On reste surpris par l’élection américaine. Un milliardaire indépendant, aux idées sauvages, a battu la candidate institutionnelle la plus subsidiée de toute l’histoire mondiale des démocraties.
Voyons dans ce premier volet comment le mensonge au peuple l’a emporté sur le cynisme mondialiste. Ensuite, nous regarderons ce que le gagnant fait de sa victoire, comment il transforme l’appareil à gouverner. Et enfin, nous reviendrons au destin du «libre-échange», au commerce mondial qui nous a tant préoccupés avec le TTIP et le CETA.
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Un éléphant, ça trump énormément
Les Républicains américains forment un parti très incohérent mais viable. Il fait cohabiter des Américains nationalistes, des Américains moralistes et des Américains «commercialistes». Sur ces trois créneaux, Trump a triomphé en vantant l’Américain qui veut son job, l’Américain qui croit être le meilleur et l’Américain qui refuse toute indication étatique et/ou sociale.
Vu d’Europe, il est malaisé de comprendre l’équation que l’équipe de Trump a pu résoudre pour l’accession à la présidence. Dans des univers peu cultivés, inondés de jeux et de séries télé, d’informations coups de poing et finalement d’absence de bonheur autre que productiviste et consumériste, l’enjeu majeur est de rester ce qu’on est, en plus si possible, ou de redevenir qui on a été, de garder ce qu’on a ou de retrouver ce qu’on a eu.
Il y a une religion pour couvrir cela, celle qui refuse l’évolution à la Darwin, celle du peuple blanc «choisi».
Il y a une posture politique pour cela, celle qui refuse de se laisser emm… par toute considération gênante (par exemple le changement climatique), par toute spéculation sanitaire (par exemple le fardeau de l’obésité), par toute mise en doute (par exemple la montée chinoise), par tout élargissement de l’horizon (par exemple les intellos des côtes Est et Ouest).
Il s’est créé un moralisme étriqué, catégoriel, qui triomphe dans les Etats dits en souffrance où les pertes de jobs font grandir les certitudes de l’entre-soi et la crainte de la concurrence d’autres modèles.
Rien n’est pire qu’une religion humiliée, et cette religion qui se nomme le marché est bousculée à l’international. Elle se transcende en recherche d’un regain de fierté et fait du reste du monde le responsable du Mal. L’orgueil américain, dans les Etats historiquement républicains (tout le centre et le Sud), s’est renforcé. Dans les Etats nouvellement conquis par les Républicains (les zones industrielles touchées par les faillites), c’en est fini de reconnaître la contribution commune des Blancs et des Non-Blancs à la gloire des USA.
Il est ainsi devenu possible de conjuguer la régression intellectuelle, la crise sociale, le simplisme raciste et la gouaillerie d’un homme politique qui «ose tout» pour afficher une mobilisation sur le thème Make America Great Again.
Au plan international, la combinaison républicaine ne donne rien, si ce n’est que les trois composantes tombent d’accord pour garantir les intérêts des Américains, où que ce soit dans le monde, et dans ce cadre, se donner un droit sur toutes les ressources mondiales dont les Américains ont besoin. Notons que sur ce dernier point, le programme des Démocrates diffère peu du programme républicain.
Fierté, inégalité, nationalité: cette forme de devise embrouillée est le socle sur lequel Trump va construire la sortie d’humiliation d’un peuple frustré de fausse grandeur. Même si, on le verra, son attelage d’après élection va transformer tout cela en nouvelle orientation claire et nette en faveur des puissants.
En anglais, la trump card est l’atout. Elle permet de couper, de rafler les bonnes cartes des autres, elle permet de bluffer. De mentir, de surpasser. Et même tomber à pic.
D’ailleurs, en anglais, to trump signifie surpasser, voire triompher.
Trump (Donald) a transformé l’élection en gigantesque jeu n’ayant plus rien à voir avec les enjeux. Le paumé s’est identifié au vantard, la victime a goûté à l’espoir de la victoire, les mensonges ont pris le sel de l’idéal… jusqu’au game over, jusqu’au bingo. On ne gagne qu’un jour, mais au moins gagne-t-on une fois, au moins gagne-t-on un soir, et ce soir est celui de l’élection.
Et en anglais d’Angleterre, a trump, ce peut être un pet, tout simplement. Qui s’assimilerait au trumpeting, le barrissement de… l’éléphant (républicain).
L’étalage du mauvais goût, les discours machistes, les postures de ring, les scénarios de télé-réalité, les mises en scène foireuses, les approches racistes, vus d’ici comme des erreurs de communication, sont devenus des expressions de valeurs retrouvées.
Les sondeurs sont désemparés, les commentateurs sont sidérés, les intellectuels n’en peuvent plus.
«Il y a deux Amériques: nous ne sommes pas les citoyens du même pays que ceux qui ont voté Trump. (…) Avec l’élection de Donald Trump, nous voyons le visage effrayant du nihilisme». Judith Thurman, The New Yorker.
Les discours de Trump sur son rapport au capitalisme et à l’establishment ont très rapidement cédé le pas à une relance des affaires. La bataille d’un jour des victimes, victorieuse, donne une victoire de quatre ans aux puissants.
«Sans même être encore arrivé à la Maison Blanche, Donald Trump a réussi à faire augmenter la richesse boursière américaine de 1000 milliards de dollars. Si ce sont les ouvriers qui ont voté massivement pour lui, c’est pourtant pour le moment les 1% les plus riches qui ont capté 85% de ces 1000 milliards». Trends (15/12/16).
Tout cela est ubuesque. Oui, ubuesque… «J’ai l’honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens». Alfred Jarry, Ubu Roi.
Et maintenant, il nous faut cesser de rire. On ne se moque plus, s’il vous plaît!