Désobéir ? Oui, mais comment ?

Depuis quelques mois se multiplient manifestations et actions déterminées pour lutter contre le dérèglement climatique. Cela amène leurs participants à se poser des questions : « Comment se fait-il que les pouvoirs restent sourds à nos revendications, exprimées lors de fortes mais paisibles manifestations, alors qu’ils lâchent très vite du lest (voir la France d’Emmanuel Macron) quand des violences sont commises ? Faudrait-t-il dès lors en arriver là pour se faire entendre ? ». Une réponse nuancée oblige à définir les « bonnes pratiques » de la désobéissance civile…

Ils nous donnent un exemple mobilisateur, ces jeunes qui, de par le monde et particulièrement en Belgique, sortent de leurs écoles pour alerter sur l’urgence d’agir pour « sauver la planète », comme ils disent. Déjà, au départ, il y avait un acte désobéissant. Tout comme leur égérie suédoise, Greta Thunberg, ils « brossaient » leurs cours, risquant parfois des sanctions, surtout s’ils étaient absents plusieurs jeudis de suite. Ils s’étaient fixé un objectif de court terme : obtenir une ouverture à modification de l’article 7 de la constitution pour permettre l’adoption d’une Loi climat. Ils s’étaient même associés avec une belle brochette d’activistes climatiques pour désobéir encore plus « radicalement » : ils ont participé à l’occupation de la rue de la Loi, en pleine zone neutre où toute manifestation est interdite, comme rapporté sur notre site. Hélas, ils ont appris, comme leurs aînés, que les puissants ne se laissent pas si facilement convaincre et qu’ils ont assez de relais dans le monde politique pour empêcher des avancées qui pourraient menacer leurs intérêts. La Coalition Climat (70 organisations très représentatives) a constaté très lucidement que « l’ambition ne parvient pas à franchir les portes du Parlement ».

La sensibilisation et le rapport de force

Depuis près de 6 mois, la pression pour que soient prises des mesures ambitieuses en matière de climat monte de plus en plus. On peut juger que la sensibilisation des moins attentifs à la question est atteinte. Reste à faire bouger les lignes. Et là, beaucoup de néo-manifestants viennent de réaliser qu’il ne suffit pas d’avoir les arguments les plus convaincants mais qu’il faut aussi établir un rapport de force, c’est-à-dire faire peur, voire faire mal, à ceux qui défendent les intérêts égoïstes qui dominent nos sociétés néo-libérales.

Les activistes du climat ont compris qu’une alliance avec le monde du travail, c’est-à-dire principalement avec les syndicats est indispensable à ‘avancée de leurs revendications. Lors de la manifestation du 15 mars certaines centrales syndicales ont soutenu ceux de leurs affiliés qui souhaitaient faire grève ce jour-là. Mais on sait que des manifestations de 100.000 travailleurs n’ont pas empêché le même pouvoir politique de mener depuis plus de 4 ans une politique antisociale et de détricoter systématiquement les acquis sociaux, résultats de luttes et de grèves par le passé. Le rapport de force (mondialisation, robotisation et donc croissance du chômage) a changé. Les travailleurs étant bien moins nécessaires dans les secteurs de la production, l’arme de la grève est quelque peu émoussée. Même si l’alliance rouge-vert-jaune… et jeunes se met peu à peu en place, le rapport de force n’est pas encore en faveur de ceux qui espèrent des changements. Alors, comment agir ?

La désobéissance civile

Puisque tous ceux qui ont envie que cela bouge ont, dans une très large majorité, compris qu’on n’obtient rien (si ce n’est le discrédit) par la violence, de plus en plus nombreux sont ceux qui réfléchissent à l’utilisation de la désobéissance civile, voie privilégiée des non-violents. On ressort donc les exemples du passé et on analyse pourquoi ils ont marché… ou pas. Les mânes de David Thoreau, Gandhi, Martin Luther King sont invoquées…On reparle de la modeste Rosa Parks qui, bien que noire, s’est assise dans le bus à une place white only et fut ainsi l’étincelle qui alluma le feu de la lutte pour les droits civiques aux USA. Les survivants de la génération post Mai 1968 sont prêts à rechercher dans leurs greniers les livres de Jean-Marie Muller. On réalise alors que, depuis l’indépendance de l’Inde jusqu’à la reconnaissance du droit à l’objection de conscience, la non-violence a pas mal de victoires à son actif. Mais on réalise aussi que les non-violents sont souvent victimes de la violence étatique. Les gilets jaunes français ont sûrement beaucoup de témoignages à transmettre à ce sujet…

Il importe cependant de s’adapter à l’évolution de nos sociétés, avec notamment l’arme à double tranchant que sont les technologies du numérique. Aide précieuse pour la mobilisation rapide sur les réseaux sociaux mais moyen de contrôle et de répression très efficace aux mains des pouvoirs. On lira donc avec profit un livre plus récent (2015), celui de Sdrja Popovic, Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes.[1]

L’actualité récente apporte aussi pas mal d’exemples d’actions désobéissantes (c’est-à-dire illégales mais légitimes), depuis les cacheurs de pub qui surcollent les panneaux publicitaires qui nous poussent à acheter ce dont nous n’avons pas besoin jusqu’aux lanceurs d’alertent qui, souvent perdent leur job mais ont notamment mis en évidence les actions des malfaiteurs que sont les fraudeurs et autres évadés fiscaux[2] Les autorités, notamment européennes, sont même obligées de prévoir de dispositions pour protéger ceux qui préfèrent l’honneur et la justice aux manœuvres douteuses des banques et des Big Four.

Nouvelles tactiques désobéissantes

De nos jours, les désobéissants développent de nouvelles tactiques. Ainsi, pour résister aux projets qui détruisent des sites naturels de valeur, les plus déterminés s’installent, en des campements, souvent rudimentaires, sur les lieux qu’ils souhaitent protéger de la folie productiviste. Cette pratique connaît tant d’exemples qu’elle a pris le nom générique de ZAD, Zone À Défendre, avec l’exemple emblématique de Notre-Dame des Landes où des décennies d’occupation ont empêché la construction d’un aéroport inutile dans le bocage du sud de la Bretagne. On sait aussi, que le pouvoir d’État a, par une répression ultra violente, fait payer très cher leur victoire commune aux paysans et activistes. Cet exemple montre que, dans les pays démocratiques, l’important est de gagner la sympathie de l’opinion publique majoritaire qui, au final, détermine souvent l’issue de l’affrontement. Sur l’échelle de brutalité des forces de l’ordre, la France est, de nos jours très mal cotée, loin derrière l’Allemagne (actions Einde Gelande (« fini les bêtises ») ou de la forêt d’Hambach) ou même de l’Algérie. Plus près de chez nous, POUR a relayé à plusieurs reprises les actions de résistance à la construction d’une méga-prison sur les 18 hectares d’un des derniers espaces verts de la région bruxelloise, à Haren.

Des actions symboliques originales poussent parfois les pouvoirs politiques à commettre des erreurs. Ainsi, des « faucheurs de chaises » mobilisés par Attac France ont subtilisé des sièges dans les agences de BNP Paribas pour dénoncer la complicité de la banque dans les techniques d’ingénierie fiscale qui permettent aux plus riches d’éviter l’impôt. Poursuivis pour « vol en bande organisée », les faucheurs ont déstabilisé le pouvoir étatique en rendant les chaises devant le palais de justice où se déroulait le procès de Jérôme Cahuzac, ministre français, fraudeur menteur notoire.

Un exemple récent de cet art délicat de désobéissances qui révèlent la grande violence de l’État face aux actions de la société civile est celui des réquisitions de portraits du président Macron dans les mairies de France. Ne se dissimulant pas, bien au contraire, ces activistes de la lutte climatique et sociale combinée, « dégagent » symboliquement le président français en le décrochant des murs des mairies. Ces actes, plutôt bénins, ont suscité une réaction disproportionnée des services de police qui a paradoxalement accru le succès de la campagne. En mobilisant le service antiterroriste et le Service central de renseignement criminel de la gendarmerie pour traquer et punir les militants climatiques de l’ANV COP21 et de Bizi, le pouvoir révèle sa panique face au mouvement citoyen. En utilisant l’arsenal de la lutte anti-terroriste contre ces paisibles mobilisations, comme l’a révélé Reporterre, et en multipliant de lourdes procédures judiciaires pour les frapper, l’État se décrédibilise et amplifie le message qu’il souhaite museler.

Le sociologue Albert Ogien qui a co-écrit l’ouvrage Pourquoi désobéir en démocratie ? analyse la réaction trop vive des pouvoirs en place. « [Cela] révèle une panique extrême face à l’émergence de formes politiques multiples portées par les citoyens hors du répertoire militant traditionnel et institutionnel. (…) Les classes dirigeantes ont une peur panique de ces mouvements citoyens capables de faire vaciller un pouvoir, même le plus tyrannique. » La réponse des gouvernants consiste en « une montée de l’ultra-sécuritarisme » qui est une chance pour les activistes car « se faire attraper et se faire juger, c’est une des clauses de la désobéissance civile. Cela permet d’alimenter le débat, de retourner le procès contre l’État, mais aussi de bloquer la machine judiciaire. (…) Multiplier les actions pour gripper la machine, ça devient vite intenable. ».

Tiens, ce mercredi 10 avril, 20 importantes organisations belges invitent à se réunir devant le Palais de Justice, place Poelaert à 12h45, pour soutenir l’activiste qui, ô crime de lèse-majesté, a osé remplacer la pub de Coca-Cola d’un grand écran publicitaire par le slogan « STOP TTIP ». [/wcm_restrict]

Alain Adriaens


[1] On notera avec intérêt les 9 principes que défend celui qui a contribué à la chute de régimes autoritaires, de gauche comme de droite : 1. Voir grand mais commencer petit ; 2. Se doter d’une « vision pour demain » capable de fédérer largement ; 3. identifier les piliers sur lesquels le pouvoir repose ; 4. User de l’humour ; 5. Retourner l’oppression contre elle-même ; 6.Construire l’unité entre les différents courants qui composent le mouvement ; 7. Élaborer une stratégie précise, étape par étape, jusqu’à l’objectif que vous vous êtes donné ; 8. Choisir la non-violence ; 9. Aller au bout de ce que vous avez commencé.
[2] On vient d’apprendre que, grâce aux leaks (Panama, Swiss, Paradise papers…), la Belgique, bien que dirigée par un gouvernement qui ne fait pas grand-chose pour poursuivre les fraudeurs du fisc, a récupéré plus de 600 millions d’Euros en quelques années. On devrait ériger des statues en l’honneur de ces désobéissants qui sauvent les finances nationales.