Ce 17 novembre, 280.000 Français ont bloqué les routes de l’Hexagone. L’action de ces « gilets jaunes » (1 mort, 400 blessés, 300 arrestations) est partie d’une révolte contre la hausse du prix des carburants. Autour de cet événement, on a dit tout et son contraire. Ce brouhaha fort confus révèle à la fois le malaise politique majeur qui règne en France et l’impréparation politique et intellectuelle face aux bouleversements inévitables que vont induire les accélérations des crises climatique, économique et sociale.
Ce sont des citoyens – ou plutôt des citoyennes – ordinaires qui sont à l’origine de cette mobilisation. En particulier, on cite une certaine Jacline qui a réalisé une vidéo-selfie dans laquelle elle s’insurgerait contre toutes les misères faites aux pauvres automobilistes. Et, miracle des réseaux sociaux, la youtubeuse plutôt post-moderne (elle est auteure-compositrice-accordéoniste-hypnothérapeute-métapsychiste-parapsychologue) a trouvé, en écho à sa colère, la colère de bien des français : 6 millions de vues paraît-il ! Elle fut loin d’être la seule à se révolter car, apparemment, la France pauvre, la France exploitée, la France taxée… compte beaucoup de membres.
Première surprise : ce n’est pas qu’au sud de la Méditerranée, en Tunisie ou en Egypte, que les réseaux sociaux parviennent à susciter de larges mobilisations populaires. Jacline[1] avec son langage « brut de décoffrage » et sans pincettes avec les gouvernants (« Mais qu’est-ce que vous faites du pognon ? (…) Vous réfléchissez parfois aux conneries que vous faites ? ») a plu aux révoltés du macadam.
Bien sûr, comme toujours avec les réseaux sociaux on trouve du pire et du meilleur, souvent du pire car s’y expriment les frustrés et refoulés qui, même peu courageux, trouvent là un exutoire sans risque. C’est ce qui a amené Umberto Eco à dire durement : « [les réseaux sociaux]… ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. ». Toujours est-il qu’après #MeeToo et #BalanceTonPorc, Internet suscite un mouvement social venu de nulle part et de partout à la fois.
Le désespoir français
Même si le mouvement a provoqué quelques répliques mineures en Belgique (« Paris s’enrhume et c’est Bruxelles qui éternue »), c’est bien en France qu’est née cette manifestation d’exaspération populaire. Ce n’est qu’une preuve de plus d’un sentiment de malaise profond que vit aujourd’hui le peuple français et plus particulièrement les gens modestes.
Depuis plus d’une dizaine d’années, ce pays, pourtant habité d’une population plutôt politisée et prompte à la contestation des pouvoirs établis, stagne dans une morosité due à un système politique inadapté : le régime présidentiel, avec des élections à scrutin majoritaire, entraîne un débat politique médiocre centré sur des questions de personnes et qui évite les débats de fond essentiels. Conséquence : trois présidents mal aimés, l’excité, le mollasson et maintenant celui qui se prend pour Jupiter, et toujours la même politique favorable aux nantis et dure aux petites gens. Pas étonnant que, dégoûtés de la droite, de la gauche et du centre, ils votent beaucoup à l’extrême droite et, maintenant, descendent sur les routes pour bloquer les bagnoles (que, paradoxe, ils considèrent comme indispensables à leur vie).
Il est amusant d’observer le positionnement des diverses tendances politiques face à la mobilisation populaire qui se veut a-politique, a-syndicale, voire franchement anti-tout. Les godillots du parti du président, LREM (La République d’Emmanuel Macron) sont évidemment vent debout face à ces manants qui contestent leur bien-aimé souverain mais les autres se tortillent pour « soutenir, sans vouloir récupérer, en contestant le manque de contenu mais en comprenant le légitime ras-le-bol ». Un bon point à Mélenchon qui, conscient qu’il y là derrière pas mal de sentiments poujadistes voire même d’extrême droite a trouvé la belle formule pour qualifier cette jacquerie : « Il y a peut-être quelques fachos mais surtout beaucoup de fâchés… ». Joli.
Le débat de fond
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Alain Adriaens
[1] Tiens, au Moyen-âge, les révoltes paysannes furent nommées « jacqueries », terme dérivé de Jacques, sobriquet appliqué pendant la première moitié du XIVe siècle aux paysans (les “vilains”). Jacline s’inscrit donc dans cette étymologie…
Source de l’image de couverture:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_des_gilets_jaunes#/media/File:ManifGiletsJaunesVesoul_17nov2018_(cropped).jpg