Sorti premier des législatives, agressivement pro-russe et anti-immigration, le FPÖ, avec qui personne jusqu’alors ne voulait gouverner, se retrouve soudain dans la position de conquérir la chancellerie.
C’est un cauchemar : l’extrême droite autrichienne, plus radicale que le Rassemblement National français, agressivement pro-russe et farouchement anti-islam, est en position de remporter pour la première fois depuis 1945 la chancellerie – équivalent du poste de premier ministre, le centre du pouvoir dans ce régime parlementaire comme celui de l’Allemagne – détenue jusqu’alors par les conservateurs ou les sociaux-démocrates.
Ce serait un très mauvais signal, non seulement pour l’Allemagne voisine qui vote en février, mais pour toute l’Europe au moment précis où aux États-Unis Donald Trump, de retour à la Maison Blanche, s’apprête à redéfinir dans un sens restrictif la relation transatlantique. Cela compliquerait davantage la situation de l’Ukraine.
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Et une fois encore, comme il y a près d’un siècle, le destin du continent européen semble se jouer sur cette scène d’à peine 9 millions d’habitants mais si chargée d’histoire. Sauf que derrière la silhouette de Sissi se profile désormais celle de Hitler.
Tout semblait pourtant si douillet en Autriche pour ce premier long weekend de la nouvelle année, où la sacro-sainte Fête des Rois du 6 janvier, un jour férié, sonne toujours la fin de la trêve des confiseurs. Puis les événements se sont précipités : vendredi, à la surprise générale, la cheffe du petit parti libéral NEOS, Beate Meinl-Reisinger, a jeté l’éponge après plus de trois mois de laborieuses négociations avec les conservateurs de l’ÖVP et les sociaux-démocrates du SPÖ, reprochant à ces derniers de ne pas vouloir élever l’âge de départ à la retraite.
Il faut se souvenir qu’il y a vingt-cinq ans les négociations entre l’ÖVP et le SPÖ – arrivés respectivement troisième et premier aux législatives – avaient achoppé sur la question des préretraites, dont l’Autriche était le champion d’Europe. Mais le chef de l’ÖVP d’alors, Wolfgang Schüssel, était déterminé à gouverner avec le FPÖ comme partenaire d’appoint, passant outre l’opposition de Jacques Chirac comme de son premier ministre socialiste Lionel Jospin.
Samedi, ce fut au tour du chancelier conservateur Karl Nehammer d’annoncer sa démission. Ce dernier avait exclu d’emblée de former une coalition avec le FPÖ d’Herbert Kickl, le principal parti d’extrême droite, sorti pourtant numéro un – avec 28,8% des voix – des législatives fin septembre.
Il reprochait à celui-ci d’avoir validé des « théories du complot » lors de la vague du Covid, en prônant notamment l’usage d’ivermectine plutôt que celui des vaccins, et de représenter un « risque sécuritaire » pour le pays. Le FPÖ de Kickl se pose en grand défenseur de la neutralité autrichienne.
Avec Nehammer, les voix conservatrices opposées à une coalition avec Kickl, qui avait fait campagne en reprenant le vieux terme nazi de « Volkskanzler » (chancelier du peuple), se sont éteintes. « La situation a changé » a constaté le président de la république, l’ancien dirigeant des Verts Alexander Van der Bellen, lui aussi un adversaire déclaré de Kickl, qui s’est résolu à l’inviter ce lundi pour lui confier, malgré ses réticences, la charge de former une coalition gouvernementale (*).
Le président, que Kickl, qui fut ministre de l’intérieur du chancelier ÖVP Sebastian Kurz et concepteur de toute la propagande du FPÖ depuis plus de vingt ans (“Daham statt islam” – “Chez soi, pas l’islam” en dialecte autrichien -, “Ils sont contre lui parce qu’il est pour vous” à propos de Jörg Haider ou encore une campagne d’affiches visant explicitement des créateurs culturels de gauche, dont l’écrivaine Elfriede Jelinek), avait traité de « momie », doit rengainer ses arguments. Et Kickl triomphe, bien que la situation budgétaire de l’Autriche soit très morose. Dans un récent sondage, le FPÖ dépasse désormais les 35% d’intentions de vote.
Personne n’a donc intérêt pour le moment à de nouvelles élections, sinon l’extrême droite.
Au sein de l’ÖVP tous ceux qui souhaitent un accord avec le FPÖ font valoir qu’il y a bien plus de points communs, surtout au plan économique, avec les « bleus » (la couleur du principal parti d’extrême droite, le FPÖ longtemps marginal, qui a été fondé en 1956 par d’anciens nazis) qu’avec les « rouges » du SPÖ. La perspective de retrouver du gaz russe pas cher est déterminante aux yeux de beaucoup de chefs d’entreprise. Or Kickl trouve que Poutine a bien des excuses dans sa guerre d’agression de l’Ukraine, est opposé aux sanctions de Bruxelles contre Moscou, et veut ajouter l’interdiction stricte du passage sur le sol autrichien des armes destinées à Kyiv à sa conception très stricte de la neutralité, inscrite dans la Constitution depuis le départ des derniers soldats soviétiques en 1955.
Des personnalités de l’ÖVP ont déclaré qu’elles ne couvriraient pas un tel virage à 180 degrés, sans précédent en Autriche – pendant la campagne électorale comme depuis les législatives fin septembre, les chrétiens-démocrates ont moult fois expliqué qu’avec le FPÖ de Kickl aucune politique d’État n’était possible et que donc il fallait l’exclure de l'”arc républicain” : l’actuel ministre des affaires étrangères Alexander Schallenberg, qui vient d’être nommé chancelier par intérim, ou encore l’ancien ministre autrichien de l’agriculture et ex-Commissaire européen chargé de ce portefeuille, Franz Fischler. Ceux qui ont l’habitude des arènes internationales sont bien placés pour craindre les dégâts que causerait un chancelier d’extrême droite aussi radical que Kickl.
Lequel a refusé, mardi, l’accès de sa première conférence de presse à l’AFP comme au magazine autrichien Profil, jugés sans doute trop critiques de son action. La radio-télévision publique ORF, qui a tout à craindre d’un chancelier Kickl, a donné un florilège de citations récentes de dirigeants de l’ÖVP excluant de coopérer avec le FPÖ.
Le risque est désormais que le FPÖ, incapable de satisfaire sur bien des points sa promesse de défendre les « petits » contre les « grands », ne mette l’accent sur son programme contre la gauche et les immigrés. Il a ouvert ces dernières années grand ses portes aux militants identitaires qui prônent une « remigration » des étrangers indésirables.
Il pourrait trouver sur ce chapitre des oreilles plus que complaisantes au sein de l’ÖVP, qui gouverne déjà avec le FPÖ dans cinq Länder sur neuf – en Styrie, les conservateurs soutiennent même un gouverneur des « bleus ». Particulièrement alarmante était la déclaration à la télévision publique ORF de la gouverneure de Basse-Autriche, Johanna Mikl-Leitner, une ancienne ministre de l’intérieur de l’ÖVP qui a conclu un accord de coalition avec le FPÖ : selon elle il faudrait carrément « un combat contre l’islam » ( **)- pas seulement contre l’islamisme ou le djihadisme -. Bien sûr elle est de ceux qui approuvent une union avec l’extrême droite. La Basse-Autriche, qui entoure Vienne, a toujours eu un poids déterminant dans l’appareil conservateur.
Mais l’idée de voir participer au Conseil européen un chancelier Kickl est hallucinante. Viktor Orban et Donald Trump ne pourraient que s’en réjouir.
(* et **) Comme c’était prévisible, le président Van der Bellen a confié ce lundi à Kickl le soin de conduire des négociations gouvernementales. J’ai donc modifié en ce sens le billet, et précisé en outre la citation de Mme Mikl-Leitner. Ce n’est sans doute pas la position officielle de l’ÖVP, mais elle dit bien l’esprit qui anime ce parti qui se présentait traditionnellement comme “démocrate-chrétien” ou de “centre-droit”.
Quelques-uns de mes billets précédents:
- En Autriche, droite et extrême droite fantasment un retour en masse des Syriens
- La propagande de l’extrême droite s’enracine en Autriche
- La droite radicale revient en force au Parlement autrichien
Joëlle Stolz,
Journaliste et autrice
Publication intégrale avec la cordiale autorisation de Joëlle Stolz.