Voyage en ADGM (Abu Dhabi Global Market), à la rencontre des multinationales

CHAPITRE VIII

Voyage en ADGM (Abu Dhabi Global Market), à la rencontre des multinationales.

Le capital demande une liberté de droit pour mieux organiser une oppression de fait Albert Camus

 

VIII-1 Contexte et définition générale.

Une lourde tendance consiste en la centralisation des opérations de trésorerie

La littérature spécialisée nous apprend que la gestion de trésorerie des entreprises connaît une phase de changements majeurs, profonds et rapides, dans lesquels la technologie, elle-même en évolution constante, joue un rôle important.

Les multinationales sont à la pointe en la matière. Ces changements majeurs se traduisent par une lourde tendance consistant en la centralisation des opérations de trésorerie, dans un ou plusieurs centres régionaux de trésorerie[1] (CRT), voire dans un centre mondial.

Cette évolution pose la question des conventions de prévention de double imposition
Cette évolution constante et rapide pose évidemment la question d’une autre évolution, celle des conventions de prévention de double imposition avec ou sans clause de discrimination (existantes, en cours de négociation ou futures) dont on n’est pas sûr qu’elles connaissent les adaptations nécessaires qui devraient résulter des opportunités que se créent les multinationales en inscrivant ces changements majeurs dans le cadre de paradis fiscaux figurant ou non sur les listes de paradis fiscaux des pays signataires, de l’Union européenne ou de l’OCDE. Aux avantages fiscaux en vigueur dans ces paradis, viennent s’ajouter des systèmes réglementaires et judiciaires présentant une grande attractivité pour les multinationales en question.

Le « cash pooling » y figure systématiquement.  
Les CRT (Centres Régionaux de Trésorerie) regroupent en un seul lieu les fonctions nécessaires à la gestion de la trésorerie des multinationales, par une équipe elle-même réunie dans le pays ou la zone choisie. Les fonctions qui y sont exercées sont variables d’un CRT à un autre, en fonction des besoins de chaque multinationale, mais ce qui s’appelle le « cash pooling[2] » y figure systématiquement.

 

VIII-2 Pourquoi installer un Centre Régional de Trésorerie aux Emirats arabes unis ? à Abu Dhabi ? En ADGM (Abu Dhabi Global Market) ?

VIII-2-1 Avant-propos

L’évangile selon PwC raconte la même chose que les 3 autres
Pour répondre, il faut choisir entre 4 Evangiles ! Dans cette affaire, il y en a effectivement 4 d’évangiles qui ont la particularité de prêcher la même religion, celle de l’évasion fiscale, sur la planète entière, dans une langue unique, le globish. On a choisi l’évangile selon PwC, l’un des 4, qui raconte la même chose que les 3 autres (selon Deloitte, selon EY et selon KPMG) mais qui nous a semblé plus attractif à cause de sa mise en page, comme quoi le fond ne se différencie pas.

Abu Dhabi Global Market (ADGM), que l’évangéliste définit comme une zone franche financière fédérale
Et comme des centaines de milliards (depuis 2010) de règlements d’entreprises belges sont allés vers les Emirats arabes unis, nous avons choisi, dans l’Evangile selon PwC, le livre qui traite de la centralisation de la trésorerie des multinationales aux Emirats arabes unis, célèbres paradis fiscaux, et plus particulièrement le sous-livre relatif à l‘Emirat d’Abu Dhabi qui lui-même comporte un sous-sous-livre relatif à « l’ADGM » Abu Dhabi Global Market, que l’évangéliste définit comme une zone franche financière fédérale créée en 2013 « dans le cadre d’une initiative stratégique du gouvernement d’Abu Dhabi, visant à fournir l’infrastructure physique, commerciale et financière nécessaire pour faire d’Abu Dhabi un centre financier et commercial mondial. ». La dernière version de l’évangéliste choisi est relativement récente, elle date de mai 2019[3].

Le denier du culte ne varie pas
Avant d’avancer dans la prise de connaissance de l’ADGM, précisons aux fidèles (ou plutôt les clients dans cette religion-là) des 4 évangélistes qu’ils doivent eux-aussi se préparer à des évolutions bouleversantes. En effet, la concurrence n’épargne personne et les 4 évangélistes n’ont pas l’assurance de connaître la stabilité de Matthieu, Marc, Luc et Jean ! Il y a quelques années, ils étaient 10. Il sont passé à 8,  à 5 et maintenant à 4. Les disparitions se passent bien puisqu’ils disent tous la même chose, même le denier du culte ne varie pas.

VIII-2-2 Les critères généraux d’installation qui prévalent.

De nombreux groupes multinationaux, européens et américains, ont donc établi au cours des dernières années des Centres régionaux de Trésorerie aux Emirats arabes unis (EAU) et notamment à Abu Dhabi au sein de Abu Dhabi Global Market (“ADGM”).

Un environnement favorable aux affaires, comme la fiscalité favorable
PwC nous explique que ce choix procède d’un facteur déterminant pour traiter des opérations de trésorerie : celui d’un environnement favorable aux affaires que l’évangéliste définit comme suit :

-stabilité politique

-régime réglementaire et judiciaire aligné au niveau international

-qualité des infrastructures

-fiscalité favorable

-situation géographique adéquate pour la gestion de la trésorerie des entités établies en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique

On peine même à y trouver le mot « profit »
On reproduit là les termes de l’Evangile, dans l’ordre dans lequel ils sont développés. On notera que la fiscalité favorable n’est citée qu’en 4ème point et la stabilité politique en 1er.

Les 4 évangélistes se révèlent être des pisseurs de lignes impénitents quand il s’agit, sur leurs sites respectifs, de célébrer l’inclusion, l’éthique, les valeurs innombrables qu’ils appliquent et promeuvent, l’inclusion, la tolérance, l’altérité, les femmes, les hommes, les LGBT, l’empreinte carbone décroissante de leurs collaborateurs etc. On peine même à y trouver le mot « profit ». C’est donc en terres hostiles, pourrait-on croire, qu’ils s’établissent  dans des contrées comme ADGM ? Mais ils y trouvent la stabilité politique qui semble être le critère numéro 1 d’implantation, peu importe que celle-ci résulte de la dictature, de théocraties pétrolières ou de tout autre régime politique qui foule aux pieds les valeurs qu’ils célèbrent ! Tout ceci au nom de « la bonne gouvernance internationale », sans doute.

 

VIII-3 Le cadre légal.

L’ADGM a son propre système juridique civil et commercial, appliquant directement la common law anglaise, dans son périmètre de zone franche.

Ce système est largement indépendant du système juridique existant dans les Émirats arabes unis
Ce système est largement indépendant du système juridique existant dans les Émirats arabes anis et dans l’Émirat d’Abu Dhabi lui-même donc indépendant à la fois des lois spécifiques à l’Emirat et des lois fédérales des EAU qui ne s’appliquent pas à l’ADGM. L’ADGM dispose également de son propre bureau d’enregistrement indépendant, d’un organisme de réglementation des services financiers indépendant et de tribunaux indépendants composés de juges « éminents » et très expérimentés ayant exercé leurs compétences dans le monde entier.

PwC précise que l’ensemble légal et réglementaire de ADGM autorise la pratique d’un large éventail d’activités commerciales dont notamment les services financiers, les activités de holding et de financement.

PwC déploie son prosélytisme ainsi concernant les avantages retirés d’une implantation en ADGM :

– Juridiction indépendante avec ses propres lois civiles et commerciales

Tribunaux indépendants et le premier/seul tribunal numérique au monde
– « Common law » directement applicable offrant des niveaux élevés de certitude juridique

– Tribunaux indépendants et le premier/seul tribunal numérique au monde, avec la rapidité de jugement qui en résulte ;

– Flexibilité par rapport aux modifications futures des règlements , le cas échéant

– Possibilité d’utiliser des documents transactionnels de forme standard pour une efficacité accrue

– Pas d’obligation de maintenir des réserves obligatoires minimales

– Réglementation « robuste » en matière d’insolvabilité basée sur le droit anglais des sociétés.

Les Centres Régionaux de Trésorerie peuvent s’y établir sous toutes formes juridiques, notamment sous la forme de société à responsabilité limitée. Les formalités juridiques à remplir sont simples, rapides, peu coûteuses.

Les Centres Régionaux de Trésorerie peuvent y effectuer des opérations de centralisation de trésorerie aussi bien physiques que notionnelles et toutes opérations similaires d’emprunts et de prêts intra-groupe.

L’évangéliste commence par aborder le cadre fiscal de l’ADGM.
De nombreuses banques internationales y opèrent tant au sein de ADGM qu’au sein des UAE, hors ADGM.  Il n’existe aucune restriction concernant l’ouverture de comptes en devises étrangères et/ou en dirhams EAU. Les Centres Régionaux de Trésorerie peuvent gérer toutes les devises.

Bien que ne citant pas le critère de la fiscalité favorable en premier, l’évangéliste commence pourtant par aborder le cadre fiscal de l’ADGM.

 

VIII-4 Le cadre fiscal

Taux d’impôt sur les sociétés de 0 % pour toutes les entités qui y sont enregistrées
– Taux d’impôt sur les sociétés de 0 % pour toutes les entités qui y sont enregistrées, dont notamment des filiales de multinationales. Une entité établie en ADGM est soumise à un impôt sur le revenu de 0 % pendant 50 ans à compter de la date de création d’ADGM soit le 19 février 2013. Ainsi, les intérêts, les « service fees », les marges de change et les autres revenus gagnés par un Centre Régional de Trésorerie en ADGM ne sont pas soumis à l’impôt.

Un point qui manque de clarté dans l’étude de PwC : il y est précisé que Abu Dhabi impose potentiellement l’impôt sur le revenu des sociétés à toutes les entreprises, y compris les succursales des sociétés étrangères, selon un taux de 55% mais que dans la pratique le décret par lequel cette imposition est prévue n’a jamais été appliqué, à l’exception des entreprises pétrolières et gazières et des succursales de banques étrangères. En revanche, PwC écrit qu’une entité établie en ADGM est soumise à un impôt sur le revenu de 0 % pendant 50 ans à compter de la date de création d’ADGM soit le 19 février 2013. Doit-on en conclure que les sociétés pétrolières et gazières et les succursales de banques étrangères qui s’établiraient en ADGM échapperaient à la taxation qu’elle connaissent à Abu Dhabi ?

Pas de droits de timbre, de taxations retenues à la source, d’impôts sur la fortune
– Pas de droits de timbre, de taxations retenues à la source, d’impôts sur la fortune et de « taxation sur l’emploi »  aux UAE. A noter que PwC présente ce second point comme une généralité aux EAU, cependant que le 1er point est établi comme une spécificité à ADGM.

-Sur ces bases, PwC précise que le Centre de Trésorerie implanté en ADGM ne paiera aucune taxe et ses employés non plus.

– La Tva a été introduite dans les EAU (pas de spécificité pour ADGM) le 1er janvier 2018. Les revenus d’intérêts et les marges de change ne sont généralement pas soumis à la TVA dans les EAU. La prestation de « services de conseil et de transaction » peut être détaxée ou soumise à une TVA de 5 %, en fonction de la nature du service et de la localisation de son bénéficiaire.

PwC expose ensuite que la situation fiscale globale et l’efficacité d’un Centre Régional de Trésorerie en ADGM dépendront de l’interaction avec les autres régimes fiscaux qui s’appliquent au groupe multinational concerné. Retenons ce qu’il qualifie comme essentiel au rationnel qui présidera à l’implantation d’un Centre Régional de Trésorerie en ADGM :

Les entités établies en ADGM bénéficient du vaste réseau de conventions de prévention de la double imposition signées par les UAE
– Les entités établies en ADGM bénéficient du vaste réseau de conventions de prévention de la double imposition signées par les UAE (92 conventions en vigueur et 40 autres à divers stades de négociation, de signature ou de ratification à la date du 31 mars 2019). Nombre de ces conventions permettent aux entreprises des EAU de bénéficier d’une retenue à la source nulle sur les paiements d’intérêts, ou, si elle n’est pas nulle, du taux de retenue à la source le plus bas qui est généralement permis en vertu des conventions de double imposition. Les conventions de double imposition des EAU réduisent la retenue à la source moyenne sur les intérêts de 9,58% à 6,63 %, par rapport à une moyenne de 7,73 % pour les conventions de double imposition de juridictions comparables.

– Les modifications récentes et à venir des conventions de double imposition (en particulier celles qui résultent du programme de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices “BEPS”) peuvent avoir des répercussions sur le traitement fiscal des transactions de trésorerie : des taux réduits de retenue à la source et d’autres allégements conventionnels ne seront possibles que si la société bénéficiaire dispose d’une substance adéquate dans sa juridiction de résidence. La réduction des taux de retenue à la source et les autres allégements conventionnels ne seront possibles que si la société « réceptrice » possède une substance adéquate dans sa juridiction de constitution et n’a pas pour objectif principal la recherche des avantages conventionnels. Un Centre Régional de Trésorerie  qui emploie du personnel au sein d’une infrastructure adéquate et poursuit en ADGM un objectif commercial principal devrait être en mesure de satisfaire à « ces nouvelles normes minimales »

Avoir de bonnes raisons commerciales d’établir un Centre Régional de Trésorerie en ADGM, avec un personnel et une infrastructure adéquats, devrait en principe suffire pour empêcher que le revenu du Centre Régional de Trésorerie soit soumis à l’imposition dans le pays de la société mère
– La plupart des règles relatives aux CFC (Controlled Foreign Company ), par exemple celles du Royaume-Uni, visent les bénéfices des sociétés réalisés dans des filiales à faible taux d’imposition dont la vocation ne procède pas d’une logique commerciale ou d’une substance opérationnelle pertinente. Avoir de bonnes raisons commerciales d’établir un Centre Régional de Trésorerie en ADGM, avec un personnel et une infrastructure adéquats, devrait en principe suffire pour empêcher que le revenu du Centre Régional de Trésorerie soit soumis à l’imposition dans le pays de la société mère dans le cadre de l’application des règles CFC (Controlled Foreign Company ). Dans l’hypothèse où le Centre Régional de Trésorerie se verrait appliquer les règles CFC, la conséquence est de rétablir la situation fiscale dans la juridiction de la société mère (au pire) à ce qu’elle aurait été si les opérations de trésorerie avaient eu lieu dans cette juridiction.

Un Centre Régional de Trésorerie établi en ADGM ne peut pas être traité différemment d’un autre qui serait établi dans un autre pays.
– Dans la plupart des pays qui interagiront avec un Centre Régional de Trésorerie établi en ADGM,  les règles de prix de transfert exigent généralement que (a) les prêts inter-entreprises, la mise en commun des liquidités et les autres transactions avec le Centre Régional de Trésorerie soient évalués sur une base de pleine concurrence, et (b) les bénéfices attribués au Centre Régional de Trésorerie soient cohérents au regard des actifs, des risques et des fonctions exercées au sein du Centre Régional de Trésorerie. Les règles applicables en matière de transfert s’appliquent quel que soit le choix de la localisation d’un Centre Régional de Trésorerie. Un Centre Régional de Trésorerie établi en ADGM ne peut  pas être traité différemment d’un autre qui serait établi dans un autre pays.

– Outre les mesures de lutte contre l’usage abusif des conventions des conventions de prévention de la double imposition, le projet BEPS de l’OCDE a également introduit des règles « anti-évitement » destinées à empêcher l’utilisation de régimes à faible imposition et la planification fiscale agressive. Les règles dites “anti-hybrides”, qui visent les situations suivantes, s’appliquent aux Centres Régionaux de Trésorerie  lorsqu’un paiement est déductible dans un territoire, mais n’est pas soumis à l’impôt dans un autre territoire en raison d’un traitement différent du paiement ou des entités impliquées dans la transaction. En général, le fait que les revenus gagnés par un Centre Régional de Trésorerie implanté en ADGM ne soit pas soumis à l’impôt ne devrait pas déclencher l’application de ces règles anti-hybrides. Il s’agit toutefois d’un domaine en évolution qu’il convient de suivre attentivement d’autant plus que plusieurs pays dans le monde commencent mettre en place des règles anti-arbitrage.

Les Émirats arabes unis ont été retirés de la liste noire de l’UE
– L’UE et certains autres territoires introduisent des obligations de déclaration pour les transactions présentant des avantages fiscaux. Selon les règles de l’UE les transactions avec un territoire figurant sur une “liste noire” doivent être déclarées à l’autorité fiscale européenne compétente, qu’il y ait ou non un avantage fiscal. Postérieurement au rapport PwC, les Émirats arabes unis ont été retirés de la liste noire de l’UE suite à la publication de leur règlementation en matière de substance économique des Centres Régionaux de Trésorerie établis sur leur territoires.

– La Belgique n’a jamais disposé de dispositifs CFC (Controlled Foreign Company) contrairement à divers pays européens (tels France, Suède) ou ex-européens (tel le Royaume Uni) ou non-européens (tels USA, Canada, Japon…).

A noter aussi que les deux Directives ATAD 1 et 2[4] ont été traduites en droit interne de la  manière la plus faible possible si l’on se réfère à l’évaluation en la matière à laquelle a procédé le TAX OBSERVATORY EU début 2022.

Sur ces bases, 2 questions importantes auxquelles réponses doivent être données :

Question 1 – Les dispositifs nouveaux permettent-ils, et dans quelle mesure, de rattacher aux bénéfices de la maison mère belge les revenus non imposés des Centres Régionaux de Trésorerie (CRT) liés à des sociétés belges et installés aux Emirats arabes unis (EAU).

Dans quelle mesure la chaîne de double non-imposition serait effectivement rompue ?
Question 2 -Dans quelle mesure l’Administration fiscale belge considérerait que de tels bénéfices ont déjà subi aux Emirats arabes unis (EAU) leur propre régime fiscal et seraient donc non-imposables une seconde fois en Belgique ?

Autrement dit, dans quelle mesure la chaîne de double non-imposition (un des axes du BEPS OCDE traduit notamment dans la Convention Multilatérale MLI souscrite par la Belgique et ratifiée par les divers Parlements (Fédéral et Régionaux) serait effectivement rompue ?

 

 VIII-5 La comparaison avec d’autres pays dans lesquels les multinationales localisent leurs Centres Régionaux de Trésorerie. 

PwC établit la comparaison avec les pays dans lesquels les Centres Régionaux de Trésorerie sont couramment localisés par les multinationales, à savoir :

le Royaume Uni, les Etats-Unis, l’Irlande, les Pays-Bas, la Suisse, Hong Kong et Singapour

PwC formule joliment les conclusions de « son benchmarking » :

« Le système juridique en vigueur en ADGM est particulièrement favorable en raison (…) du réseau étendu et favorable de traités de prévention de la double imposition »
« Bien que toutes ces juridictions soient des lieux potentiellement appropriés et attrayants pour les Centres Régionaux de Trésorerie, le système juridique en vigueur en ADGM est particulièrement favorable en raison de son régime fiscal et réglementaire, du réseau étendu et favorable de traités de prévention de la double imposition signés par les EAU et du faible taux de TVA dans les EAU. »

Et conclut ainsi, même si personne n’est obligé de le croire :

 « Si la fiscalité peut être l’un des facteurs pris en compte dans le choix de la localisation  d’un Centre Régional de Trésorerie, les facteurs non fiscaux tels que la situation géographique d’Abu Dhabi, la qualité de l’infrastructure de l’ADGM et la disponibilité de cadres et de personnel qualifiés sont généralement plus déterminants pour l’établissement d’un Centre Régional de Trésorerie ou d’un siège social en ADGM. »

 

VIII-6 Pour les tenants de la bonne gouvernance internationale : lutte contre l’évasion fiscale ou  combat pour un abaissement généralisé de la fiscalité de certains?

On ne comprend pas pourquoi les Emirats arabes unis ont été retirés de la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne (et de l’OCDE) tant les avantages fiscaux qui y prévalent sont exceptionnels.
Ceux qui ne voudraient pas lire les 86 pages de l’étude PwC, ni même les quelques paragraphes qui précèdent auront pu se rapporter directement à cette forme de conclusion.

La lecture de l’étude PwC pourrait se résumer sous la forme du constat suivant :

– qu’il s’agisse de l’ADGM, de Abu Dhabi lui-même ou d’un autre des 7 émirats fédérés, on ne comprend vraiment pas pourquoi les Emirats arabes unis ont été retirés de la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne (et de l’OCDE) tant les avantages fiscaux qui y prévalent sont exceptionnels.

– on réalise que les EAU sont en compétition directe avec des pays beaucoup plus importants sur le même créneau des Centres de Trésorerie Régionaux, qui eux aussi ne figurent pas sur ces listes et qui, pour certains n’y ont même jamais figuré.

La disparition des paradis fiscaux ne procède que de la sémantique
– on a vraiment le sentiment que la disparition des paradis fiscaux ne procède que de la sémantique et qu’ils ont été remplacés par ces fameux « trous noirs fiscaux » et que l’on passe des listes noires ou grises des paradis fiscaux à un liste noire des « trous noirs fiscaux.

Des sorties de listes noires de paradis fiscaux se produisent ainsi que des retours sur ces listes alors que les conventions de prévention de la double imposition restent immuables
– on voit que des sorties de listes noires de paradis fiscaux se produisent ainsi que des retours sur ces listes alors que les conventions de prévention de la double imposition restent immuables, comme indifférentes au statut de paradis fiscal ou de non-paradis fiscal.

A titre d’exemple, les Émirats arabes unis avaient été inclus dans la liste noire de l’Union européenne des juridictions non coopératives à des fins fiscales en 2017, pour en être ensuite retirés puis être réinscrits en mars 2019 parce que n’ayant pas fait de progrès suffisants dans la mise en mise en œuvre de leur réglementation sur la substance économique des Centre Régionaux de Trésorerie établis sur leurs territoires à la date limite convenue du 31 décembre 2018. Les Émirats arabes unis ont ensuite été retirés de la liste noire après avoir publié des règlements sur cette question de la substance économique des Centre Régionaux de Trésorerie établis sur leurs territoires.

On ne voit pas que PwC ressente de l’inquiétude quant aux mesures mises en œuvre et/ou déjà prônées par l’OCDE
-on ne voit pas que PwC ressente de l’inquiétude quant aux mesures mises en œuvre et/ou déjà prônées par l’OCDE dans le cadre du plan BEPS . On le sent même plutôt confiant. C’est en lisant sa prochaine étude que l’on saura si les développements plus récents ont changé quoi que ce soit et dans leur appréciation de la situation et dans le nombre de créations de Centres Régionaux de Trésorerie.

-l’impressionnant nombre de conventions de prévention de double imposition signées par les EAU, en instance de signatures ou en gestation n’incline pas à croire que les mesures BEPS soient vraiment dissuasives pour les adeptes de l’évasion fiscale.

La conclusion qui se dégage après lecture est que la lutte contre l’évasion fiscale telle que voulue par les tenants de « la bonne gouvernance internationale » s’apparente en fait à la généralisation d’un abaissement le plus important possible de la fiscalité des contribuables aptes à la plus grande des mobilités, qu’il s’agisse des multinationales, des grandes entreprises et des très riches/riches particuliers.

Enfin, on ne s’empêchera pas de noter que les soucis de la Cour des comptes pour épargner aux établissements financiers des obligations déclaratives trop consommatrices de temps ont quelque chose de dérisoire par rapport aux capacités technologiques qu’ils sont capables de développer dans le cadre de cette gestion de trésorerie dans des Centres Régionaux.

 

VIII-7 Aperçu sur les techniques de « cash pooling ».

Le « cash pooling » permet de regrouper un certain nombre de comptes bancaires individuels pour mettre en commun les soldes
Le « cash pooling » est une technique majeure de gestion des liquidités. Elle permet de regrouper un certain nombre de comptes bancaires individuels pour mettre en commun les soldes, optimiser les intérêts et améliorer la gestion des liquidités d’une entreprise. Cela peut concerner plusieurs juridictions, devises et entités, en fonction du type de cash pool mis en place.

Cette technique s’exerce dans le cadre de Centres de Trésorerie, Régionaux (CRT) ou mondiaux. Pour les multinationales, le choix des Centres de Trésorerie Régionaux permet de couvrir chaque fuseau horaire important. D’où le choix fréquent d’établir un CRT dans les zones géographiques suivantes : APAC (Asie Pacifique), EMEA (Europe, Middle East & Africa) et Amériques

Il existe deux types principaux de cash pooling : physique et notionnel.

Le cash pooling physique : on parle souvent de concentration physique des liquidités, d’équilibrage cible ou zéro (ZBA) ou de balayage. Les soldes sont physiquement balayés vers un compte principal ou un compte maître sur une base périodique et sur base éventuelle de certains paramètres, par exemple un solde minimum ou maximum, un pourcentage de balayage, un solde cible et une variété d’autres paramètres. Le regroupement physique est disponible sur une base nationale, transfrontalière, transrégionale et multi-banque.

Le cash pooling notionnel : il s’agit principalement d’un outil d’amélioration des intérêts. Les structures de mise en commun notionnelle sont généralement des structures de superposition. Les soldes débiteurs et créditeurs d’une série de comptes appartenant à la même entité ou à des entités différentes et domiciliés dans le même pays sont théoriquement compensés à des fins de calcul des intérêts, sans mouvement physique de liquidités. Le regroupement notionnel multidevises offre la possibilité d’obtenir une position notionnelle nette dans une seule devise sans avoir à effectuer des opérations de change ou des swaps traditionnels, et permet de réaliser des économies d’intérêts supplémentaires grâce à la compensation des soldes dans différentes devises.

En fonction des réglementations spécifiques à chaque pays, les multinationales font le choix du pooling notionnel ou physique.
En outre, un cash pool superposé peut être fourni par une banque internationale offrant un pooling physique ou notionnel au niveau d’une multinationale, d’une société à entités multiples dans un pays, une région ou au niveau mondial. Les cash pools superposés permettent de modifier les relations bancaires existantes si nécessaire sans perturber le fonctionnement du cash pool et permettent de modifier le cash pool sans perturber la structure bancaire sous-jacente.

En fonction des réglementations spécifiques à chaque pays, les multinationales font le choix du pooling notionnel ou physique. En général, le pooling notionnel tend à être mis en œuvre davantage en Asie et en Europe, qui est également la région la plus mature au niveau mondial pour les solutions hybrides. Le pooling physique a tendance à trouver sa place en Amérique latine et aux États-Unis.

Il semble que 75 % des multinationales favorisent le pooling physique. Pour les autres, environ 15 % mettent en œuvre le pooling notionnel et 10 % optent pour une solution hybride.

 Christian Savestre

[1] RTC en anglais, pour Regional Treasury Centre

[2] Cfr chapitre VIII.7

[3] Establishing regional treasury centres in ADGM – Abu Dhabi Market, May 2019

[4] Dans le cadre des travaux de l’OCDE de lutte contre la planification fiscale agressive, un certain nombre de règles ont été mises en place au niveau de l’Union européenne, avec en premier lieu la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 (dite ATAD 1) modifiée par la directive (UE) 2017/952 du Conseil du 29 mai 2017 (dite ATAD 2).

 

Table des matières

Introduction – Si vous n’êtes pas à la table, c’est que vous êtes au menu
Chapitre 1
Sommes vertigineuses, impuissance contagieuse, lutte contre l’évasion fiscale fallacieuse
Chapitre 2Après 12 années d’opacité, un rapport de la Cour des Comptes enfin publié
Chapitre 3Des déclarations officielles durement taclées par la Cour des comptes
Chapitre 4Incohérence législative, sanctions peu effectives, libre circulation des capitaux impérative
Chapitre 5Des constats effarants qui tombent comme à Gravelotte
Chapitre 6Les contrôles des déclarations sont improductifs, alors ne les contrôlons plus !
Chapitre 7Des trous noirs fiscaux à la place des paradis fiscaux et le tour est joué ?
Chapitre 8 Voyage en ADGM (Abu Dhabi Global Market), à la rencontre des multinationales
Chapitre 9Conclusion. Deux poids, deux mesures
AnnexePARADIS FISCAUX – Listes OCDE, Union Européenne (UE), Belgique vs Listes ONG et Listes Promoteurs évasion fiscale

 

 


By Christian Savestre

Journaliste chez POUR et référent pour les questions d’économie politique chez POUR et ATTAC Bruxelles 2, Christian Savestre est spécialiste de l’évasion fiscale et des grands cabinets d'audit et de stratégie. À la différence de beaucoup, il aborde cette thématique sous un angle résolument politique, à rebours des coutumières minuties techniques qui n’aboutissent souvent qu’à marchander le poids de nos chaînes (sic). A rebours (encore !) des approches traditionnelles qui se concentrent sur les gros fraudeurs, il analyse en profondeur les organisateurs de cette évasion fiscale (les Big Four et ceux qui les suivent), dont il connait bien les méthodes, pour les avoir longuement côtoyés dans sa carrière professionnelle. Christian a sorti de nombreux dossiers d’enquête. Ses analyses sont minutieuses et ses démonstrations implacables. (Surtout, ne lui parlez pas d’optimisation fiscale ! Elle est tout aussi illégitime que l’évasion fiscale ! )