Analyse des rendements réalisés et perspectives pour les rendements attendus dans le futur
Courrier envoyé le 30 juin aux principaux ministres du gouvernement fédéral, aux membres de la Commission Finances et Budget de la Chambre et aux présidents de parti de Belgique.
Mesdames, Messieurs,
Vous avez reçu en date du 30 juin dernier un courrier du Réseau pour la Justice Fiscale et de ses associations membres, par lequel un refinancement des missions constitutionnelles et légales du SPF Finances, notamment en matière de contrôle fiscal, est demandé sur le modèle du refinancement complémentaire de la Police Fédérale et de la Police Judiciaire.
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Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, l’assurance de notre considération distinguée.
Daniel PUISSANT
Secrétaire du RJF
tél. : 0494/70 81 61
Le RJF réunit les confédérations syndicales et une trentaine d’ONG, d’associations et de mouvements de Wallonie et de Bruxelles qui eux-mêmes regroupent plusieurs milliers de membres actifs et des millions d’adhérents.
Le RJF sensibilise le public et interpelle les autorités politiques et les partis politiques sur la nécessité d’une fiscalité plus équitable au service d’un refinancement des biens et services collectifs.
Explications
Le rendement progressif de recettes supplémentaires attendu pour les années 2022, 2023 et 2024, pour 1 milliard d’euros de recettes supplémentaires en 2024, sera-t-il- réalisé ?
L’accord politique entre les partis de la Vivaldi prévoit, en matière de lutte contre la fraude fiscale et sociale, des recettes supplémentaires (par rapport à 2020) de 200 millions d’euros en 2021, 400 millions d’euros en 2022 (soit + 200 par rapport à 2021), 700 millions d’euros en 2023 (soit + 300 par rapport à2022) et 1milliard d’euros en 2024 (soit + 300 par rapport à 2023).
Ce niveau de recettes supplémentaires est considéré comme structurel et récurrent, ce qui signifie qu’il persiste pour les années 2025 et ultérieures.
La présente analyse est établie sur base des statistiques officielles du rapport 2021 du SPF Finances et sur base des chiffres officiels fournis par le Service d’Information et de Recherche sociale (en charge de la lutte contre la fraude sociale).
I. En ce qui concerne les missions de contrôle fiscal des Administrations FISC et ISI, les résultats de l’année 2021 par rapport à l’année 2020 sont les suivants.
- En 2021, les contrôles de l’ISI ont généré 9,2 millions d’euros de recettes perçues supplémentaires par rapport à l’année 2020. (Ce montant est obtenu en comparant le montant des recettes perçues par agent en 2021, soit 543 248 euros, et en 2020, soit 528 037 euros, et en multipliant la différence entre 2021 et 2020, soit 15 211 euros, par 600 ETP.)
Comme le fait apparaitre le rapport annuel 2021 du SPF Finances (également les rapports annuels antérieurs), le taux de perception annuel de l’ISI est en moyenne de 14% pour la période 2017 à 2021. La stabilité de ce taux au fil des années indique que depuis 2017, un montant de 15,463 milliards d’euros de cotisations d’impôts et taxes supplémentaires enrôlés par l’ISI sur cette période n’a fait l’objet d’aucun paiement par les contribuables, soit du fait de l’existence de contentieux administratifs et judiciaires en cours, soit du fait de dégrèvements de cotisations en conséquence de contentieux administratifs ou judiciaires perdus par l’ISI, soit du fait de la réduction de cotisations d’impôts établies par l’ISI suite à des Procédures de réorganisation judiciaire (PRJ), soit encore du fait de la mise en décharge de cotisations établies par l’ISI pour insolvabilité du contribuable.
Aucune information détaillée n’est fournie par le rapport du SPF sur ces aspects. - En ce qui concerne la TVA, gérée par l’AGFisc sauf pour les courants de fraude tels carrousels TVA gérés par l’ISI, les opérations de vérification menées par l’AGFisc en 2021 montrent que les montants de TVA mis en recouvrement en 2021 ont chute de 122,2 millions d’euros par rapport à 2020, dont une diminution de 145,72 millions dans les équipes de gestion (qui assurent 70% des suppléments de recettes TVA) et un gain de + 52,54 millions dans les équipes de contrôle (qui assurent 30% des suppléments de recettes TVA).
L’année 2020 était par ailleurs l’année pour laquelle les montants de recettes TVA mises en recouvrement (suite aux vérifications effectuées par les équipes de gestion et les équipes de contrôle PME et GE) furent les plus élevés des années 2017 à2021, soit 1169,35 millions d’euros en 2020 pour 921,23 millions en 2017, 835,159 millions en 2018, 1041,58 millions en 2019 et 1073,733 millions en 2021. - En ce qui concerne les divers Impôts sur les Revenus (IPP, ISOC, IPM, INR-PP, INR-SOC), les opérations de vérifications menées en 2021 par les équipes de gestion et les équipes de contrôle de l’AGFisc ont conduit en 2021 à des Majorations de Base Imposable supplémentaires par rapport à 2020 de 196,2 millions d’euros en Impôts des Personnes Physiques (IPP), de 294,86 millions d’euros Impôts des Sociétés (ISOC), de 204,9 millions d’euros en Impôts des Non-Résidents-Personnes physiques (INR-PP), mais à une diminution de 50 millions d’euros en Impôts des Personnes morales (IPM) et de 9,5 millions d’euros en Impôts des Non-Résidents-Sociétés (INR-Soc). Les impôts supplémentaires de ces vérifications, estimés aux taux moyens de chacun des impôts concernés, s’élèvent à 231,12 millions d’euros.
En supposant (hypothèse très favorable) que le taux de perception est de 45% dans l’année même, hors contestations et causes d’irrécouvrabilité, le montant de recettes supplémentaires perçues en 2021 serait de + 94,21 millions d’euros.
- Le rapport annuel du SPF Finances ne donne aucune information quant aux montants d’impôts et de taxes, établis par l’AGFISC et qui seraient soit en contentieux administratif ou judiciaire, soit réduits par une procédure de réorganisation judiciaire.
Seule information disponible, par ailleurs non ventilée entre les cotisations établies par l’ISI et les cotisations établies par l’AGFISC, le montant total des cotisations mises en décharge définitive annuellement (1356 millions d’euros en 2021), le nombre de cotisations par impôt mises en décharge définitive pour cause d’insolvabilité du contribuable (101775 cotisations en
2021, soit 28 000 de plus qu’en 2019 et 12479 de plus qu’en 2020) et les montants concernés par type d’impôt.
Les deux principaux impôts concernés sont la TVA, pour laquelle 677,457 millions d’euros (soit 19707 cotisations d’un montant moyen de 34736 euros) ont été mis en décharge définitive en 2021 (soit 63 % des recettes TVA mises en recouvrement pour l’année 2021 suite aux vérifications des équipes de gestion et des équipes de contrôle de l’AG FISC, la moyenne sur la période 2018 à 2021 étant que le montant total des recettes TVA mises en décharge définitive correspond à 55% des recettes supplémentaires de TVA mises en recouvrement suite aux vérifications des équipes de gestion et des équipes de contrôle de l’AGFISC), et l’Impôt des Sociétés, pour lequel 448,973 millions d’euros (soit 10486 cotisations d’un montant moyen de 42816 euros) ont été mis en décharge définitive en 2021, les mises en décharge définitive en Impôt des Sociétés représentant sur la période 2018 à 2021 une moyenne annuelle de 500 millions d’euros (soit environ 35 % des recettes supplémentaires des vérifications effectuées par les équipes de gestion et de contrôle de l’AGFISC).
- La diminution des recettes perçues en 2021 par rapport à 2020 est de 18,8 millions d’eurosLes opérations de contrôles de l’Administration de l’ISI et de l’AG FISC auraient généré en 2021 une diminution des recettes perçues en 2021 par rapport à 2020 de 18,8 millions d’euros (+ 9,2 millions ISI + 94,2 millions ISR-FISC – 122,2 millions TVA- FISC).
- En ce qui concerne les missions de contrôle des Administrations sociales en matière de lutte contre la fraude sociale et le dumping social, les chiffres officiels, communiqués par le Gouvernement, indiquent que le montant des droits établis résultant de ces contrôles est de 342,2 millions d’euros en 2021 pour 234,2 millions d’euros en 2020, soit des droits supplémentaires de + 88 millions d’euros.
Dans l’hypothèse d’un taux de perception de 45% pour l’année 2021 et hors contestations ou causes d’irrécouvrabilité, les recettes supplémentaires perçues seraient de + 39,6 millions d’euros en 2021.
III. Conclusions
- La lutte contre la fraude sociale et contre la fraude fiscale a généré en 2021 une augmentation d’environ 20,8 millions de recettes effectives supplémentaires, provenant de la lutte contre la fraude sociale. (Ces montants sont établis sur base des résultats officiels, tenant compte soit des taux de perception observés soit de taux de perception estimés et favorables, hors contentieux et autres causes d’irrécouvrabilité) ;
- Les objectifs fixés par l’accord gouvernemental ne seront pas atteintsOn peut en tirer la conclusion que les objectifs fixés par l’accord gouvernemental ne seront pas atteints, notamment des trois faits suivants.
2.1. En ce qui concerne l’ISI, le taux de perception reste de 14% en moyenne pluriannuelle.
Sauf amélioration significative de ce taux durant les années 2022 à 2024, l’activité de l’ISI ne sera pas d’un apport substantiel à l’objectif d’1 milliard d’euros de recettes supplémentaires perçues, ce malgré l’engagement attendu de 40 agents à l’ISI pour les activités de contrôle de cette Administration (lesquelles activités supposent que 25 agents collaborent avec les services judiciaires dans des équipes spécialisées).
2.2. Le Contrat de gestion 2022 – 2024 du SPF Finances ajoute 2 nouveaux indicateurs de productivité pour les équipes de contrôle de l’AGFisc.
Outre l’indicateur antérieur de 60% des dossiers mis en vérification dans les équipes de contrôle devant générer une rectification, maintenu pour la période 2022 à 2024 (critère jamais atteint depuis 2016 dans les équipes de contrôle Grandes Entreprises pour les contrôles TVA et ISOC et jamais atteint dans les équipes de contrôle PME pour les contrôles ISOC), deux nouveaux indicateurs sont introduits.
2.2.1. Comme premier nouvel indicateur, le montant moyen par dossier des Majorations de Revenus en Impôts sur les Revenus confondus (essentiellement en IPP et en ISOC) doit être au minimum de 89355,24 euros (le montant moyen pour l’année 2021 étant de 83033 euros selon les tableaux statistiques du rapport annuel 2021 du SPF Finances).
Cet indicateur ne serait donc atteint que par le maintien de Majorations de Revenus importantes en ISOC, sachant que dans cet Impôt, le taux de productivité de 60% n’a jamais été atteint depuis 2016 pour les contrôles Grandes Entreprises ni pour les contrôles PME.
L’engagement attendu de 40 agents pour les équipes de contrôle Prix de transfert du Pilier Grandes Entreprises ne permettra pas de rencontrer cette exigence, dans la mesure où le marché du travail actuel n’offre pas de profils formés rapidement opérationnels (par ailleurs, qui proviendraient pour l’essentiel des gros cabinets de conseil fiscal, spécialistes de l’optimisation, les ‘Big Four’) et que ces 40 engagements nécessiteront 2 années minimum pour rendre le personnel concerné opérationnel, nonobstant une faible expérience en matière de prix de transfert.
2.2.2. Comme second nouvel indicateur, le montant moyen par dossier de la TVA mise en recouvrement (ou du Précompte Mobilier ou du Précompte Professionnel) doit être de 17855,12 euros (le montant moyen de l’année 2021 étant de 21638,57 euros selon les tableaux statistiques du rapport annuel 2021 du SPF Finances et de 18470,40 euros pour les années
2019, 2020 et 2021). Or en prenant en compte les activités des équipes de contrôle PME et GE, cet indicateur n’a jamais été atteint sur la période 2016 à 2019 et n’a été atteint que pendant les années COVID 2020 et 2021.En ce qui concerne les équipes de contrôle PME, leur contribution à l’indicateur est faible pour chacune des années 2016 à 2021. En ce qui concerne les équipes de contrôle GE, c’est la croissance des rendements moyens par dossier pour les années 2020 (145127 euros par dossier) et pour l’année 2021 (211459 euros par dossier) qui explique que l’indicateur des activités des équipes de contrôle en matière TVA pour PME et GE soit atteint en 2020 et en 2021.
2.3. Aucun indicateur global de maintien ou de progression du Montant total des redressements en Majorations de Revenus ou en Impôts n’ayant été prévu et le nombre des redressements ayant diminué sur les années 2020 et 2021 par rapport à 2019, on peut facilement conclure tout d’abord que les équipes de contrôle de l’AGFisc éprouveraient des difficultés à maintenir les niveaux des indicateurs de productivité par dossier, et ensuite que les montants totaux des recettes fiscales supplémentaires résultant de leurs activités diminueraient du fait d’une diminution du nombre des dossiers mis en contrôle et du nombre de dossiers avec rectification.
On peut donc également tirer la conclusion que sans renforcement supplémentaire des équipes de contrôle, notamment par un rattrapage des 300 ETP manquants de fait du non-respect de la règle 1 remplacement pour 1 départ (alors que seule une augmentation du nombre d’agents de contrôle à productivité moyenne identique peut générer, via une augmentation du nombre des dossiers mis en contrôle et du nombre des dossiers rectifiés, une augmentation des recettes totales résultant de la lutte contre la fraude fiscale ), le rendement supplémentaire en recettes effectivement perçues attendu des activités des équipes de contrôle de l’AGFisc dans le cadre de l’Accord Gouvernemental ne sera pas au rendez-vous.
Victor Serge, expert auprès du Réseau pour la Justice Fiscale.