Comment transformer la succession d’un notaire richissime en succession de Monsieur Tout-le-monde ?…

ENQUÊTE SUR UN SCANDALE AUX DROITS DE SUCCESSION

ÉVASION FISCALE – L’affaire Verbruggen – Épisode 3/11

 …En recourant à des professionnels pourtant tenus à de stricts codes de déontologie. Mais cela suffit-il ?

Les héritiers du notaire n’ont eux toujours pas payé un centime, plus de 18 années après.
Le patrimoine moyen d’un adulte belge est d’environ 230.000€. Nous l’indiquions dans l’épisode 1/11 de notre enquête, le patrimoine déclaré par les héritiers du richissime notaire Robert Verbruggen est de 117.000€. Nous l’avons vu aussi, les héritiers ont pris leur temps pour déclarer la succession, près de 9 mois après le décès. Vous, citoyen lambda, vous n’avez que 4 mois pour le faire et 6 mois pour payer les droits correspondants. Les héritiers du notaire n’ont eux toujours pas payé un centime, plus de 18 années après. Mais, considérez- vous privilégié : vous n’aurez pas eu 1€ de frais d’avocat et d’expert à dépenser. Les héritiers Verbruggen en ont, eux, dépensé des millions, pour un héritage pourtant comparable à celui de Monsieur Tout-le-monde, ont-ils déclaré sans barguigner à l’administration fiscale.

 

Tout aurait pu passer inaperçu…

Ne peut-on envisager que l’État n’ait alors rien vu passer à moins qu’il n’ait rien voulu voir passer ?
Cette déclaration de succession abracadabrantesque aurait très bien pu passer comme une lettre à la poste. On l’a vu précédemment, alors qu’elle est témoin dès fin 2002 de l’incroyable charivari qui résulte de la plainte au pénal déposée par celui qui veut faire éclater la vérité, l’administration fiscale ne se décide que fin avril 2008 à se constituer partie civile auprès de celui qui avait donc porté plainte presque 6 années plus tôt. Imaginons que le silence ait prévalu, ne peut-on envisager que l’État n’ait alors rien vu passer à moins qu’il n’ait rien voulu voir passer ? Et puis, plus le temps s’écoule, le silence actif des héritiers et passif voire complice de l’État aidant, plus les délais de prescription sont susceptibles de jouer en faveur des tricheurs. Les organisateurs de cette fantastique opération de prestidigitation pouvaient à raison aussi spéculer là-dessus. Mais une autre affaire est venue faire dérailler ce qui était attendu et a produit l’invraisemblable.

 

Planification successorale ? Non : évasion successorale, le comble de l’évasion fiscale

Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que les organisateurs de l’évasion fiscale sont le plus souvent les mêmes que les professionnels de la planification successorale
La planification, c’est une pratique que les apôtres du néolibéralisme à tous crins ont en sainte horreur lorsqu’il s’agit de l’utiliser pour tenter de réguler le capitalisme sauvage qui constitue leur religion. En revanche, quand il s’agit d’y avoir recours pour leurs propres intérêts, ils en deviennent de véritables adeptes. Et le mot, symbole de toutes les horreurs économiques de l’économie planifiée soviétique, se mue en symbole de bonne gestion (individuelle) : sa succession, il s’agit de la planifier. Et la planification successorale fait partie intégrante de la planification fiscale, ce terme utilisé par les experts spécialisés pour couvrir ce qui n’est que de l’évasion fiscale. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que les organisateurs de l’évasion fiscale sont le plus souvent les mêmes que les professionnels de la planification successorale qu’il conviendrait de requalifier en « évasion successorale ».

 

Concilier les inconciliables, un travail d’experts

Pour faire simple, il s’agit d’atteindre plusieurs objectifs fondamentalement contradictoires en même temps et rapidement :

  • la succession de Robert Verbruggen, le notaire défunt, doit être comparable à celle de Monsieur Tout-le-monde ;
  • l’inventaire de la gigantesque fortune accumulée par le défunt doit donc être valorisé à des niveaux compatibles avec l’objectif immédiat précédemment cité mais aussi dans la perspective de ce qui pourrait se produire après : le ridicule montant déclaré de la succession de Robert Verbruggen doit pouvoir s’imposer à tous ceux qui lui survivent, tous ses héritiers évidemment, mais aussi tous les autres tiers concernés, parmi lesquels l’État belge figure au premier plan en tant que tiers ayant intérêt à ce que le montant déclaré de la succession soit le plus fidèle possible ;
  • ce que Robert Verbruggen avait dissimulé doit continuer à l’être.
Sauf à ce que ces derniers soient dotés du cynisme suffisant pour considérer que ces codes n’engagent que ceux qui y croient.
Une véritable gageure qui va nécessiter le recours très coûteux à un ensemble d’experts pour la plupart tenus par des codes de déontologie à l’éthique exigeante, dont nous avons parlé dans un précédent épisode (1/11), qui ne laissent, à première vue, que peu de doutes sur la possibilité qu’ils ne soient pas respectés à ceux qui prennent la peine de les lire sauf à ce que ces derniers soient dotés du cynisme suffisant pour considérer que ces codes n’engagent que ceux qui y croient. Pour la réussir, l’équipe d’experts doit être de haut niveau et avoir à sa tête celui qui va concevoir le plan d’ensemble, le « planificateur successoral », à charge pour les autres de s’y conformer avec la docilité naturelle ou suscitée qui convient :

  • l’architecte de la planification successorale : l’avocat spécialiste Emmanuel de Wilde d’Estmael ;
  • les « inventoristes » de la fortune accumulée : le notaire Yves Deschamps avec la complicité active de sa consoeur et amie Liliane Verbruggen, héritière ;
  • les valorisateurs de l’inventaire de la fortune accumulée : le réviseur d’entreprise Marc Ghyoot, avec la complicité active de sa consœur et amie Chantal Verbruggen, héritière elle aussi.

 

Le chagrin n’a pas sa place, il faut faire vite

Il n’imagine alors évidemment pas que ces notes ainsi que d’autres courriers commis plus tard, véritables aveux de faux en déclaration de succession, atterriraient un jour entre les mains de la Justice. 
Les héritiers (5 sur les 7 enfants) se comportent alors à l’inverse de leur lenteur à déclarer la succession : ils vont très vite, consultent toutes affaires cessantes Maître Emmanuel de Wilde d’Estmael, avant même que les funérailles de Robert Verbruggen n’aient lieu le 17 avril 2002. Dans le secret de son cabinet, l’éminent avocat rédige des notes manuscrites le 14 avril 2002 qui attestent de l’importance exceptionnelle de l’héritage aux dires des héritiers eux-mêmes qui lui divulguent une estimation de leur cru. Il n’imagine alors évidemment pas que ces notes ainsi que d’autres courriers commis plus tard, véritables aveux de faux en déclaration de succession, atterriraient un jour entre les mains de la Justice.

Et comme la vitesse de réaction est une condition de succès de la mystification, Claire Gram, la veuve écrit le même jour, telle une véritable manager rompue aux dures nécessités de l’implacable efficacité à faire montre en toutes circonstances, au réviseur d’entreprise Marc Ghyoot (les professionnels du chiffre débarquent !), un ami de l’héritière Chantal, réviseure d’entreprise elle-aussi, pour lui confier la mission de valoriser les trois « sociétés de famille » au sein desquelles le patriarche Robert a placé l’essentiel de la gigantesque fortune qu’il a accumulée tout au long de sa carrière (il avait lui-même hérité de son père notaire en 1954). Faut-il préciser que la veuve est atteinte de la maladie de Parkinson depuis 1986 et que selon le témoignage écrit du médecin de famille, elle est totalement dépendante de tierces personnes pour les moindres actes de la vie quotidienne ? Cela ne suffit pourtant pas, il faut aller dans les détails et 2 jours seulement après les funérailles, les biens meubles de la gigantesque maison familiale (où les trois sociétés de famille sont domiciliées) sont expertisés en urgence et au prix qui convient par rapport à l’objectif poursuivi. Le travail acharné du notaire défunt lui avait permis de truffer la demeure de nombreuses pièces d’antiquité et d’autres objets de très grande valeur. C’est l’expert en œuvres d’art Jean-Pierre Vandenbroucke qui officiera pour atteindre l’objectif fixé.

 

L’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael, l’expert en planification successorale, se met au travail

Pourquoi une succession de 117.000€ nécessite autant de précieux conseils, seuls les très gros héritiers ayant les moyens de financer leur cherté
C’est la référence des références en matière de successions. L’avocat est aussi professeur à l’Université et à l’ICHEC (Brussels Management School) et écrit de nombreux ouvrages qui font autorité. Seul ou avec d’autres, il écrit un nombre impressionnant d’ouvrages : Les droits de succession en 1994, Transférer son patrimoine dans le cadre d’une planification successorale en 2007, Secret du patrimoine et de la planification en 2011, L’optimisation fiscale et financière du patrimoine immobilier en 2012, Le testament, de sa rédaction à son interprétation en 2013. Il organise des conférences/formations auxquelles les notaires, experts-comptables et conseillers fiscaux, réviseurs d’entreprises se pressent. Quand il se met à conseiller la famille Verbruggen, il n’a certes pas encore écrit toutes ces sommes ; l’on se dit néanmoins que la succession de Robert Verbruggen est entre de bonnes mains, tout en se demandant bien pourquoi une succession de 117.000€ nécessite autant de précieux conseils, seuls les très gros héritiers ayant les moyens de financer leur cherté.

 

Le notaire Robert Verbruggen ne possédait rien

Ce n’est pas Eddy Merckx qui a forgé le plus beau palmarès de l’histoire du cyclisme, mais son épouse qui pédalait.
Il n’aurait été que le conseiller de son épouse, couturière n’ayant jamais exercé, mère au foyer de 7 enfants, qui pourra ainsi leur faire don de ce qu’elle ne détenait pas. D’abord conseil de la veuve, puis de 5 des 7 enfants héritiers, le planificateur successoral a donc pu cerner l’ampleur de l’héritage dont il a consigné les principales caractéristiques dans ses notes datées de 2 jours avant les funérailles du défunt. Dès lors, il concocte le plan qui doit permettre d’atteindre tous les objectifs poursuivis. Ce plan est aussi audacieux que simple : la fortune accumulée par le notaire Robert n’est pas sa fortune, mais celle de son épouse Claire Gram… Simple en effet. Pour mesurer l’audace, risquons-nous à cette comparaison : ce n’est pas Eddy Merckx qui a forgé le plus beau palmarès de l’histoire du cyclisme, mais son épouse qui pédalait. En effet, Claire, l’épouse de Robert, n’a jamais travaillé de sa vie d’épouse Verbruggen, ni même de toute sa vie. Elle a une formation de couturière qui ne prédispose pas à une carrière de golden girl. Elle n’est pas en mesure de sortir le moindre bulletin de paie de ses archives et s’il fallait une preuve supplémentaire, elle n’a jamais cotisé à quelque caisse de retraite et d’assurance maladie que ce soit. Par ailleurs, elle n’a pas eu la chance de bénéficier d’un quelconque héritage, au contraire de son défunt mari.

Qu’à cela ne tienne, le brillant avocat décide d’oublier le code de déontologie que lui impose la fidélité à son serment d’avocat
Qu’à cela ne tienne, le brillant avocat décide d’oublier le code de déontologie que lui impose la fidélité à son serment d’avocat qu’il n’est pas inutile de rappeler ici : « Fidèle à son serment, l’avocat veille, en conscience, tant aux intérêts de ceux qu’il conseille ou dont il défend les droits et libertés qu’au respect de l’État de droit. Il ne se limite pas à l’exercice fidèle du mandat que lui a donné son client », et tout récemment en pleine crise du Covid-19, l’Ordre des avocats rappelait : « Cette solidarité tient des valeurs fondamentales du Barreau et fait partie intégrante de la déontologie de l’avocat : confraternité, loyauté et responsabilité sociétale ».

C’est ainsi que la mère au foyer, recopiant à la virgule près les termes recommandés par l’avocat, informe ses enfants de manière soudaine et unilatérale que tous les titres lui appartiennent
Le 26 novembre 2002, Maître Emmanuel de Wilde d’Estmael écrit dans une lettre adressée au notaire Liliane Verbruggen (l’une des héritières) intitulée « Programmation successorale » : « Par stratégie, il est préférable que votre Maman affirme que tous les titres lui appartiennent. Ce qui est important, c’est d’avoir une position claire. Je propose donc que votre maman écrive la lettre suivante… ». L’avocat parle évidemment des titres des sociétés de famille évoquées précédemment. A cette date, il est le conseil de Claire Gram et pas de ses enfants, parle des titres des trois sociétés familiales qui constituent une bonne part de l’héritage et s’adresse à une professionnelle des successions en mal de conseils extérieurs créatifs. Et c’est ainsi que la mère au foyer, recopiant à la virgule près les termes recommandés par l’avocat, informe ses enfants de manière soudaine et unilatérale que tous les titres lui appartiennent dans un courrier du 29 novembre 2002, 8 mois après le décès de son mari.

 

Mais la veuve n’est pas éternelle

Agée et gravement malade depuis de nombreuses années, Claire Gram doit donc très rapidement donner à ses enfants (5 sur les 7) la fortune dont l’avocat lui a dit de se déclarer détentrice : c’est la seconde phase de la « Programmation successorale ». Dans ce même courrier du 26 novembre 2002, Maître Emmanuel de Wilde d’Estmael donne aussi des « conseils » au notaire Deschamps officiellement chargé de liquider la succession de Robert Verbruggen afin de répondre de manière adéquate aux courriers du notaire Willems, choisi par 2 des 7 enfants héritiers, qui pose des questions dérangeantes à son confrère. Il propose aussi de poursuivre les donations des titres de 2 des 3 sociétés de famille « malgré l’interdiction de la banque dans le contrat de gage » et ce devant un notaire hollandais de Maastricht (hors présence de 2 des 7 enfants) qui officiera le 19 décembre 2002. « Il est préférable que ce soit uniquement 5/7 des actions qui soient cédés et non la totalité » ajoute-t-il, ce qui sous-entend que 5 des 7 enfants avaient bien eu l’intention de tout s’approprier du vivant de leur mère. Les titres de la 3ème société avaient déjà fait l’objet d’une donation par Claire Gram en Hollande le 1er juillet 2002 devant un notaire d’Amsterdam cette fois, au profit de 5 de ses 7 enfants et à l’insu des 2 autres, avant même l’ouverture des coffres de Robert Verbruggen dans une banque luxembourgeoise, le 11 octobre 2002, coffres dans lesquels le notaire avait déposé les titres des trois sociétés familiales. Il précise enfin à la notaire Liliane qu’il est préférable que « Claire Gram ne garde pas copie chez elle de ses lettres au cas où vos frères feraient une apposition de scellés dans le cadre de la succession ». Il désigne là les deux frères qui ne sont pas « dans la ligne ». Déontologie, déontologie !

 

Les inventoristes de la succession accumulée : les notaires à l’œuvre

Effectuer ce type d’inventaire, ce n’est pas un job d’étudiant. C’est un job de notaire. Non pas parce que la tâche est si compliquée que cela, mais parce qu’elle nécessite d’être authentifiée par celui qui détient une charge d’officier public, nommé par le Roi, exerçant une fonction publique dans le cadre d’une profession libérale, donc appartenant au monde public et au monde privé. Trouver les inventoristes adéquats ne s’est pas avéré compliqué. L’un, Yves Deschamps, un ami de Liliane Verbruggen, elle-même notaire, s’est immédiatement déclaré honoré dans son courrier du 26 avril 2002 d’être choisi comme notaire chargé de la succession d’un aussi prestigieux confrère, l’autre Liliane Verbruggen est dans la place et héritière de la succession. Le notaire Yves Deschamps s’est bien inquiété à un moment du rôle que l’on voulait lui faire jouer. Ainsi, le 4 septembre 2002, il faxe à sa confrère héritière Liliane Verbruggen : « Je ne comprends absolument pas pour quelles raisons on ne me communique pas les renseignements disponibles au sujet de la banque luxembourgeoise où pourraient avoir été ouverts un ou plusieurs coffres pouvant intéresser la succession. La rétention de ces renseignements n’est pas légitime… Si je ne reçois pas les renseignements demandés, je demanderai à être déchargé du dossier.» Une grande partie de la fortune était donc constituée de titres au porteur de 3 sociétés anonymes de droit belge, mais aussi d’une autre société anonyme beaucoup plus mystérieuse, Fidelec, un holding financier immatriculé au Liechtenstein.

L’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael était passé par là : il avait en effet recommandé en tant que planificateur successoral épris de déontologie qu’il fallait nier l’existence de ce holding financier
Le 11 octobre 2002, 6 mois après le décès, lors de l’ouverture des coffres loués par le défunt dans une banque luxembourgeoise, trois notaires étaient présents : Liliane Verbruggen héritière, Yves Deschamps (le notaire en charge de la liquidation de la succession) et Eric Willems (le notaire choisi par 2 des 7 enfants).Tous les héritiers étaient là, les 7 enfants et leur mère. Un procès-verbal d’inventaire notarié a été dressé à cette occasion sans que la moindre remarque ou réserve n’ait été formulée par qui que ce soit. Il a même été précisé verbalement à cette occasion par Marc Verbruggen, l’un des fils héritiers, en présence des trois notaires, que Claire Gram, la veuve, avait l’usufruit de toute la succession et la nue-propriété d’1/4 de la succession, les 7 enfants se partageant la nue-propriété des ¾ restants. Le PV d’inventaire notarié a été dressé en présence des représentants de la banque au profit de laquelle la plupart des titres avaient été donnés en gage par le défunt en 1994 dans le cadre d’une opération de financement de la construction de l’hôtel Jolly sis au Sablon, la célèbre place bruxelloise. Le 21 mars 2006, le notaire Willems croit bon de procéder à une déclaration écrite qui en dit long sur l’atmosphère qui a régné parmi ces officiers publics en charge de la succession de Robert Verbruggen. Il écrit : « Le soussigné notaire-honoraire Eric Willems, déclare être prêt à témoigner en justice que, lors de la réunion du 31 juillet 2002 en l’étude du notaire Yves Deschamps, en présence de la notaire Liliane Verbruggen à Bruxelles et lui-même, ces deux confrères ont déclaré qu’évidemment tous les titres se trouvant au Luxembourg appartenaient à feu Monsieur Robert Verbruggen ». Victime d’une crise cardiaque mortelle, il n’aura pas l’occasion d’apporter son témoignage de professionnel. 25% des actions d’une des trois sociétés anonymes de droit belge sont manquantes. Elles se trouvaient en fait dans un coffre voisin, lui aussi ouvert au nom de Robert Verbruggen et scellé par la banque le 24 septembre 2002, le jour même où la banque a appris le décès de Robert Verbruggen par le notaire Deschamps, soit presque 6 mois après le décès ! En revanche, les inventoristes ont fait chou blanc quant aux actions de la SA Fidelec. Or c’est précisément dans cette société que 29,4 millions € avaient été planqués, suite à la vente du Jolly Hôtel des Sablons le 17 décembre 2001, quelques mois seulement avant la mort du notaire. L’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael était passé par là : il avait en effet recommandé en tant que planificateur successoral épris de déontologie qu’il fallait nier l’existence de ce holding financier, conseil parmi tous les autres figurant dans trois de ses courriers émis les 19 et 26 novembre 2002 et le 2 décembre 2002, tombés plus tard entre les mains de la justice.

Rappelons-le, les notaires eux aussi doivent satisfaire à des règles déontologiques censées être contraignantes. La Chambre des notaires en témoigne ainsi : « Le notariat accorde la plus haute importance à la déontologie. Le notaire doit s’abstenir de tout comportement portant atteinte à la confiance des citoyens dans l’institution notariale ou contraire à la dignité du notariat. Toute une série de règles déontologiques a ainsi été fixée par voie de règlement ».

 

Les « hommes du chiffre » interviennent

Le professionnel du chiffre ne dira pas un mot sur les « curiosités comptables » de sa consœur Chantal Verbruggen qui tenait personnellement les comptabilités des trois sociétés familiales
Mais il ne suffit pas à la veuve du richissime défunt de donner à 5 de ses enfants (sur les 7) ce qui ne lui appartient pas. Il faut que les donations effectuées soient valorisées au montant déclaré de la succession. C’est alors que les « hommes du chiffre » interviennent. Avant même les obsèques du 17 avril 2002, la veuve, totalement dépendante de tierces personnes à cause de son état de santé, missionnait le réviseur d’entreprise Marc Ghyoot, ami de Chantal, elle-même réviseure, pour valoriser les 3 sociétés anonymes de droit belge déjà évoquées. Le holding financier Fidelec sis au Liechtenstein ne fait pas partie de la mission puisqu’il a été décidé de tout simplement nier son existence. Nier l’existence de Fidelec ne suffit pas à ceux qui sont en charge de transformer la succession d’un richissime notaire en succession de Monsieur Tout-le-monde. On se ravise et l’on exclut de la valorisation à effectuer l’une des trois sociétés de droit belge, propriétaire de 32 hectares de terrain à Grimbergen, le long du Ring de Bruxelles dont une valorisation trop faible aurait apparemment posé trop de problèmes, même à un réviseur d’entreprises enclin à la compréhension. L’ami réviseur s’exécute et ne craint pas de valoriser pour des queues de cerises l’une des deux société anonymes, propriétaire du Jolly Hôtel du Sablon jusqu’au 17 décembre 2001, du building Botanique et du terrain Botanique. Quant à l’autre, propriétaire du complexe Sablon Shopping Gardens de la célèbre place du Sablon, il lui attribue carrément une valeur négative. Le professionnel du chiffre ne dira pas un mot sur les « curiosités comptables » de sa consœur Chantal Verbruggen qui tenait personnellement les comptabilités des trois sociétés familiales : des opérations comptables innombrables ne concernant ni les achats, ni les ventes, ni les opérations de trésorerie, mais ce que les professionnels qualifient « d’opérations diverses » ce qui ne laisse pas de surprendre et pour l’une des sociétés au moins, une comptabilité tenue au crayon ! N’oublions pas que le réviseur d’entreprises est une personne assermentée qui exerce avant tout une mission d’ordre public et d’intérêt général : c’est l’Institut des réviseurs d’entreprises qui le proclame.

 

Le tour est joué ?

La planification successorale a été menée à bien. Le notaire Deschamps peut alors déposer le 27 décembre 2002 la stupéfiante déclaration de succession de Robert Verbruggen d’un montant de 117.000€. Le notaire aux 33.000 actes, essentiellement des actes de vente et de prêts, les plus lucratifs, celui qui était considéré comme un des grands spécialistes des actes de base d’immeubles à appartements multiples, laisse comme héritage, celui de Monsieur Tout-le-monde. Nous ne sommes qu’au tout début de l’affaire. Le prochain épisode nous permettra de mettre en scène et au premier plan des magistrats au rôle déterminant alors que le tour en question était sur le point d’être déjoué.

Christian Savestre

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