Jeremy Hammond : « Happy LulzXmas ! » – Julian Assange

JULIAN ASSANGE, UNE VIE
Épisode 26

 

Jeremy Hammond, 27 ans, alias Anarchaos, alias Sup g, était l’un des hackers les plus radicaux et engagés d’Anonymous. Très à gauche, il s’identifiait aux idées du Weather Underground, un collectif américain de la gauche radicale anti-impérialiste et antiraciste, considéré comme une organisation terroriste par le FBI, et dissous dans les années 70. Il estimait d’ailleurs que le mouvement Occupy était trop apprivoisé :

J’ai toujours dit sans ambiguïté que je suis un anarchiste communiste. Je crois que nous devons abolir le capitalisme et l’État dans son intégralité pour réaliser une société libre et égalitaire et je n’ai pas l’intention de diluer ou “vendre” le message ou de le rendre plus commercialisable pour les masses.

En juin 2011, il s’allie à une nouvelle faction de Anonymous, connue sous le nom de LulzSec (« Lulz », le « lol » du hacker, et « Sec » pour « security »)  qui se décrit comme un « front populaire » contre « les gouvernements, entreprises, militaires et forces de l’ordre corrompus du monde ». Le fondateur de LulzSec, qui comptait une demi-douzaine de membres, était un hacker de 29 ans, Sabu. Il avait fait partie du groupe d’Anonymous qui avait attaqué HBGary (WANTED – Épisode 21) et nourrissait une aversion particulière pour l’industrie du renseignement. « Montrons-leur que nous pouvons aussi les espionner », avait-il tweeté à ses plus de 35.000 adeptes début décembre.

Dans le cadre de l’opération #AntiSec, Jeremy Hammond et LulzSec décident de s’attaquer à Stratfor, une grande société du renseignement, l’équivalent privé de la CIA. Stratfor surveillait les points chauds politiques dans le monde et fournissait des analyses aux services de sécurité américains, ainsi que des services de sécurité personnalisés à des entreprises de premier plan, en compilant des dossiers sur des militants et autres personnes considérées comme des menaces. Jeremy avait déjà fait de la prison pour de précédents hacks. Il savait que celui-ci l’exposait à purger une lourde peine. Il se disait prêt.

À Noël – que LulzSec surnomme cette année-là “LulzXmas”, Jeremy Hammond et LulzSec passent à l’action. Ils subtilisent 200 gigaoctets de données, détruisent les bases de données de Stratfor, et défigurent son site web en y plaçant un message qui promet une « semaine de chaos »… Pour couronner le tout, ils terminent leur communiqué avec le texte du Comité Invisible : « It’s useless to waitfor the revolution revolution is not coming, it is there »

Que contenaient les données dérobées ? Les informations de milliers de cartes VISA, des listes de clients privées dévoilant les liens étroits entre Stratfor, de grandes entreprises et les services de renseignement et de défense américains. Mais la découverte la plus importante est la base de données de courrier électronique de Stratfor : quelque 3 millions de messages privés révèlent un large éventail d’activités malveillantes et clandestines, de la surveillance du mouvement Occupy par le gouvernement américain au rôle de Stratfor lui-même dans la compilation de données sur divers mouvements militants comme PETA, Anonymous… et WikiLeaks.

Avec les données VISA, #AntiSec a prévu de faire des dons à des ONGs comme CARE et la Croix-Rouge américaine… Jeremy, le Robin des Bois du numérique, est un habitué du détournement des cartes pour des œuvres caritatives et a déjà fait de la prison pour des faits analogues. Quant aux autres informations, Jeremy les transmet à WikiLeaks qui publiera en février 2012 les Global Intelligence Files : plus de 5 millions de courriels de la société Stratfor. Demain, nous reviendrons sur ces révélations.

Voyons pour l’heure ce que les données subtilisées nous apprennent de la stratégie des USA à l’égard de Julian Assange. Voici quelques extraits de la correspondance de Fred Burton, vice-président de Stratfor :

  • « Il faut d’abord ruiner [financièrement] ce trou du cul, ensuite ruiner sa vie. Lui coller 7-12 ans pour complot (1057220).
  • Saisissez l’argent. Poursuivez son infrastructure. Les outils que nous utilisons pour baiser et désosser un « wiki » sont les mêmes que ceux utilisés pour démanteler et suivre Al-Qaïda. Remerciez Cheney et 43 [= George W. Bush]. Big Brother tient le terroriste libéral par les couilles (1067796).
  • Assange fera une jolie mariée en prison. Au diable le terroriste. Il bouffera de la nourriture pour chat pour le reste de sa vie (1056988).
  • Trouver les confédérés de Julian Assange est aussi la clé. Renseignez-vous sur les autres voleurs mécontents [les lanceurs d’alertes] à l’intérieur de la tente ou à l’extérieur. Chargez la barque. Trimbalez-le [Julian] d’un pays à l’autre pour faire face à diverses accusations pendant les 25 prochaines années. Mais saisissez tout ce que lui et sa famille possèdent, sans oublier tous ceux liés à Wikileaks (1056763).
  • L’extradition vers les États-Unis est de plus en plus probable (373862) ».

La correspondance de Fred Burton révèle aussi l’existence d’un « grand jury » secret qui prépare le procès de Julian Assange (Burton : « L’enquête est d’une ampleur et d’une nature inégalées »). Le grand jury s’était réuni à Alexandria, en Virginie avec l’appui du Département de la Justice et du FBI, pour examiner la possibilité de porter contre Julian des accusations de « complot », au sens de l’Espionnage Act de 1917. Aucun avocat de la défense n’était présent.

Le hack de Stratfor reste l’un actes les plus fameux dans l’histoire de l’hacktivisme américain. Il aura coûté des millions de dollars à l’entreprise, mais a attiré l’attention du monde entier la question de la surveillance généralisée.

Trois mois après le piratage de Stratfor, dans la soirée du 5 mars 2012, Jeremy se fait arrêter suite à la trahison de SABU qui, menacé de 120 ans de prison, balance en quelques mois au FBI tous les membres de LulzSec. Jeremy Hammond sera condamné à 10 ans de prison ferme. Son procès, comme celui de Julian Assange, a été entaché de soupçons de conflit d’intérêt : le mari de la juge chargée du dossier était directement concerné par les mails de Stratfor publiés par WikiLeaks, il était employé par un cabinet d’avocats travaillant en étroite collaboration avec Stratfor.

À l’audience, Jeremy Hammond déclarera :

J’ai plaidé coupable, c’est un soulagement de pouvoir dire que j’ai travaillé avec Anonymous pour pirater Stratfor, entre autres sites web. Ces autres sites comprenaient des fournisseurs de matériel militaire et policier, des sociétés privées de renseignement et de sécurité de l’information, et des agences de maintien de l’ordre. J’ai fait cela parce que je crois que les gens ont le droit de savoir ce que les gouvernements et les entreprises font à huis clos. J’ai fait ce que je crois être juste.

En octobre 2019, Jeremy Hammond a pris le risque de voir augmenter sa peine de prison en refusant de témoigner contre Julian Assange. Il a été libéré après 7 ans d’incarcération le mercredi 18 novembre 2020… et Belgium4Assange s’en réjouit.

Voilà, c’était le 26ème épisode de WANTED, la série qui vous emmène aux tréfonds de notre monde pour vous en révéler les secrets… Demain, nous aborderons le reste du contenu du précieux hack de Jeremy pour un des épisodes les plus importants de la série.

Belgium4Assange

Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc Molitor, Pascale Vielle et Bogdan Zamfir

Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.

A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes.

Source / Pour en savoir plus

Communication de #AntiSec : https://pastebin.com/q5kXd7Fd.

De l’insurrection qui vient, Comité Invisible, Éditions La Fabrique. PDF du texte : https://lafabrique.fr/wp-content/uploads/2017/05/pdf_Insurrection.pdf?fbclid=IwAR0lSv77EJVNzYbMVT4F-UjKiyUyP1YhGV-WRonrbLSy86Mf9LKnxixeor8..

https://www.salon.com/2013/05/28/jeremy_hammond_pleads_guilty_to_role_in_stratfor_hack/.

https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/11/15/une-source-de-wikileaks-condamnee-a-dix-ans-de-prison_3514829_3222.html.

http://archive.vn/gHMzq.

https://wikileaks.org/Stratfor-Emails-US-Has-Issued.html.

https://www.legrandsoir.info/courriels-stratfor-les-etats-unis-ont-emis-un-acte-d-accusation-scelle-contre-julian-assange.html.

https://www.partage-le.com/2019/05/stratfor-ou-comment-le-monde-de-lentreprise-combat-lactivisme-par-steve-horn/.

https://www.rollingstone.com/culture/culture-news/the-rise-and-fall-of-jeremy-hammond-enemy-of-the-state-183599/.

À propos de la pression exercée sur Jeremy Hammond pour témoigner contre Julian Assange : https://www.washingtonpost.com/local/legal-issues/hacker-linked-to-wikileaks-says-hes-been-brought-to-virginia-for-testimony/2019/09/03/3a46600c-ccce-11e9-87fa-8501a456c003_story.html

Pour en savoir plus sur l’histoire d’Anonymous : Anonymous, Gabriella Coleman.