Quand les peuples remettent en cause les puissants

De l’Amérique Latine à Hong Kong, en passant par la France et le monde arabe, une vague de contestation sans précédent secoue nombre de pays. Le mouvement est international. Deux régions semblent plus particulièrement touchées : le monde arabe et l’Amérique Latine. Mais un pays européen, la France, un des piliers de l’Union Européenne, est aussi concerné. Enfin, la riche cité chinoise de Hong Kong, longtemps interface entre la République Populaire de Chine et l’économie mondiale, est secouée par un mouvement inédit. Y a-t-il des points communs entre ces différentes situations ? Que nous disent les protestataires sur ce monde en ce premier quart du XXIe siècle ?

La diversité des situations locales et régionales, dans lesquelles explose la contestation, est impressionnante. Celle-ci est induite par le contexte géopolitique propre à chaque pays concerné, par les spécificités de son histoire, de sa culture, de sa sociologie. Bien sûr, Quito, Port-au-Prince, Santiago, Beyrouth, Bagdad, Alger, Conakry, Paris, Hong Kong, présentent des différences importantes. Mais ce qui frappe au premier regard ce sont les similitudes entre les diverses révoltes auxquelles on assiste. Nous allons rapidement passer en revue quelques cas récents de soulèvements. Nous commençons par le monde arabe et l’Amérique Latine.

Monde arabe : la contestation des régimes autoritaires et corrompus

En 2011 et 2012, une lame de fond balayait une partie du monde arabe. Si les dictateurs tunisiens et égyptiens étaient vite tombés suite au soulèvement pacifique de la population, en particulier de la jeunesse, il n’en est pas allé de même partout. En effet des pays comme la Libye, le Yémen et la Syrie ont sombré dans la guerre civile à la suite de répressions sanglantes et d’interventions étrangères multiples, transformant ces pays en champ de bataille pour les puissances régionales. Dans d’autres pays, comme le Maroc avec le mouvement du 20 février, les manifestations populaires ont amené le pouvoir à des changements superficiels.

Aujourd’hui c’est le tour de nouveaux pays. Cela ressemble à une deuxième vague de contestation après celle dite des « printemps arabes » de 2011. L’Algérie, plus récemment le Liban et l’Irak sont cette fois concernés. Ces insurrections démocratiques ont été précédées depuis le début de l’année par une révolte pacifique et massive du peuple soudanais. Depuis son indépendance en 1956, le pouvoir y est détenu par l’armée. Les manifestations populaires massives ont non seulement forcé le dictateur El-Bechir à abandonner le pouvoir mais elles ont contraint l’armée à renoncer à organiser des élections manipulées et à accepter un gouvernement de transition, en parité avec les opposants civils, pendant 2 ans.

Les Algériens quant à eux se sont soulevés pour empêcher une cinquième candidature du président Bouteflika, complètement impotent, puis ont continué pour empêcher l’organisation d’une élection présidentielle manipulée par l’armée, institution qui gouverne en sous-main le pays depuis 1962. Par-delà la situation immédiate, ils rejettent un système reposant sur la corruption qui gaspille les énormes ressources du pays au bénéfice d’un clan et la mascarade d’élections largement frauduleuses. Au Liban et en Irak, où le pouvoir est réparti en fonction de critères confessionnels, les manifestants dénoncent les inégalités économiques, la corruption, le clientélisme et la confiscation de tous les pouvoirs par une élite réduite. N’oublions pas non plus qu’en Égypte, des milliers de personnes sont emprisonnées suite aux manifestations de cet été. Les protestataires visaient le régime militaire d’Al-Sissi, le bénéficiaire final de la révolution de 2011.

Il est frappant de constater que ces soulèvements pacifiques rassemblent toutes les classes sociales, toutes les générations, toutes les composantes ethniques ou religieuses de la population des pays concernés. Les soulèvements actuels dans le monde arabe présentent toutefois une différence de marque avec les évènements de 2011. Aujourd’hui les peuples ne demandent pas seulement la chute d’un dictateur. Ils veulent un changement complet de ce qu’ils appellent « le système ». Ce terme désigne à la fois le pouvoir politique, qu’il soit militaire ou civil, la mainmise d’une oligarchie sur l’économie, et leurs méthodes basées sur l’autoritarisme, l’arbitraire, la corruption systématique et le népotisme à grande échelle.

Amérique Latine : le rejet du néolibéralisme

L’Amérique Latine a vu une vague de gouvernements de gauche parvenir au pouvoir et y demeurer plus ou moins longtemps entre 1998, date de l’élection d’Hugo Chávez à la tête du Venezuela, et 2015, date de l’élection du candidat de la droite en Argentine. Des politiques sociales efficaces ont été mises en place entraînant une forte réduction de la pauvreté.

Puis les conséquences de la crise économique de 2008 ont commencé à se faire sentir, ralentissant la croissance économique, faisant perdre à l’état une grande partie de ses moyens financiers et handicapant de ce fait les politiques de redistribution. A cela il faut bien sûr ajouter les manœuvres, légales et illégales, des partis de droites appuyées par les États-Unis, pour chasser du pouvoir les gouvernements de gauche : le Honduras en 2009 et le Paraguay en 2011 ont ainsi connu des coups d’État institutionnels. Pays emblématique de la gauche latino-américaine, le Venezuela, quelles que soient les erreurs dues à son gouvernement, se trouve depuis l’élection de Maduro, successeur de Chávez en 2013, pris entre les multiples tentatives putschistes de l’opposition et le durcissement du régime, le tout sur fond de sanctions économiques étatsuniennes dévastatrices.

L’Argentine, le Brésil, l’Équateur, dans des circonstances différentes à chaque fois, ont ensuite vu le retour au pouvoir de la droite néolibérale sur fond de crise économique et dans un contexte où se mêlaient manœuvres judiciaires et campagnes de presse mensongères visant les gouvernements de gauche et le bilan de leur politique.

Ces dernières semaines, en Équateur, on a assisté à des manifestations populaires massives qui ont forcé le gouvernement de Lenin Moreno à reculer sur des mesures ultra-libérales. A peine élu sur un programme de gauche dans la lignée de celle du président Correa, Moreno a jeté le masque, lancé une politique diamétralement opposée et passé un accord avec le FMI.

Aujourd’hui le Chili est le théâtre des plus grandes manifestations qu’a connu ce pays depuis la fin de la dictature militaire de Pinochet en 1989. Ce pays fut un véritable laboratoire des politiques néolibérales sous la dictature entre 1973 et 1989. Les gouvernements civils qui se succédèrent depuis, qu’ils se réclament de la droite ou de la gauche, poursuivirent les mêmes politiques économiques et ne remirent jamais en cause la constitution imposée au temps de Pinochet. Les Chiliens réclament le départ du gouvernement, le changement radical de politique économique et maintenant le changement de constitution.

Des manifestations sur les mêmes thématiques, bien que moins spectaculaires, ont aussi eu lieu ces derniers mois au Brésil et en Colombie. L’Argentine, enfin, vient d’élire dès le premier tour des élections un gouvernement péroniste de gauche. Après 4 ans de pouvoir, le bilan du gouvernement Macri est accablant : la politique néolibérale a fait plonger le tiers de la population en dessous du seuil de pauvreté et ré-endetté le pays auprès du FMI pour des années. Les peuples équatoriens, chiliens, argentins rejettent ainsi clairement les politiques néolibérales qui ont ravagé leurs sociétés depuis les années 80, et ont été remises en place depuis le retour au pouvoir des droites.

Olivier Flumian
Pressenza Toulouse[1]

 


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(Crédit image : Pressenza)