Les firmes transnationales ont remporté 62% de leurs requêtes d’arbitrage contre les États latino-américains. Cet argent pourrait mettre fin à l’extrême pauvreté dans la région.
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Dans leur dernier rapport – publié la dernière semaine du mois d’août et dont les données ont été mises à jour au 31 décembre 2021 – Bettina Müller et Luciana Ghiotto, membres de l’équipe de recherche du TNI, affirment que l’Argentine, le Venezuela, le Mexique, le Pérou et l’Équateur sont les pays qui ont subi le plus de pressions juridiques ces 3 dernières décennies.
Instrument néolibéral et de dépendance
Les traités bilatéraux d’investissement (TBI) sont des instruments qui permettent de traiter ces demandes. Ce sont des accords entre deux pays dont l’objectif est de garantir la sécurité juridique des investisseurs.
La disposition la plus pernicieuse est sans doute celle relative au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE). Si une entreprise considère qu’un État n’a pas respecté une des clauses d’un accord, elle peut contourner la justice dudit pays et le dénoncer devant les tribunaux internationaux.
Le site Web ISDS impactos, qui reprend les recherches du TNI, explique pour sa part que « le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (dont le sigle en anglais est ISDS) est inclus dans des milliers de traités internationaux. ». Et il précise que ce dispositif permet aux investisseurs étrangers de traduire les gouvernements devant les tribunaux internationaux s’ils considèrent que les changements introduits dans leurs politiques publiques – y compris ceux conçus pour protéger l’environnement et la santé – nuisent à leurs bénéfices.
Transnationales, oiseaux de proie
23 des 42 pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont fait l’expérience de la rigueur du système international d’arbitrage. L’acharnement est particulièrement manifeste contre l’Argentine (62 requêtes), le Venezuela (55), le Mexique (38), le Pérou (31) et l’Équateur (25). Le recours à ce mécanisme de traduire en justice les États de ce continent s’est intensifié entre 2011 et 2021, lorsque le nombre de requêtes est passé de 91 à 180, multipliant par 2 le total des procès. Ils sont attribués majoritairement aux industries extractives minières, gazières et pétrolières. Mais aussi de manière significative aux entreprises qui tirent profit du gaz et de l’électricité ainsi que des produits manufacturés.
L’Argentine, qui a perdu 87% de ses procès, est le pays du continent qui a subi le plus de défaites devant ce type de tribunaux. Dans le cadre d’un accord entre les parties, elle devra débourser la somme record de 5 milliards de dollars à l’entreprise espagnole Repsol. Au total, ce pays sud-américain doit 9,222 milliards aux investisseurs.
Dans le cas du Venezuela, la 2ème nation la plus sanctionnée du continent par les tribunaux internationaux, 64% des demandes ont abouti à un arbitrage en sa défaveur. Il leur doit l’arbitrage le plus coûteux du continent. En 2019, le tribunal du CIRDI lui intime de payer 8,366 milliards de dollars à la multinationale Conoco Phillips.
Concrètement, en matière monétaire, les États finissent toujours par être les grands perdants, constate le Transnational Institute dans son dernier rapport : « Les demandes leur coûtent des millions de dollars en frais de défense (juridique) et de procès ». Même lorsque les tribunaux tranchent en leur faveur, ils doivent débourser des millions de dollars pour payer des cabinets d’avocats dont les honoraires coûtent parfois jusqu’à 1.000 dollars de l’heure. Cas emblématique de l’Équateur qui, jusqu’à 2013, a dépensé 155 millions de dollars pour assurer sa défense juridique et payer les frais d’arbitrage.
Selon le rapport détaillé de l’ONG, dont le siège est aux Pays-Bas, les sommes réclamées par les entreprises depuis 1996 se montent à 240,733 milliards de dollars. Cependant, on ne connaît pas les montants exigés pour 68 des 327 demandes, le chiffre est donc à réviser à la hausse. Jusqu’à présent, les tribunaux ont condamné les pays du continent sud-américain à payer 33,638 milliards de dollars.
Quant aux demandes en cours (on ne connaît le montant réclamé par les entreprises que dans 44 des 96 actions engagées), elles pourraient représenter des pertes supplémentaires de 49,626 milliards de dollars pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
Réalité aussi irréfutable que dramatique d’une lutte inégale, institutionnalisée en vérité unique et universelle. Comme si sur le ring, deux acteurs (un boxeur et un arbitre) combattaient, ensemble, contre un autre boxeur, esquinté par les coups qu’il a reçu à quatre mains.
Traduction de l’espagnol par Sandrine Merle.
ALAI : Agencia Latinoamericana de Información