En Tunisie, prononcez le mot Sidi Bou Saïd et vous verrez les visages s’illuminer, la petite cité côtière aux portes bleues et cloutées suscitant l’enthousiasme. Par contre, si vous prononcez celui de Sidi Bouzid, vous verrez les mêmes visages s’éteindre. Comme si une seule syllabe faisait toute la différence. Sidi Bouzid, cité maudite? Pas du tout, même s’il faut admettre que ce gouvernorat du centre de la Tunisie paie un lourd tribut social à la révolution de janvier 2011. Mais il ne faut pas le limiter à sa misère économique, l’isoler dans sa pauvreté ou sa violence. Des choses s’y passent, de toute beauté et porteuses d’un espoir inouï. Dont des ateliers de danse contemporaine destinés à la population, mis en place par le chorégraphe Achref Hammouda sous le nom de MOUVMA et soutenus par le ministère des affaires culturelles.
De tous temps, Sidi Bouzid, qui a donné son nom à la région qui l’entoure, souffre d’une situation d’enclavement géographique qui a limité son développement. Depuis le 17 décembre 2010, la ville de Sidi Bouzid a acquis une réputation internationale. Déjà marquée par un taux de chômage élevé, elle a en effet été le théâtre, ce jour-là, d’affrontements entre des habitants et les forces de police suite au suicide, la veille, de Mohamed Bouazizi, un commerçant ambulant, chômeur, qui s’était immolé par le feu en réaction à la saisie de sa marchandise par les autorités – il mourra des suites de ses blessures le 4 janvier 2011. Ces manifestations de décembre 2010 marqueront le début de la révolution tunisienne, ce soulèvement populaire à dimension nationale qui provoqua la fuite, le 14 janvier 2011, du président Zine el-Abidine Ben Ali vers l’Arabie saoudite, après 23 ans de pouvoir particulièrement autoritaire.
A Sidi Bouzid, la situation économique ne s’est pas améliorée durant les sept dernières années, comme ailleurs dans le pays, et a considérablement noirci l’image de la région. Si la démocratie peine à s’installer en Tunisie, les régions pauvres se sont encore appauvries et les populations délaissées par les autorités ont glissé en partie vers la drogue et le terrorisme. Et c’est là que le formidable projet MOUVMA intervient. Il s’agit d’un programme de formation en danse contemporaine et en création chorégraphique long de cinq jours chaque fois. Il s’étend sur trois mois et se déroule dans huit municipalités du gouvernorat de Sidi Bouzid. Il a débuté de 2 juillet et se terminera le 30 septembre. “Nous travaillons dur pour sauver nos enfants”, explique Achref Hammouda qui pilote ce projet, le premier du genre dans une région culturellement défavorisée. “Nous voulons leur montrer la bonne manière de vivre et les inciter à prendre de la distance par rapport à leurs problèmes.”
Le projet MOUVMA vise à encourager ces populations marginalisées et culturellement défavorisées à investir dans la danse contemporaine et à en faire une forme pacifique de défense de leur droit à l’expression et à la participation dans toutes les sphères de la vie. Le chorégraphe Achref Hammouda et les cinq membres de sa compagnie (Iheb Raddaoui, Assem Tlili, Mohamed Ghabri, Amir Kaddachy et Mazen Tahri) ont reçu le soutien du ministère des affaires culturelles.
Les quatre premiers stages de formation en danse contemporaine et en création de danse ont déjà eu lieu et donnent des résultats résolument positifs. Chaque semaine, un atelier MOUVMA se déroule dans un endroit différent du gouvernorat, durant cinq jours, à raison de huit heures de danse par jour. “Les participants sont entre 17 et 22 par atelier”, précise le chorégraphe. “Ils ont entre 8 et 32 ans. On trouve des garçons, des filles et aussi des femmes mariées.
80 % des participants ne connaissent rien à la danse contemporaine et nous les y initions. L’objectif premier et fondamental est de créer de nouveaux noyaux de danse dans tout le gouvernorat de Sidi Bouzid. Chaque noyau met en place le club de danse dans sa localité. On veut attirer autant de jeunes que possible et les impliquer dans la vie culturelle. On veut combattre toutes les formes de terrorisme en créant une génération instruite. On veut apporter à ces jeunes talents un professionnalisme technique.”
Achref Hammouda et son équipe, Iheb Raddaoui, Assem Tlili, Mohamed Ghabri, Amir Kaddachy et Mazen Tahri, organisent trois types d’ateliers, danse, talk show, atelier de vie.
“Lors du premier atelier”, explique le danseur, “on leur enseigne comment libérer leur corps de l’emprise de l’esprit, comment faire passer ses idées et ses émotions par la danse.
Durant le deuxième atelier, quand ils sont danseurs, nous leur expliquons comment faire le test du professionnalisme. Comment contacter le ministère? Comment utiliser la danse comme un mode de vie?
Au troisième atelier, nous abordons les différences entre garçons et filles. Nous invitons les jeunes et les vieux à constituer une seule famille, sans haine, sans colère, sans racisme. Comme une vraie famille.
Dans nos ateliers, on rencontre aussi bien des personnes honnêtes malades du cancer que des illettrés qui ne sont jamais allés à l’école ou des gens fumant de la marijuana. Et nous travaillons énormément pour les sauver tous.
Les familles ont été terriblement heureuses de ce que nous faisions. Elles ont encouragé leurs enfants à participer aux ateliers. Et elles espèrent que nous allons organiser ces ateliers encore et encore.
A l’issue de chaque atelier, deux danseurs sont choisis.”
Ces stages d’une semaine permettent à des personnes de créer de la culture dans les lieux où elles vivent. MOUVMA va clôturer ce programme courant sur trois mois par un spectacle de chorégraphie long d’une heure, qui sera dansé par 15 danseurs et danseuses de Sidi Bouzid, repérés dans les huit lieux des ateliers.
Pour voir des images du projet MOUVMA, c’est ici, ici, ici et ici.
Pour suivre les activités de MOUVMA, c’est ici.
Lucie Cauwe