À l’approche d’un rendez-vous électoral majeur, l’Association belge des victimes de l’amiante (Abeva) tient à vous rappeler les enjeux que présentent l’utilisation passée de l’amiante, sa persistance dans notre environnement, notamment de travail, les risques du désamiantage et le coût exorbitant des dégâts humains et financiers causés par l’amiante.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, dans l’Union européenne, entre deux et quatre millions de personnes sont mortes parce qu’elles avaient été exposées à l’amiante, en majorité des travailleurs (1). Malgré l’interdiction de l’amiante en 2005 sur le territoire de l’Union, l’hécatombe continue. Une étude publiée dans le journal médical The lancet a estimé pour la seule année 2019 à près de 90 000 le nombre des décès par cancers professionnels dus à l’amiante pour l’ensemble des 27 Etats membres.
En Belgique le nombre des mésothéliomes, le cancer de la plèvre typique d’une exposition à l’amiante ne faiblit pas : plus de 300 en 2021 (2). En cause, d’une part le temps de latence entre l’exposition et l’apparition des maladies liées à l’amiante. D’autre part le fait que l’amiante “en place”, estimé en millions de tonnes, continue à présenter des risques d’exposition via la dégradation de bâtiments (immeubles, écoles, bâtiments industriels, publics et privés contenant de l’amiante ) et la détérioration des flocages et des matériaux en amiante.
Ce qui se traduit par une augmentation inquiétante du nombre des victimes environnementales et para professionnelles. En Belgique, parmi les victimes de mésothéliomes indemnisées par le Fonds amiante (AFA) entre 2007 et 2023, 26 % étaient des victimes non professionnelles (3).
Aux mésothéliomes, nous devons ajouter les autres pathologies liées à l’amiante notamment : cancer du poumon, cancer du larynx, cancer des ovaires, plaques pleurales. Si les trois cancers sont pris en compte par l’AFA, les critères d’exposition pour leur reconnaissance sont tellement stricts qu’aucune victime non professionnelle ne pourra y prétendre. Ainsi un grand nombre de victimes de l’amiante échappe aux statistiques officielles.
L’amiante est donc malheureusement toujours un enjeu de santé public, responsable de décès prématurés, de souffrances et de vies gâchées.
La Belgique patrie du lobby de l’amiante : Eternit
Il n’est pas une ville, un village, un hameau dans notre pays qui ne compte des toits, des pignons, des tuyaux, des canalisations en amiante-ciment
La Belgique a compté des filatures d’amiante, notamment à Auvelais et à Deurne, une usine de freins en amiante à Manage, des entreprises de textiles et de cartons en amiante et surtout plusieurs lieux de production d’amiante-ciment dont les plus importants étaient liés au groupe Eternit, aujourd’hui Etex. Une des usines du groupe était située à Harmignies (Mons).
La production d’amiante-ciment a démarré en Belgique en 1906 et s’est poursuivie jusqu’à son interdiction en 1998. Une interdiction tardive par rapport à d’autres pays européens grâce notamment au lobbying efficace de la société Eternit qui malgré la connaissance qu’elle avait des dangers de l’amiante a persisté pendant des décennies à défendre son utilisation bec et ongles comme l’ont reconnu plusieurs décisions de justice en 2014, 2017 et 2022.
La société Eternit a été une des plus grandes multinationales de l’amiante et ses responsables ont dirigé le lobby mondial de l’amiante. La famille Emsens actionnaire principal d’Eternit est devenue milliardaire grâce à la vente de ses produits en amiante- ciment.
Il n’est pas une ville, un village, un hameau dans notre pays qui ne compte des toits, des pignons, des tuyaux, des canalisations en amiante-ciment.
Il est juste et légitime que le pollueur soit aussi le payeur.
En 2022, les dépenses de prestations sociales de l’AFA se sont montées à environ 20 millions d’euros. Le montant provisoire pour 2023 est d’environ 26 millions d’euros.
Pour rappel, avant la création du Fonds amiante, Eternit offrait 42000 € à chacun de ses travailleurs victime de mésothéliome. Depuis 2007, Eternit participe au financement de l’AFA comme toutes les autres entreprises du pays ni moins, ni plus, 0,01 % de la masse salariale, soit quelques milliers d’euros.
L’Abeva milite depuis de longues années pour un plan de désamiantage massif et coordonné des bâtiments, des écoles et des maisons. Jusqu’à présent les désamiantages sont des initiatives individuelles, sociétés, administrations ou particuliers qui en assument la charge. Les frais sont donc assumés par la collectivité et ses citoyens/contribuables. La Flandre a estimé à plusieurs centaines de millions d’auro le coût de son plan visant à libérer la région de la présence d’amiante d’ici 2040. C’est ambitieux ! L’Abeva applaudit cette initiative et souhaite que l’ensemble des autres régions emboitent le pas. Bien décidée à appliquer le principe du « pollueur- payeur », la ministre de l’environnement de la région flamande est à la recherche de solutions pour faire participer les ex-producteurs d’amiante à ce plan.
Les régions wallonne et bruxelloise recèlent, elles aussi, beaucoup d’amiante.
À la veille des élections, l’Abeva attend donc des dirigeants et des représentants wallons et bruxellois qu’ils prennent enfin la question de l’amiante à bras le corps :
- inscrivent le désamiantage dans leurs programmes électoraux et
- élaborent un plan d’élimination de l’amiante en Wallonie et à Bruxelles qui devrait être co-financé par les ex-industriels de l’amiante qui, durant des décennies, ont délibérément amianté notre pays.
Nous ne voulons pas que la catastrophe se perpétue !
Pour l’ABEVA
Eric Jonckheere Président
(1) HesaMag n° 27, 1er semestre 2023 ; (2) Registre du cancer ; (3) Fedris