Retour sur le mouvement des Gilets Jaunes – Belgique, Episode 3.

Le mouvement des Gilets jaunes à travers la caricature de la presse quotidienne francophone belge en fin d’année 2018
Julien Dohet, « Le mouvement des gilets jaunes à travers la caricature de la presse quotidienne francophone belge en fin d’année 2018 », Analyse de l’IHOES, no 198, 24 janvier 2019, [En ligne] http://www.ihoes.be/PDF/IHOES_Analyse198.pdf.

Un tout grand merci à Kroll, Oli, Sondron et Dubus qui nous ont permis de reproduire gratuitement certains de leurs dessins à l’intérieur de cet article. (IHOES)

 

Cet article s’inscrit dans la continuité de notre travail autour de la caricature commencé avec notre mémoire de fin d’études en histoire et prolongé depuis par plusieurs analyses et conférences.

La caricature continue à jouer un rôle important dans la diffusion d’un message et reste présente dans de nombreuses publications avec souvent un rôle central. En Belgique francophone, l’onde de choc provoquée par l’attentat contre la rédaction du périodique satirique français Charlie Hebdo ayant même donné naissance à un nouveau titre éloquent, Même pas peur !, aujourd’hui publié de manière mensuelle. Au niveau de la presse quotidienne, qui sera le medium ana- lysé ici, la caricature est utilisée dans tous les quotidiens belges francophones et se voit même octroyer un statut d’édi- torial « dessiné »1 au côté de celui de l’éditorial rédactionnel en page 2 des titres de Sudpresse et de L’Écho. C’est aussi en page 2 que Le Soir et La Libre publient le dessin du jour. Celui-ci occupe la dernière page de La Dernière Heure et de L’Avenir, et plus rarement, de La Libre qui, dans ce cas, le fait figurer avec l’éditorial de la rédaction. Dans tous les quo- tidiens, la caricature constitue une réelle signature d’autant que les dessinateurs sont attitrés depuis de nombreuses années au même journal. On soulignera que ce sont tous des hommes depuis la fin de la collaboration entre La Libre et Cécile Bertrand. Chaque quotidien a en effet son dessinateur, à l’exception de La Libre qui, en dehors de la caricaturiste Cécile Bertrand, a aussi arrêté de travailler avec Clou et se contente désormais de reprendre le dessin que Dubus four- nit à La Dernière Heure (titre faisant partie du même groupe de presse). Comme les pages régionales ou sportives notam- ment, le dessin de presse n’échappe donc pas aux restructurations et à la recherche d’économies.

 

Un mouvement des gilets jaunes qui va occuper rapidement et de manière très importante l’espace médiatique

Le mouvement des gilets jaunes trouve son origine dans la publication de plusieurs appels à mobilisation sous forme de petites vidéos sur Facebook dont une, celle de Jacqueline Mouraud2, sera particulièrement vue et relayée et est souvent présentée comme un des principaux déclencheurs du mouvement. Un appel est lancé à « bloquer la France » à partir du samedi 17 novembre. Cette journée est un énorme succès partout en France avec une situation particulièrement ten- due aux abords de l’Élysée. Très vite, le mouvement prend une ampleur que personne ne pouvait prévoir. De même, ses revendications et sa connotation politique (au départ fortement liée à l’extrême droite ou du moins à la « facho- sphère ») s’élargissent et se diversifient. Comme le résume le politologue Laurent Bonelli en introduction du dossier

« “Gilets jaunes”, le soulèvement français » paru en janvier 2019 dans Le Monde diplomatique : « Voilà longtemps qu’un mouvement social n’avait pas à ce point inquiété les gouvernants. L’ampleur, la durée et la détermination de celui des gilets jaunes les ont désagréablement surpris. Ils ont également été déstabilisés par son hétérogénéité en matière d’in- térêt pour la politique, d’activité professionnelle, de lieu de résidence et d’orientation partidaire. Il n’est pas imputable à des organisations politiques ou syndicales traditionnelles : il rassemble diverses composantes de ce que le pouvoir nomme la majorité silencieuse , au nom de laquelle il prétend s’exprimer et dont il n’attend d’autre mobilisation que le vote ».3

En Belgique, et plus précisément en Wallonie, les réseaux sociaux et la dramaturgie des médias français dans les jours qui précèdent le 17 novembre ont un effet d’entraînement et plusieurs appels à imiter les Français circulent. Ils se concrétisent notamment par le blocage du port pétrolier de Wandre près de Liège dès la nuit du jeudi 15 au vendredi 16. À partir de là, en région liégeoise et dans le Hainaut principalement, les actions vont se multiplier et se diversifier, sur- tout quand les forces de l’ordre interviennent pour débloquer les approvisionnements en essence des stations-services dont le nombre en rupture de stock se multiplie. Cette diversification se marque notamment par un après-midi de tensions extrêmes le vendredi 30 novembre à Bruxelles, ville qui connaîtra deux autres journées d’actions les 8 et 15 décembre, et par une nuit de blocage de l’autoroute près de Feluy où un camion est pillé et un autre incendié. En Belgique, comme en France, les organisations syndicales et les partis politiques ont du mal à se positionner envers ce mouvement. La question sera portée au cœur des débats lors de l’organisation de la journée d’action syndicale initiée par la FGTB le 14 décembre. Fin 2018, on n’observe toujours pas de réelle convergence des luttes syndicales et de celles portées par les gilets jaunes alors même que le mouvement ne reflue pas et poursuit ses actions.