Rémunérés à la course, des étudiants, jeunes de quartier, artistes cherchent avec risque à subvenir à leurs besoins.
Vous les avez peut-être déjà croisés, slalomant entre les voitures des grandes villes, les livreurs de Deliveroo, UberEats et consorts sont les nouveaux travailleurs de l’économie de plateforme. Surnommés “les donneurs d’organes” par les taximans parisiens à cause des risques qu’ils prennent. Les coursiers roulent toujours plus vite pour s’assurer une bonne place au sein du classement de leur entreprise respective. Une bonne place permet d’être prioritaire sur les commandes envoyées à la plateforme, d’élever son ratio de commandes/services et donc d’avoir une meilleure paie. On comprend assez rapidement les risques que peuvent alors prendre ces travailleurs et le surnom qui leur est attribué… Parmi eux, on retrouve des étudiants, des jeunes de quartiers, des artistes cherchant une nouvelle source de revenu pour subvenir à leurs besoins, mais aussi des personnes qui cumulent deux boulots. Et si beaucoup d’entre eux perçoivent les tares du statut d’autoentrepreneur et la subordination intelligemment dissimulée par les concepteurs de l'”ubérisation”[1], tous ne plaident pas pour accéder au statut d’employé.
Les plateformes profitent alors de la grande diversité des travailleurs à leur disposition, de leurs intentions diverses et du flou juridique des États pour remettre en place un capitalisme rentier, où les petits génies de la Silicon Valley ponctionnent une plus-value débarrassée des cotisations sociales. Sous couvert d’applications smartphone reluisantes, ces nouveaux patrons inspirés du travail à la tâche du XIX e siècle tentent ainsi de se débarrasser de leur rôle d’employeurs. C’est ainsi qu’ils ont progressivement abandonné le salaire horaire des coursiers au profit d’une rémunération par course.
Une décision qui poussa les coursiers britanniques à manifester leur mécontentement en août 2016 au bureau central de Deliveroo. La résistance de ces travailleurs avait poussé l’entreprise à s’excuser et laisser le choix aux livreurs du mode de paiement qui leur convenait. Les travailleurs mobilisés ne se sont alors pas arrêtés en si bon chemin puisqu’ils exigent maintenant d’être reconnus comme salariés, à l’instar des chauffeurs Uber.
En France et en Belgique, les mouvements sociaux ont interpellé ces travailleurs, poussant les coursiers à se regrouper sous la forme d’un collectif, à défaut de se syndiquer. Ils peuvent ainsi partager leurs témoignages concernant des situations qu’ils jugent aberrantes, comme lorsqu’un jeune s’est plaint de n’avoir reçu aucune considération suite à un accident si ce n’est pour s’inquiéter de la livraison de la commande.
Le collectif a également permis de coordonner la mise en place d’une “déconnexion massive” place de la Bastille à Paris mais aussi à Lyon et à Bordeaux le 15 mars dernier. Cette grève 2.0[2] avait pour but de dénoncer la faible rémunération et les ambiguïtés concernant le statut d’autoentrepreneur.
Au-delà d’un service de livraison de plats préparés, l’ambition de ces nouveaux acteurs est stratégique : accélérer le démantèlement du Code du travail déjà en cours dans toute l’Union européenne. Fin des congés payés, absence de protection contre le licenciement, abolition du salaire minimum… Toutes ces mesures violentes sont installées insidieusement dans l’espoir d’en faire le nouvel horizon de la flexibilisation de l’emploi.
Le capitalisme témoigne ainsi, s’il le fallait encore, de sa voracité quant à sa soif d’accaparement de profits et de sa volonté de presser les travailleurs au détriment de toutes les conquêtes sociales.
[1] Récemment, un article du Guardian révélait les manipulations de langage et les instructions données au sein de l’entreprise pour ne pas considérer les coursiers comme de véritables employés.
[2] Derrière cette expression un peu barbare se cache une négociation pour un nouveau droit de grève.