d’un réviseur d’entreprises (épisode 3/11). Un tel coup aurait dû emporter l’adhésion enthousiaste de tous les héritiers. Échapper à des millions de droits de succession ne peut en effet qu’entraîner l’unité d’un clan, même soumis à des divisions  passées. C’est du moins ce que supputent vraisemblablement les experts de tous poils qui se sont transformés en véritables prestidigitateurs, en se souciant comme d’une guigne de leurs obligations déontologiques. Mais la course folle à l’évasion successorale doit se poursuivre.

 

L’omerta qui aurait dû prévaloir est fracassée par 2 des 7 enfants héritiers

 

Le 12 décembre 2002, Luc Verbruggen le cadet des 7 enfants porte plainte au pénal avec constitution de partie civile, rejoint par son frère Jack. Les motifs sont les suivants : faux et usage de faux, abus de confiance, vol, etc. La plainte intervient quelques jours seulement après que le notaire Yves Deschamps ait déposé auprès de l’administration fiscale cette fameuse déclaration de succession de 117.000€.   La stratégie mise en place par les planificateurs successoraux dès le décès du notaire ne peut être interrompue, sauf à anéantir la déclaration de succession qui vient d’être déposée. Quelques jours après le dépôt de plainte, le 19 décembre 2002, Emmanuel de Wilde d’Estmael organise à Maastricht (Pays-Bas) la donation des actions de deux des trois sociétés familiales au profit des 5 autres enfants unis dans cette évasion fiscale à l’héritage, à un prix défini par Marc Ghyoot, l’ami réviseur de l’héritière réviseur Chantal Verbruggen, c’est-à-dire grosso modo pour rien. Et comme il est nécessaire de bétonner au mieux ce qui pourrait être fragilisé, le notaire Yves Deschamps s’empresse le 23 janvier 2003 de contester s’être prononcé sur la propriété des titres auprès du notaire Éric Willems, lors de l’ouverture des coffres, le 11 octobre 2002, loués par le défunt, ouverture à laquelle assistaient précisément trois notaires : Yves Deschamps, Éric Willems (notaire des deux frères qui porteront plainte) et Liliane Verbruggen, héritière.

 

Le notaire Yves Deschamps ne s’arrête pas là et ne craint pas d’écrire que c’est Robert Verbruggen, le notaire défunt, qui gérait la fortune de son épouse couturière mère au foyer depuis toujours. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi écrire que cette mystérieuse holding financière immatriculée au Liechtenstein, la société anonyme Fidelec n’existe pas et n’a jamais existé !  

Le tour de prestidigitation a été parfaitement exécuté.
Et comme on ne s’arrête pas au milieu du gué, le notaire Yves Deschamps ne craint pas non plus d’écrire à l’administration fiscale (droits d’enregistrement), le 24 février 2003, que les biens qui se trouvaient dans les coffres loués par le notaire défunt ne lui appartenaient pas, qu’ils étaient la propriété de son épouse et qu’il n’y avait donc pas lieu de les déclarer, les deux époux étant mariés sous le régime de la séparation de biens. L’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael poursuit son œuvre et finalise le 30 avril 2003 la donation des actions des sociétés familiales au profit des 5 héritiers, toujours aux conditions évaluées par le professionnel du chiffre Marc Ghyoot, pour qui tout cela ne vaut rien. Le tour de prestidigitation a été parfaitement exécuté.  

 

La justice commence bien et découvre très rapidement le pot aux roses

 

L’instruction menée par la juge Silviana Verstreken commence sur les chapeaux de roues : l’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael est entendu dès le 2 mai 2003 et commence par un mensonge puisqu’il affirme n’être que l’avocat de la veuve du notaire alors qu’il est déjà devenu également l’avocat de 5 des 7 enfants héritiers soudés par l’omerta. Quelques jours après, le 13 mai 2003, la police judiciaire procède à trois perquisitions qui vont s’avérer fructueuses : l’une à l’étude du notaire Yves Deschamps, auteur de la déclaration de succession, l’autre à l’étude de la notaire héritière Liliane Verbruggen ainsi qu’à son domicile privé. Et là que découvrent les enquêteurs ? Les sulfureux conseils prodigués via trois courriers par l’avocat professeur tant à la notaire héritière qu’au notaire chargé de la liquidation de la succession ainsi que la prise de connaissance, sous la forme de notes manuscrites, de la fortune qu’il conviendra de dissimuler. La surprise est si grande et inattendue que l’avocat se voit dans l’obligation d’écrire à la juge d’instruction, toutes affaires cessantes, 3 jours après la perquisition chez les destinataires de ses avisés écrits. En quelques lignes, il n’en accumule pas moins de 32 contre-vérités selon les auteurs de la plainte à l’origine de la perquisition, lesquels n’apprendront que 3 mois plus tard l’existence de ces inédits écrits à l’occasion de l’accès au dossier prévu par la loi, ce qui permettra à Luc Verbruggen, l’initiateur de la plainte pénale de retranscrire alors ce qu’il n’aurait pu faire moins d’un an après, comme nous allons le voir plus loin. L’instruction avance tellement bien, notamment avec de nombreuses auditions, que la juge d’instruction ordonne 4 commissions rogatoires le 19 septembre 2003 : au Luxembourg, en Suisse, en Italie et en Allemagne.  

 

Brutalement, comme si elle était effrayée par ses propres découvertes, l’instruction judiciaire se saborde.

 

Un véritable enterrement de première classe, à ceci près que l’un des plaignants, Luc Verbruggen, a retranscrit les pièces à conviction avant qu’elles ne soient retirées du dossier par la juge d’instruction
Le sabordage est tout aussi spectaculaire et inattendu que furent les découvertes des perquisitions. Le 5 mars 2004, la juge d’instruction Silviana Verstreken refuse les mesures coercitives que lui réclame l’inspecteur principal Daniel Locatelli après plusieurs mois d’enquête. Mais le plus stupéfiant ne s’est pas encore produit. C’est le 26 juin 2004 que la juge d’instruction demande à ce même inspecteur de retirer du dossier d’instruction les documents et courriers saisis plus d’un an auparavant chez les notaires Yves Deschamps et Liliane Verbruggen. Carrément ! Elle précise en outre que les procès-verbaux qui mentionnaient les pièces saisies doivent être supprimés et remplacés par des nouveaux ne mentionnant pas ces dernières. Impossible, impensable ? C’est pourtant bien cela qui s’est produit.

 

Dès lors, la logique du sabordage fonctionne à plein : 3 des 4 commissions rogatoires ordonnées en septembre 2003 ne sont même pas entamées ; quant à celle qui avait été initiée au Luxembourg, le juge d’instruction local qui en a la charge écrit le 9 mai 2005 à son homologue Silviana Verstreken pour lui dire qu’il a pris bonne note que cette dernière lui a confirmé avoir clôturé son dossier en Belgique le 11 mars 2005 et lui retourne donc sa commission rogatoire internationale en l’état, sans autres devoirs. Il lui précise aussi qu’en ce qui concerne cette mystérieuse holding financière Fidelec, il ne dispose toujours pas des éléments nécessaires lui permettant de vérifier l’existence d’une infraction pénale. Le sabordage est parfait. Il a produit ses effets. La juge d’instruction rend son dossier d’instruction au Parquet en la personne du Procureur du Roi, Françoise Mahieu, qui requiert un non-lieu le 16 mai 2006. Le sabordage est si bien achevé qu’aucun débat au sujet du retrait des pièces ne sera permis malgré plusieurs demandes effectuées par celui qui est à l’origine de la plainte au pénal, Luc Verbruggen. Le procès en correctionnelle qui succédera à l’instruction pénale commencera donc ensuite sans ces éléments déterminants, subtilisés. Un véritable enterrement de première classe, à ceci près que l’un des plaignants, Luc Verbruggen, a retranscrit les pièces à conviction avant qu’elles ne soient retirées du dossier par la juge d’instruction, ce qui lui permettra de demander constamment qu’elles soient produites dans l’ensemble des procédures qui feront suite à l’instruction judiciaire malgré le sabordage exécuté par la juge d’instruction Silviana Verstreken.

 

Mais que s’est-il donc passé pendant cette instruction finalement sabordée ?

 

Rendons compte de qui a été divulgué à défaut de pouvoir le faire pour ce qui ne l’a jamais été. Il faut le rappeler : quand l’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael dispense ses conseils par écrit, les 19 novembre, 26 novembre et 2 décembre 2002, il n’est que le conseil de la veuve du notaire, à l’exclusion de tout autre membre de la famille. Il en est de même au jour de la saisie de ses fameux écrits le 13 mai 2003. Ce n’est en effet que le 16 mai 2003 seulement qu’il devient le conseil des 5 héritiers soudés par l’évasion successorale programmée et qu’à ce titre il est alors rejoint par un ténor du Barreau en la personne de Maître Robert De Baerdemaeker. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne peut accéder au dossier d’instruction comme l’atteste le courrier de la juge d’instruction du 5 mai 2003. Apprenant que ses courriers ont été saisis chez leurs destinataires, Emmanuel de Wilde d’Estmael s’adresse alors à la juge d’instruction le 11 juin 2003, en invoquant le secret professionnel et en demandant leur placement sous enveloppe scellée. Aucune réponse ne lui est fournie et le Bâtonnier en fonction du Barreau des avocats francophones de Bruxelles Jean Cruyplants demande alors à la juge d’instruction le 30 mars 2004 d’accéder à la demande de l’avocat spécialiste du droit successoral. Il faut noter que l’autre conseil des 5 héritiers Maître Robert De Baerdemaeker est alors associé du Bâtonnier en exercice Jean Cruyplants, au sein du cabinet Cruyplants-Eloy-Hupin. Le 20 avril 2004, la juge d’instruction Silviana Verstreken demande alors au Procureur du roi Françoise Mahieu le retour de son dossier qui se trouve chez le Procureur Jean-Pascal Thoreau depuis le 10 février 2004  (tiens donc, et pourquoi se trouve-t-il là ? Que les plus curieux se manifestent, ils auront la réponse !) .

 

Fallait-il donc que le secret professionnel invoqué soit lourd pour qu’il mérite autant d’interventions du patron des avocats, le Bâtonnier en fonction
Le 6 mai 2004, le Procureur général André Van Oudenhove se rallie à la suggestion émise par le Procureur Françoise Mahieu, quant au sort des pièces saisies lors des perquisitions effectuées à l’étude du notaire Deschamps et au domicile privé de la notaire Liliane Verbruggen ainsi qu’en son étude, à savoir les considérer comme couvertes par le secret professionnel. Considérant sans doute que sa demande n’est pas suffisamment rapidement prise en considération, le Bâtonnier en fonction Jean Cruyplants, toujours associé à Maître Robert De Baerdemaeker, codéfenseur avec Maître Emmanuel de Wilde d’Esmaël, de 5 des 7 héritiers, sollicite personnellement et à nouveau la mise sous scellés des courriers saisis auprès de la juge d’instruction par deux autres courriers datés des 10 et 24 mai 2004. La volonté du Barreau est inébranlable et ne s’accommode pas de se voir contrariée, même temporairement. L’impatience est à son comble, à tel point que la dernière lettre du Bâtonnier Cruyplants est émise après que la juge d’instruction ait effectivement retiré les fameux courriers du dossier le 11 mai 2004, soit un an tout de même après avoir été versés au dossier. Fallait-il donc que le secret professionnel invoqué (pour des courriers adressés par un avocat à des tiers qui ne sont pas ses clients) soit lourd pour qu’il mérite autant d’interventions du patron des avocats, le Bâtonnier en fonction par ailleurs associé avec Maître Robert De Baerdemaeker, lui- même défenseur des 5 héritiers, soudés par la volonté de ne pas payer de droits de succession, avec Maître Emmanuel de Wilde d’Esmaël, l’auteur des courriers incriminés.

 

Comment les juges du Tribunal correctionnel, venant à la suite de l’instruction pénale, vont-ils conclure ? Le poids de l’Ordre des avocats va-t-il toujours être aussi déterminant ? Nous le verrons dans le prochain épisode de notre enquête.  

Christian Savestre

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