Après les dramatiques inondations de 2021 qui ont endeuillé le pays et sinistré durablement une bonne partie de la province de Liège (sans oublier les autres), l’année 2022 s’est distinguée en devenant l’année la plus chaude enregistrée en Belgique depuis que l’on effectue des mesures à Uccle (1833). L’an dernier subtilisait donc la première place du podium des années les plus chaudes à 2020, la troisième étant 2018…
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Cette année avait étrangement débuté. À côté du sapin de Noël et pour les festivités de la Saint-Sylvestre, point de neige, mais une température maximale de 16,2°C, habituelle du début du mois de mai, quand on peut faire ce qu’il nous plaît…
Actuellement, la vague de chaleur qui s’est installée sur le pays depuis le 8 juin et qui devrait se prolonger est la plus précoce jamais enregistrée en termes de longueur : 12 jours, peut-être plus…
En outre, les températures de ce mois de juin ont pulvérisé le record de 2003. Il fait bien plus chaud qu’un mois de juillet ou d’août “ordinaire” (si on se base sur la moyenne des 30 dernières années les plus chaudes).
Une longue période sans pluie
Pour couronner le tout, le stress hydrique s’invite. Nous avons certainement en mémoire un mois de mars extrêmement pluvieux qui a soulagé nos inquiétudes quant à la recharge des nappes phréatiques mise en tension par un mois de février parmi les plus secs jamais observés. Ensuite, le régime pluviométrique a été normal jusqu’à la mi-mai. En effet, le 15 mai dernier, quelques postillons de précipitation (0,7mm) ont été enregistrés à Uccle ; et depuis, plus rien. Plus de 4 semaines sans pluie. Plus de 4 semaines avec un vent sec soutenu du nord-est. Les terres agricoles souffrent de cette aridité. Et pour cause : il n’est pas ordinaire qu’une période sans pluie soit aussi longue en Belgique et il semble hautement probable que le record de 36 jours sans précipitation (datant de 2007) soit approché, sinon égalé cette fois. Pourtant, l’indice sécheresse de l’IRM – inadapté au contexte exceptionnel actuel – qualifie la situation de “normale”.
Et cela, comme tout le reste, est extrêmement préoccupant, car tout est lié au changement climatique. Tous ces tristes records qui s’accumulent et se superposent ont dès à présent des conséquences délétères sur nos conditions de vie. Par exemple, combien sommes-nous à déjà devoir composer avec une habitation qui s’apparente de plus en plus à une fournaise et à ne plus savoir dormir correctement ?
Les conséquences du changement climatique sont un formidable catalyseur des inégalités sociales
Au moment où nous écrivons ce texte, nous pensons que cette situation assez particulière doit nous préparer à toute une série de crises potentielles. D’autant plus que l’expérience de ces dernières années nous fait craindre d’autres vagues de chaleur estivales dans les semaines à venir. Or, les canicules tuent en Belgique : 1.460 personnes en 2020 et 1.193 en 2022. Le fait d’avoir un parc immobilier déjà en surchauffe dès la mi-juin augmente de facto la vulnérabilité d’une grande part de la population en cas de nouvelles canicules. À tout le moins, les mal-logés dont les habitations ne sont pas suffisamment isolées et/ou qui ne disposent pas de système de climatisation (par ailleurs énergivore, donc coûteux, et donc inabordable pour un très grand nombre), ou encore les personnes seules et/ou âgées, etc. En un mot, ce seront essentiellement les populations déjà précarisées qui souffriront le plus de ces potentiels extrêmes climatiques. Au risque de se répéter, les conséquences du changement climatique sont un formidable catalyseur des inégalités sociales.
L’accès à l’eau potable est pour l’instant maîtrisé, mais jusqu’à quand ?
Le monde agricole s’émeut de cette énième perturbation climatique
Quant aux conséquences du déficit pluviométrique, elles sont déjà bien palpables. Les débits de certains cours d’eau sont extrêmement bas pour la saison, mauvais présage aussi bien pour les milieux naturels aquatiques que pour le tourisme d’eau. Le monde agricole s’émeut de cette énième perturbation climatique qui pourrait mettre en péril une part non négligeable de la production. Le risque de feux de forêt déjà présent depuis le début de cette sécheresse va sensiblement s’accentuer et mettre sous pression les services de secours, eux-mêmes sous-équipés pour ce type d’intervention et en sous-effectifs. Quant à l’accès à l’eau potable, il est pour l’instant maîtrisé – notamment dans certaines communes du sud du pays régulièrement dépendantes d’apports d’eau extérieurs ces dernières années – mais jusqu’à quand ? Finalement, les conditions climatiques des semaines à venir détermineront l’importance des conséquences de ces stress météorologiques simultanés.
Des prises de position politiques qui maintiennent une situation intenable
Des publicités de 36m² dans l’espace public vous incitent à acheter des véhicules de plusieurs tonnes
La situation actuelle est certes exceptionnelle, mais a cependant des allures de “déjà-vu”. Ce n’est pas comme si nous n’avions pas vécu une succession de canicules estivales et d’extrêmes pluviométriques ces 2 dernières décennies et que ces problématiques – intimement liées au changement climatique – n’étaient que lointaines. Dans ce contexte d’état d’urgence, la mise en place de fortes politiques d’atténuation (diminution des émissions de gaz à effet de serre) et d’adaptation aux conséquences du changement climatique serait plus que souhaitable. Or, ces décisions politiques sont peu lisibles et parfois à contre-courant des enjeux du XXI
e siècle : le ministre wallon des aéroports ne souhaite pas réglementer la croissance de l’aviation d’affaires (traduisez ‘jets privés’) – refusant de “tomber dans le populisme et le simplisme de la réflexion”, le Premier ministre appelle à faire une “
pause environnementale” et la seule idée mise en avant par le parti Écolo de passer de 120 à 100km/h sur autoroute est directement qualifiée de mesure “l
iberticide” ou “
punitive” par les présidents du MR et du PS. Par ailleurs, de l’absence totale de régulation, il en résulte par exemple que, en 2023, des publicités de 36m² dans l’espace public vous incitent à acheter des véhicules de plusieurs tonnes dont la consommation dépasse les 15l/100km et – au moment où nous écrivons ces lignes – les pommes de terre proposées dans nos supermarchés sont essentiellement importées (par exemple, de Malte, Chypre ou Israël…) avec tous les transports évitables que cela implique. Quant aux chantiers sur la table concernant la rénovation du bâti wallon, l’option d’aller vers des solutions audacieuses en faveur des ménages – locataires comme propriétaires à revenus modestes et faibles – semble manquer d’ambition pour réussir le rendez-vous avec la justice climatique et la réduction des inégalités.
Ces prises de position sont, d’une certaine manière, performatives. Dans ce cas-ci, elles maintiennent une situation intenable si on estime que l’objectif politique à atteindre est la couverture des besoins humains fondamentaux pour toutes et tous. Une autre posture permettrait probablement de transformer une situation actuellement génératrice d’importants stress et d’inégalités. En d’autres termes, tant que rien ne change, les sécheresses et autres vagues de chaleur se multiplieront et s’intensifieront. Certains s’y adapteront, d’autres pas. Comme le dit David Van Reybrouck dans son dernier ouvrage : nous n’avons “encore rien entrepris contre la manière dramatique dont nous colonisons à présent l’avenir”.1
Collectif
(1) Van Reybrouck, D., 2023. Nous colonisons l’avenir. Actes Sud.
Une carte blanche de Pierre Ozer (Professeur à l’ULiège), Christine Mahy (Secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté – RWLP), Olivier De Schutter (Professeur à l’UCLouvain), Catherine Fallon (Professeure à l’ULiège) et Kevin Thibaut (Doctorant à l’ULiège).