CHAPITRE VII
Les déclarations des uns et des autres au cours des 3 auditions ont été scrutées sur la base de 4 sources de données :
-les enregistrements audio-vidéos de 2 des auditions (Cour des Comptes et Ministre des Finances, celle du SPF Finances n’ayant pas été audio-enregistrée ni filmée)
-le rapport de Monsieur le Rapporteur sur les 3 auditions
-la retranscription automatique des 2 enregistrements audio via l’outil Adobe
-la comparaison de ces 2 retranscriptions avec le rapport de Mr le Rapporteur
A noter que deux responsables annoncés sur le compte Twitter de la Chambre des Représentants au titre de l’audition de l’Administration fiscale ne figurent pas dans le rapport de Monsieur le Rapporteur : il s’agit de Mr Tom Verschueren, « Data Miner » et de Mr Rudi Egels, Gestionnaire de risques. On en conclut qu’ils n’étaient a priori pas présents. Pour quelle raison ?
A noter aussi un point très important :
L’examen des questions et réponses intervenues au sein de la Commission Finances & Budget permet de rappeler que les choses se passent différemment dans d’autres pays.
Ainsi :
En France , des Commissions Sénatoriales du Parlement examinent depuis 15 ans divers aspects de la fraude fiscale notamment internationale et de la lutte contre la fraude fiscale,
En Angleterre, la Commission de contrôle des Comptes Publics du Parlement anglais examine régulièrement depuis 20 ans l’activité d’HMRC, Administration fiscale anglaise, en matière de contrôle fiscal et de lutte contre la fraude fiscale, notamment internationale,
Ces commissions se caractérisent, en sus des questions posées par les diverses sensibilités politiques y participant, par l’élaboration de questions “de consensus ” posées par l’ensemble de la Commission.
L’analyse de l’activité de la Commission des Finances de la Chambre du Parlement belge montre, quant à l’examen du rapport de la Cour des Comptes, l’absence de questions “de consensus” et des questions posées exclusivement par les diverses sensibilités de gauche et écologiste présentes dans la Commission et une quasi abstention générale de questions de la part des sensibilités de centre droit et de droite présentes dans le précédent Gouvernement des droites, dont un Ministre a été associé à la gestion du SPF Finances depuis 2009.
Parmi ces déclarations, des explications qui n’en sont pas, des affirmations destinées à balader le citoyen, voire le tromper. Quelques exemples de la pratique en la matière :
VII-1 Maquiller dans un jargon incompréhensible une évidence honteuse.
L’Administrateur-général AGISI, SPF Finances commence par le dire crûment :
Mais ce constat est immédiatement expliqué par des considérations techniques destinées à masquer l’absence de volonté de produire des statistiques pertinentes. Et cela s’exprime ainsi :
« L’ISI inscrit un dossier à son plan de travail lorsqu’une enquête préliminaire a montré que le dossier répond à la saisine de l’ISI. Le fichier reçoit alors une classification ou un code de secteur au début d’une enquête, par exemple Panama Papers, Dubaï Papers, diamants, constructions juridiques… Au cours de ces enquêtes, les contrôleurs s’intéressent particulièrement aux paiements vers les paradis fiscaux. Il n’est pas rare que tout ou partie de ces frais soient rejetés. Ces résultats ne figurent pas dans les chiffres de la Cour des comptes car l’ISI n’est pas en mesure de filtrer du résultat global de l’Inspection spéciale des impôts, les résultats qui concernent spécifiquement l’application de l’art. 198, § 1er,10 °CIR92, faute de code spécifique. Une dépense peut être rejetée pour différentes raisons. L’ISI ne peut pas fournir de détails sur les paiements vers les paradis fiscaux parce que le nombre de codes est limité. C’est la raison pour laquelle on ne dispose pas non plus de données statistiques. En revanche, les résultats enregistrés statistiquement sous le code sectoriel “275F” de l’Inspection spéciale des impôts ne portent pas automatiquement sur le rejet de frais professionnels en raison d’un paiement à un paradis fiscal. Le code sectoriel ne donne qu’une indication de la raison de l’inclusion du dossier dans le plan de travail de l’Inspection spéciale des impôts au début de l’enquête. Par exemple, il est possible que l’enquête montre que tous les paiements ont été déclarés et comptabilisés, mais que d’autres rubriques des déclarations fiscales ont dû être rectifiées ».
VII-2 Avouer la vérité pour la dernière année connue. Ne pas la rétablir pour les années précédentes. Empêcher ainsi toute comparaison.
Mais quelle est l’impossibilité de procéder pour les années antérieures à 2020 au même travail que celui qui a été fait pour l’année 2020 elle-même ?
VII-3 Ne pas craindre de recourir à des explications contradictoires.
C’est ce qu’affirme l’Administrateur-général AGISI, SPF Finances, Mr Vandermeulen (Page 60 du dossier du Rapporteur).
VII-4 Présenter comme impossible ce qui ressort de l’évidente nécessité.
L’impossibilité est présentée comme suit :
VII-5 Présenter sous forme de pourcentages des ordres de grandeur s’appliquant à des montants astronomiques.
La part des établissements financiers dans le total des paiements effectués vers des paradis fiscaux est évalué par les « autorités compétentes comme étant située entre 80% et 90% . Cette fourchette appliquée aux 578 milliards payés en 2020 et déclarés en 2021 s’exprime en valeur absolue entre 462,4 milliards et 520,2 milliards : une épaisseur du trait à 57,8 milliards !
VII-6 Faire prendre des vessies pour des lanternes.
760 entreprises ont donc déclaré, en 2021 au titre de paiements effectués en 2020 vers des paradis fiscaux , 383 milliards d’euros.
Les « autorités compétentes » nous disent que l’un des obstacles majeurs à une déclaration électronique et automatisée de ces paiements réside dans le nombre très élevé chez les déclarants de logiciels comptables différents, des milliers même !
VII-7 Avouer des énormités en les présentant comme des innovations.
Cela s’exprime ainsi de la part des Experts auditionnés :
« En ce qui concerne le formulaire de déclaration, le ministre des Finances, sur proposition du CAF[2], a modifié le formulaire de déclaration en avril 2021. Il s’agit d’un petit ajustement par lequel une colonne a été ajoutée au formulaire dans laquelle l’adresse du bénéficiaire du paiement est explicitement demandée. Il ne s’agit pas d’une obligation nouvelle, mais il avait été constaté que, dans la pratique, l’adresse n’était pas souvent indiquée. En prévoyant une colonne spécifique pour l’adresse, il devient un peu plus difficile d’oublier de la mentionner ».
« En outre, dans BizTax, et toujours sur proposition du CAF, une liste de choix fermée a été prévue dans laquelle l’État concerné doit être choisi. De cette façon, on évite que les États soient repris de différentes manières, par exemple avec des fautes d’orthographe ou des langues différentes. Désormais, la définition de l’État est uniforme, ce qui favorise l’analyse numérique. En outre, elle empêche également que des paiements soient déclarés à des États qui ne sont pas soumis à l’obligation de déclaration »
Quelle innovation ! Et il faut une proposition du département de la Coordination Antifraude soumise au Ministre pour en arriver là. Voilà 2 changements présentés comme étant majeurs effectués sur un formulaire déclaratif immuable pendant plus de 10 années, sans qu’aucune autre modification n’ait été effectuée.
VII-8 Parvenir à éluder des questions majeures.
La question est majeure et elle est exprimée ainsi par l’un des membres (PTB) de la Commission Finances & Budget :
A l’issue des auditions, le mystère demeurera. Une véritable entrave au droit d’information.
VII-9 Communiquer sur de prétendues données qualitatives quand on ne peut le faire sur les quantitatives.
Cela s’exprime ainsi :
« Le SPF a également pris des mesures pour améliorer la qualité de la déclaration. Les paiements les plus importants proviennent du secteur financier (pour environ 90 %), et la qualité des données de ces paiements a donc un impact majeur sur la qualité de l’ensemble des données. Le CAF a eu de nombreuses réunions avec le secteur pour comprendre les problèmes de conformité, et une solution pragmatique a pu être trouvée. Ces données sont donc beaucoup plus précises depuis l’exercice d‘imposition 2021 ».
On est donc prié de le croire !
Christian Savestre
[1] SAP :Progiciel de gestion intégré permettant de gérer l’ensemble des activités d’une entreprise. SAP est un groupe allemand leader sur son marché. Le progiciel est utilisé par une grande majorité des multinationales et grandes entreprises.
[2] CAF Coordination Antifraude