Le samedi 25 juin, nous fêtions notre premier anniversaire. Vous trouverez par ailleurs à ce sujet un billet d’ambiance de notre amie Godelieve.
Ce fut l’occasion d’échanges passionnants sur le tout récent Brexit et ses conséquences potentielles, sur l’avenir des traités CETA et TTIP, sur les stratégies de convergences nécessaires pour des alternatives de gauche, etc.
Nous avons rassemblé ci-dessous quelques échos de ces échanges.
Le Brexit et l’Europe
Claude Rolin – Le Brexit nous pose la question: «Comment faire mieux fonctionner l’Europe?» Certains vont proposer plus de «Better regulation» ce qui en général signifie une réduction de la régulation; d’autres vont vouloir pousser plus loin la fédéralisation de l’Europe. Pour moi, si l’on veut réconcilier les citoyens et le projet européen, la dynamique sociale doit avoir sa place, car dans le Brexit, il y a aussi le vote des perdants de la mondialisation…
Jean-Claude Garot – Le poids du Royaume-Uni disparaissant de l’UE, les positions de rejet des traités CETA et TTIP ont-elles plus de chance de triompher? Et les politiques sociales?
C.R. – Cela fait en effet un partisan fort en moins. Mais il faudra être attentif à la position des marchés commerciaux, et le marché de la Grande-Bretagne pourrait en profiter. Le danger du CETA c’est que son éventuelle adoption facilite l’adoption ultérieure du TTIP.
Michel Gevers – Les craintes induites par la mondialisation et les détériorations des politiques sociales et d’emploi expliquent une large part du Brexit; elles sont aussi à la base du succès aux USA de candidats comme Trump et Sanders, même si ces deux personnalités et leurs politiques sont très différentes. Ne faut-il pas profiter du Brexit pour remettre en avant l’Europe sociale?
C.R. – Croire que le départ de la G-B faciliterait automatiquement le développement de politiques sociales est un leurre: ce serait oublier que derrière la G-B se cachaient souvent d’autres Etats-membres de l’UE, partageant le point de vue britannique. Ceux-ci vont devoir se révéler plus ouvertement. Cependant, la crainte d’un désaveu populaire de l’Europe peu faire un peu bouger les lignes au sein des groupes et partis politiques de gouvernement. C’est un véritable enjeu politique dans les débats citoyens.
Pierre Galand – Face à l’autisme des institutions européennes, partagé par les grandes associations européennes inféodées, il ne sert à rien de débattre sur les formules diverses de rabibochage de l’UE. Nous devons nous focaliser sur la question stratégique: «Comment restructurer les forces progressistes, politiques, syndicales et citoyennes, en Europe?»
C.R. – Il faut tout de même réfléchir aussi aux institutions européennes. Qu’avons-nous? D’abord un Conseil, c.-à-d. une addition des gouvernements des Etats-membres, qui détient le pouvoir. Ensuite un Parlement européen sans capacité de propositions, avec un pouvoir de décision limité: au mieux une capacité de blocage via la codécision (avec le Conseil) ou une capacité de dire «non» (sans amendements) sur des traités. Pas de vrai budget européen, donc pas de capacité de relance économique: le plan Juncker c’est peu, mais c’est le maximum possible avec les moyens disponibles. Et pas de fiscalité européenne. Dans notre volonté de changer l’Europe, c’est le Conseil qui doit être la cible principale, pas la Commission.
Paradoxe: l’opinion rejette l’Europe pour des politiques que celle-ci ne peut pas mener!
Alors, l’Europe à deux vitesses? Mais nous sommes dans une Europe à multiples vitesses ou une Europe multizones.
Il faut travailler avec des cercles différents, dont le cercle-noyau de la zone Euro. Il faut un mécanisme de gouvernance économique ET SOCIALE. Mais des différences sensibles existent déjà sur ces points entre la France et l’Allemagne. Et il faut un parlement de la zone Euro, formée simplement des membres du Parlement provenant des Etats membres de cette zone Euro.
Jean de Munck – Notre ministre Reynders, qui a des défauts mais est très intelligent, jette le discrédit sur l’opposition au TTIP en qualifiant ces opposants de souverainistes!
C.R. – Mes critiques sur l’Europe, qui ne va pas dans le sens où je le voudrais, j’ai peur qu’elles ne soient reçues ou interprétées comme une opposition au projet européen, assimilées à du souverainisme. Ainsi ma position sur les travailleurs détachés est-elle quasi identique à celle du FN, bien qu’issue d’un raisonnement tout différent. Le discours sur le social au Parlement européen, ce n’est plus celui des partis de gauche et du centre, c’est l’extrême-droite qui le porte le plus haut!
Mouvements sociaux et Réduction collective du temps de travail
Michel Gevers – «Tout autre chose» formé au départ de nombreuses associations a été rejoint de plus en plus par des citoyens cherchant «autre chose», et les associations ont pris progressivement leurs distances. Un «comité stratégique» se met en place afin de trouver le juste équilibre entre la résistance au rouleau compresseur néo-libéral et le soutien aux alternatives. Il est important de soutenir ces alternatives par un discours politique fort.
Arnaud Levêque – La réduction du temps de travail est une revendication historique du mouvement ouvrier. Le mouvement syndical, après la conquête de la journée de 8 heures s’y est un peu moins impliqué et doit se la réapproprier. La RCTT n’est guère plus aujourd’hui qu’une position de congrès, trop peu portée dans les luttes dans les secteurs et entreprises. La direction syndicale la reprend, mais dans un contexte limité, celui de l’abaissement du temps de travail pour les travailleurs âgés pour favoriser l’engagement de jeunes et en conditionnant les baisses de charges sociales aux entreprises à leur engagement dans cette voie. La RCTT est riche de potentialités: partager le travail nécessaire, réduit par les progrès de productivité; s’approprier une part plus élevée des richesses produites actuellement accaparées par les détenteurs de capitaux; mettre l’accent sur le «mieux vivre», une perspective attractive chez les jeunes. Des expériences sont prometteuses en Suède, ou en voie d’expérimentation à Bruxelles-propreté et aussi au sein de l’administration wallonne.
Josy Dubié – Ne laissons pas traîner dans la boue l’expérience des 35h en France!
Robert Polet – L’argumentaire développé par Roosevelt-Namur et mis en ligne sur le site pour.press y consacre entièrement l’un des ses six chapitres!
Perspectives d’engagement
Pierre Galand – Revalorisons le sens du collectif. Il a été laminé par le consumérisme. On fait des choses parfois remarquables sur le terrain, mais la confiance dans les grandes organisations a disparu. La valeur de la dignité a aussi été laminée. Nous manquons de culture collective: exemple du chant et de la danse qui sont absents de nos pratiques. Attention aussi à l’épuisement des personnes engagées dans les luttes et la résistance qui risquent d’abandonner. N’oublions pas la dimension internationale/internationaliste. Et surtout, pensons nos objectifs à long terme: où voulons-nous être dans 15 ans? Constater qu’on est dans le noir, ce n’est pas être pessimiste, mais bien réaliste. N’oublions pas que c’est au terme de la nuit la plus noire que pointe l’aurore.
Jean de Munck – 1. On n’a pas pris la mesure de l’influence médiatique: exemples de Trump, du Brexit (une campagne « trash » portée par les principaux médias britanniques), ou encore du terrorisme où l’on a construit une fiction sur de vrais événements, fiction qui induit une peur irrationnelle. Il y a un besoin d’explication solide et conséquente.
2. La disparition des médiations (éducation populaire qui apprenait à lire l’actualité; autorités discursives des partis, syndicats, mutuelles et de l’Ecole) est significative. D’où le besoin essentiel d’articuler un discours relativement cohérent et engagé. POUR tente de répondre à ce besoin avec un site spécialisé, expert, rigoureux, engagé qui acquiert l’autorité de l’expert profane.
3. Enfin la question de fond, c’est le fossé qui s’est creusé entre les mouvements sociaux et les grandes organisations politiques. Les mouvements sociaux du type Indignés, Nuit Debout, Alter-consommateurs, etc. sont paradoxalement des mouvements en voie de dépolitisations («Nous ne faisons pas de politique»). Et les grandes organisations politiques se sont de plus en plus alignées sur les dogmes économiques dominants, révélant un vide sidéral en termes de finalités. Ce fossé est structurel et générationnel. Il est urgent de rétablir la complémentarité, c’est aussi la fonction de POUR.
Guy Fays – Les médias sont effectivement, même sans «complot», au service du capitalisme. Et leur influence est d’autant plus forte sur les classes défavorisées.
Jean-Claude Garot – Il faut ajouter ici l’emprise capitaliste énorme sur les médias. Par des opérations de rachat/concentration (cinéma, presse, mode, etc.) la culture dominante s’impose: le seul bonheur potentiel résiderait dans «l’acceptance» du système. Les partis et syndicats n’ont pas mesuré cette dérive. L’accroissement de la productivité a produit une croissance de richesses impressionnante. Mais la redistribution ou le partage de ces richesses a régressé de manière insupportable. Nous devons nous interroger sur «Dans quelle société voulons-nous vivre?» et proposer un modèle de société qui fait rêver.