POUR Press vous présente cette semaine plusieurs articles du GRESEA et de l’AFPS sur les liens de l’industrie militaire israélienne en Belgique et sur le flux interrompu de livraisons d’armes de la France vers Israël, ainsi que l’action STOP ARMING Israël en Belgique qui aura lieu le 23 juin 2025.
Également, un article sur les initiatives étatiques pour appliquer le droit international en Palestine.
Enfin, des informations, dont 3 sous forme de videos, sur les 4 actions internationales en cours,
●le retour de Rima Hassan à Paris suite à l’action de la Flottile pour Gaza, vidéo,
●la Marche du Maghreb pour Gaza, de plus de 1000 personnes d’Algérie et de Tunisie notamment, bloquée en Lybie, vidéo,
●la Marche Mondiale pour Gaza pour laquelle 5000 personnes de diverses nationalités sont présentes en Égypte et contrôlée par les services de sécurité égyptiens, article et vidéo,
●la Marche Paris-Bruxelles pour Gaza, du Dimanche 15 juin 2025 au 26 juin 2025, pour faire pression sur l’Europe pour qu’elle agisse contre le génocide à Gaza, article.
Depuis octobre 2023 et le début de l’agression israélienne contre la bande de Gaza, les actions militantes se sont multipliées en Europe. Au Royaume-Uni, des images spectaculaires de militants de la cause palestinienne prenant d’assaut des entreprises d’armement ont fait le tour des réseaux sociaux. Une cible revient souvent : Elbit Systems. En Belgique, des militants ont bloqué l’entrée d’une filiale de ce géant de l’armement israélien : OIP Sensor Systems à Audenarde. Quel rôle joue cette entreprise dans l’industrie d’armement israélienne ? Pour quelles raisons cette entreprise israélienne a-t-elle choisi de s’implanter en Belgique ? Quelle place occupent les activités belges dans l’économie générale de cette entreprise ?
Pour répondre à ces questions, il nous faut tout d’abord revenir sur l’histoire de l’industrie de l’armement en Israël, qui s’est surtout développée après 1967. Avant cette date, elle se limitait à la production d’armes légères de combat. Dès les années 1950, l’armée israélienne est fortement dépendante de ses fournisseurs étrangers, la France notamment. En 1967, en réponse à l’occupation israélienne de la bande de Gaza, de la Cisjordanie, du Sinaï égyptien et du Golan syrien, la France décide de mettre en place un embargo sur les armes à destination d’Israël [1].
Face à cette décision, Israël décide de faire de l’autonomie de sa production militaire une priorité. Une part importante du budget de l’État est donc consacrée à ce secteur, sous forme de projets de recherche et développement, de la formation d’ingénieurs et d’injections de capitaux publics dans les entreprises. L’État hébreu commencera donc à produire des avions de chasse Kfir, des missiles Gabriel et des chars Merkava [2]. Ainsi au milieu des années 1980, le secteur domestique de la défense emploie 65 000 personnes, ce qui représente plus de 20% de la main-d’œuvre industrielle du pays.
Cet effort industriel permet à Israël de gagner en indépendance
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quant à ses approvisionnements militaires et de diminuer les coûts des importations [3].
De la production à l’exportation
D’importateur, Israël devient rapidement exportateur d’armes. Selon Mosche Arens, ancien ministre de la Défense : « les exportations permettent de maintenir les hautes capacités et les lignes de production nécessaires en cas de guerre » [4]. Les exportations d’armes et la recherche d’autonomie sont donc intimement liées.
Israël utilise ses exportations comme un levier diplomatique. Le livre Israel’s Global Reach : Arms Sales as Diplomacy d’Aaron S. Klieman explique comment Israël a utilisé les ventes d’armes comme un levier stratégique et diplomatique pour assurer sa sécurité nationale et renforcer ses alliances internationales, notamment en soutenant des États sous sanctions et des régimes autoritaires. L’auteur démontre également que la politique d’exportation d’armes d’Israël poursuit un but économique mais aussi géopolitique : garantir son autonomie militaire en réduisant sa dépendance vis-à-vis des puissances étrangères, les États-Unis et l’Europe en l’occurrence [5].
Cette politique de défense israélienne n’a pas toujours reçu l’assentiment de ses alliés. Les États-Unis ont ainsi empêché les Israéliens d’exporter des armes vers certains pays sous sanctions. Ce fut le cas du régime d’Apartheid en Afrique du Sud, avec lequel Israël entretenait des relations commerciales privilégiées et vers lequel de nombreuses armes israéliennes étaient exportées. Les États-Unis ont également empêché Israël de vendre 12 avions Kfir à la dictature uruguayenne en 1978 [6].
Israël a également été touché par d’autres types de restriction, comme l’accès aux bombes à fragmentation après leur utilisation contre des civils au Liban dans les années 1980.
Les limites de l’autonomie
La politique industrielle israélienne d’armement a permis au pays de disposer d’une certaine autonomie. Pour autant, une indépendance totale n’est pas possible pour des raisons structurelles.
Israël n’a pas la main-d’œuvre suffisante pour produire toutes les pièces d’une arme. L’État hébreu continue donc de dépendre de ses alliés pour importer les pièces nécessaires au développement de son industrie et à la production de son armement. Par conséquent, cette dépendance aux pièces détachées ou aux matières premières implique également une dépendance technologique vis-à-vis de ses fournisseurs [7].
Ainsi, Israël a dû faire face à des restrictions au niveau de l’accès aux technologies américaines ce qui poussera les Israéliens à espionner leur allié pendant des années. Il s’agit d’un espionnage industriel à grande échelle qui a fait l’objet d’un scandale en 2014 [8].
De plus, la légitimité de la politique de développement d’une industrie d’armement en elle-même fait débat. Des économistes israéliens affirmaient que les 700 millions de dollars dépensés annuellement au cours des années 1980 dans l’armement auraient été plus profitables s’ils avaient été dépensés dans le développement des secteurs civils [9]. En outre, l’industrie domestique va progressivement se constituer autour d’un duopole composé d’IAI et Rafael, des entreprises largement soutenues par des fonds publics car elles n’étaient pas rentables [10].
Le développement d’Elbit Systems
L’entreprise privée Elbit Systems se développe dans ce contexte marqué par les limites structurelles de l’État israélien en matière de production d’armes et par un duopole public. Elbit Systems est une entreprise israélienne fondée en 1966, initialement comme division d’Elron Electronic Industries spécialisée dans l’électronique de la défense. Aujourd’hui, Elbit est un acteur majeur dans les domaines des drones, des systèmes de communication et de surveillance. Cotée au NASDAQ et à la bourse de Tel-Aviv, l’entreprise est principalement détenue par le groupe Federmann [11]. Cette entreprise connait une ascension fulgurante dans les années 1990, grâce à une politique d’acquisition agressive au sein du marché de l’armement en Israël.
Cette politique d’absorption vise surtout des startups technologiques hyperspécialisées qui enrichissent le portefeuille technologique d’Elbit tout en multipliant sa part de marché et son chiffre d’affaires. Entre 1990 et 2000, Elbit Systems devient un acteur majeur sur le marché israélien et accroit sa taille et son chiffre d’affaires. Comme c’est souvent le cas dans ce secteur, cette entreprise, bien que privée, s’inscrit dans la politique publique de défense israélienne. Elbit produit par exemple les bombes à fragmentation interdite par la communauté internationale, à destination de l’armée israélienne.
L’entreprise fournit désormais 50% de l’équipement militaire de l’armée israélienne. Dès le début des années 2000, elle mène une politique d’acquisition à l’international en s’appuyant sur les augmentations des budgets militaires à la suite des attentats en Europe et aux États-Unis. L’entreprise achète des entreprises américaines, britanniques et australiennes notamment. Mais cette stratégie ne se limite pas aux pays dits « développés ». Elbit acquiert également des entreprises en Inde, où les règles incitent à l’investissement local, ou encore au Brésil.
Les entreprises absorbées par Elbit Systems sont en général des entreprises hyperspécialisées dans certaines technologies. Cette politique poursuit plusieurs objectifs : augmenter le portefeuille technologique, en profitant des savoir-faire locaux dans les pays où le secteur est développé (États-Unis et Royaume-Unis) pour offrir une plus grande gamme de produits et proposer des solutions complètes en interne plutôt que d’acheter à l’extérieur ; augmenter la taille et le chiffre d’affaires de l’entreprise pour être un concurrent majeur sur le marché mondial, en profitant notamment de la main-d’œuvre abondante et peu chère de certains pays comme l’Inde ; s’ouvrir un accès aux marchés locaux des entreprises absorbées, souvent inaccessibles pour une entreprise étrangère. Cette pénétration réduit en outre sa dépendance financière à l’argent public israélien.
Il est finalement assez logique que la Belgique se trouve intégrée dans cette stratégie. En effet, la Belgique a un secteur traditionnel de l’armement assez développé, surtout en Wallonie et possède une main-d’œuvre qualifiée. La position stratégique du pays est aussi importante ; acquérir une entreprise en Belgique permet d’investir le marché européen dans le pays où siège l’OTAN.
Le rachat d’OIP Sensor Systems par Elbit Systems
C’est pour cela que l’entreprise israélienne achète OIP Sensor Systems en 2003, une entreprise belge de l’optronique, soit les technologies combinant l’optique et l’électronique pour détecter, surveiller, viser ou guider. Elle inclut les caméras thermiques, les capteurs infrarouges, les viseurs et les systèmes de vision nocturne. Ces équipements sont essentiels pour les opérations militaires, de jour comme de nuit, en améliorant la précision, la détection et la protection sur le champ de bataille. Fondée par un ingénieur gantois en 1919, l’entreprise emploie aujourd’hui plus de 125 personnes, principalement des ingénieurs et des scientifiques.
Grâce à cette implantation locale, Elbit a eu l’opportunité de participer à plusieurs programmes belges d’armement. En 2007, la firme a remporté un contrat d’environ 44,8 millions € pour équiper de tourelles les 138 véhicules blindés Piranha III de l’armée belge. En coopération avec le constructeur MOWAG (Suisse), Elbit a fourni ces postes de tir télécommandés (ORCWS) entre 2007 et 2012, faisant de l’armée belge l’une des premières armées dotées de tourelles de moyen calibre sans pilote [12].
En 2015, elle est également sélectionnée pour un contrat d’environ 150 millions de dollars afin de fournir des systèmes d’équipement numérique pour les soldats aux pays du Benelux, y compris la composante terrestre belge [13].
L’avantage comparatif israélien
Un article de VRT NWS, daté du 10 février 2025, révèle que, malgré l’escalade du conflit à Gaza en octobre 2023, l’armée belge a poursuivi ses achats auprès d’entreprises de défense israéliennes. La Défense belge a acquis 109,5 tonnes de munitions auprès d’IMI Systems, une société rachetée en 2018 par Elbit. De plus, un véhicule militaire blindé Piranha a été acheté à une filiale israélienne de l’entreprise danoise DSV [14].
Pourquoi la Belgique, qui a une tradition industrielle militaire, décide-t-elle d’acheter israélien malgré les questions éthiques et politiques que ces achats publics posent ?
Un élément de réponse se trouve dans le livre The Palestine Laboratory : How Israel Exports the Technology of Occupation Around the World [15] du journaliste d’investigation Antony Loewenstein qui développe cette idée : les territoires palestiniens occupés servent de laboratoire réel pour tester les technologies de surveillance, de répression et d’armement que l’État israélien exporte ensuite dans le monde entier. Un exemple révélateur de cette stratégie est la participation d’Elbit Systems à la mise en place de technologies de surveillance le long du mur séparant les États-Unis et le Mexique, destiné à contrôler les flux migratoires. Ces systèmes ont d’abord été testés sur le mur de séparation israélien, érigé entre les colonies et les territoires palestiniens occupés.
Selon Petra Molnar, chercheuse à York University et affiliée à Harvard, Israël développe des technologies sur les Palestiniens avant de les exporter, imposant des « technologies d’apartheid et de contrôle » fondées sur une vision sécuritaire partagée avec des États comme les États-Unis [16].
À la frontière mexicaine, cela prend la forme d’un « mur virtuel », soutenu par Joe Biden, basé sur l’intelligence artificielle et des tours de surveillance intégrée : une solution moins visible que le mur physique, mais tout aussi dissuasive – et particulièrement rentable pour les entreprises privées. Les États préfèrent acheter israélien car leurs technologies sont éprouvées sur le « terrain ».
Une explication complémentaire et plus générale se trouve dans la tendance globale de l’industrie de l’armement à la libéralisation et l’ouverture à la concurrence, comme expliqué dans l’article « L’industrie mondiale de défense, entre mondialisation et politique de puissance des États » de Fanny Coulomb [17]. Bien que le succès de cette politique d’ouverture à la concurrence soit mitigé du fait de l’interventionnisme des États dans ce secteur. Cette tendance à la libéralisation pourrait expliquer la présence d’entreprises israéliennes dans les marchés publics de la défense belge.
L’Union européenne a mis en place une législation qui va dans ce sens. La directive 2009/81/CE vise, par exemple, à harmoniser les procédures d’attribution des marchés publics dans les domaines de la défense et de la sécurité au sein de l’UE. Elle cherche à ouvrir ces marchés à une concurrence accrue tout en respectant les spécificités liées à la sécurité nationale. L’objectif est de renforcer l’efficacité et la compétitivité de l’industrie européenne de la défense en assurant une transparence et une égalité de traitement dans les processus d’attribution des contrats [18].
Conclusion
L’absorption par Elbit Systems d’une entreprise belge est donc bien le résultat d’une stratégie internationale de l’entreprise israélienne mais aussi une réponse aux limites structurelles de l’industrie de l’armement israélien qui n’a pas pu développer une autonomie industrielle suffisante dans le secteur public de l’armement. De ce point de vue, OIP Sensor Systems est donc un élément à part entière de la machine de guerre israélienne. La filiale belge répond à de multiples enjeux stratégiques majeurs de l’industrie israélienne : premièrement la question de la technologie et du savoir-faire et deuxièmement l’ancrage local qui permet à Elbit de décrocher des contrats avec la Défense belge et européenne. Les activistes qui ont bloqué OIP en mars 2024 ne s’y sont pas trompés. Les actions concrètes pour freiner la machine de guerre israélienne sont nécessaires face à l’inaction des gouvernements européens.
Abdullah Al-tahafi,
“OIP et l’industrie de l’armement israélien”,
Gresea,
mai 2025.
■La Marche Paris-Bruxelles pour Gaza, départ le Dimanche 15 juin 2025, pour le Conseil européen du 23 juin 2025, organisée pour la France par la LDH, l’AFPS, les syndicats CGT, FSU et Solidaires, l’ABP pour la Belgique et la FIDH, soutenue notamment par le PCF, LFI et EELV, par MSF, Attac France, Greenpeace et l’UJFP. Voir le trajet.
Illustration : MathKnight and Zachi Evenor צחי אבנור, CC BY-SA 4.0, Wikimedia.
By GRESEA
Le GRESEA ou Groupe de Recherche pour une Stratégie Économique Alternative, né en 1978, est un centre de recherche et d'informations sur l'économie internationale et ses impacts sociaux, écologiques et culturels, ainsi que les formes de résistances et d'alternatives au modèle économique dominant.
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