WIKILEAKS & LE PRINTEMPS ARABE… – JULIAN ASSANGE

JULIAN ASSANGE, UNE VIE
Épisode 22

L’année 2010 aura marqué l’histoire de la liberté d’expression, selon Amnesty International, en raison de la manière dont les activistes et les journalistes, avec une mention spéciale pour WikiLeaks, sont parvenus à s’emparer de la technologie au service de la vérité et des droits humains.

Julian Assange de son côté pointera le fait que nombre des vérités divulguées par les câbles étaient souvent déjà soupçonnées, voire connues des populations des différents pays, mais que le fait d’y avoir accès de source sûre, authentifiée, indiscutable, dote la contestation d’un cadre réel.

La journaliste du Monde Florence Beaugé, qui avait été expulsée de Tunisie suite à la rédaction d’articles trop critiques sur le régime, a été l’une des premières à prendre la mesure de l’importance des câbles relatifs au gouvernement tunisien :

C’était comme si pour la première fois, quelqu’un avait dit aux Tunisiens : vous n’êtes pas fous, vous avez raison de le haïr [Ben Ali], vous méritez mieux.
 Les Tunisiens pouvaient accéder aux preuves des méfaits de leur président. Ça changeait tout. Au New York Time, Bill Keller affirme que divulguer la corruption du régime tunisien a mis le feu aux poudres…

Voici le récit de Julian:

La corruption du régime Ben Ali n’était un secret pour personne en Tunisie, où la population souffrait d’une grande pauvreté, du chômage et de la répression (…). Mais c’est les preuves du département d’État sur la corruption du régime de Ben Ali qui suscita la colère du public et les appels à l’action chez les Tunisiens. (…) Le régime se mit à censurer les câbles, attisant davantage la haine du public. WikiLeaks, Al Akhbar et Le Monde disparurent du net tunisien, remplacés par « Ammar 404 » (Page not found). L’éditeur tunisien Nawaat.org contre-attaqua, diffusant des traductions des câbles à l’insu de la censure tunisienne. Tout cela mijota 20 jours durant, jusqu’au 17 décembre, jour où le jeune marchand de fruits Mohammed Bouazizi, poussé par le désespoir, s’est immolé. Sa mort le transforma en symbole et une rébellion ouverte se répandit dans les rues. Le ministre Oussama Romdhani admettra plus tard que ce sont les leaks du Cablegate qui ont fait tomber le système de Ben Ali.

À la fin de l’année, la colère populaire ne s’était pas apaisée. Dans différents pays, la révolte gronde. Tant et si bien que le 10 janvier 2011, Hillary Clinton entreprend ce qu’elle appellera son « WikiLeaks Apology Tour », une vaste « tournée d’excuses » au Moyen-Orient pour tenter de calmer les esprits… Mais 4 jours après son passage en Tunisie, le gouvernement Ben Ali tombe.

Moubarak qui, comme Khadafi, dénonçait la responsabilité de WikiLeaks dans les évènements.
Et les troubles se propagent à l’Égypte… Le 29 janvier, la place Tahir est envahie par les manifestants. Quelques heures auparavant, WikiLeaks divulguait des câbles de l’ambassadeur américain à Margaret Scobey. Ceux-ci révélaient à quel point la violence policière était routinière et émanait du ministère de l’Intérieur, ministère qui recommandait à sa police de frapper, d’humilier et de tirer sur les juges qui auraient la velléité de constituer une justice indépendante. 18 jours plus tard, Moubarak n’était plus au pouvoir… Moubarak qui, comme Khadafi, dénonçait la responsabilité de WikiLeaks dans les évènements.

Les images des troubles étaient diffusées dans toute la région par l’incensurable chaîne satellitaire Al Jazeera. Dans le mois qui suivit, on assista à des soulèvements au Yémen, en Lybie, en Syrie, à Bahreïn, en Iraq, en Jordanie, au Koweït, au Maroc et au Soudan. Même l’Arabie Saoudite connut des manifestations.

On n’a qu’une idée en tête à la Maison Blanche : inculper et à neutraliser Julian Assange
Et, ironie la plus totale, alors que cette vague révolutionnaire se répand dans tous les pays du Moyen-Orient, revendiquant toujours plus de liberté d’expression et de démocratie, c’est-à-dire ce que les États-Unis avaient toujours prétendu leur apporter, on n’a qu’une idée en tête à la Maison Blanche : inculper et à neutraliser Julian Assange. Le Grand Jury secret qui a pour but de parvenir à inculper Julian Assange sur la base de l’Espionnage Act est d’ailleurs créé le 11 mai de cette année-là…

La révolution ne s’est pas cantonnée au monde arabe : en juin 2011, la Puerta del sol était occupée et les manifestants faisaient face à la police anti-émeute vêtue de noir sur des places de toute l’Espagne. Des sit-in étaient organisés en Israël. Le Pérou connut des manifestations d’une telle ampleur que son gouvernement tomba. Aux États-Unis, Madison (capitale de l’est du Wisconsin) a été assiégée par des dizaines de milliers de personnes qui défendaient les travailleurs. Des émeutes étaient sur le point d’éclater en Grèce et à Londres.

Et toujours les contestataires se référaient aux câbles de WikiLeaks, câbles transmis par Chelsea Manning qui, pour sa part, croupissait alors toujours en prison dans l’attente de son procès ; elle devra attendre 3 ans avant son jugement…

Voilà, c’était le 22ème épisode de WANTED, la série qui vous emmène au cœur du réacteur de notre monde et vous en dévoile les secrets… Demain, nous reprendrons le fil de ce qui arrive à Julian après son arrestation qui a eu lieu le 7 décembre 2010.

Belgium4Assange

Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc Molitor, Pascale Vielle et Bogdan Zamfir

Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.

A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes.

Sources / Pour en savoir plus

WikiLeaks Files, The World according to US Empire, Éditions VERSO, 2016.

http://www.entelekheia.fr/2020/01/17/les-revelations-de-wikileaks-n6-le-cablegate-declenche-le-printemps-arabe-revele-de-lespionnage-a-lonu-et-ailleurs/

Sur le lien entre Chelsea Manning et le printemps arabe :

https://medium.com/@ifikra/chelsea-manning-and-the-arab-spring-1907fec77df1.

https://nawaat.org/2010/09/17/the-internet-freedom-fallacy-and-the-arab-digital-activism/.

Réaction de Khadafi aux Cablegate :

https://al-bab.com/blog/2011/01/gaddafi-versus-kleenex

https://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/wikileaks-et-le-printemps-arabe-en-lice-pour-le-nobel-de-la-paix-2011_967493.html.

Sur le lien entre WikiLeaks et la chute du gouvernement péruvien : https://www.aljazeera.com/features/2011/06/02/wikileaks-cables-the-great-equaliser-in-peru/?gb=true.

L’anonymat comme art de la résistance (anonymat et printemps arabe en Tunisie) : https://journals.openedition.org/terminal/1862.

À propos du Clinton’s Apology Tour : https://www.upi.com/Top_News/World-News/2011/01/10/Clinton-on-a-WikiLeaks-apology-tour/30541294675421/.