La société civile obligée de désobéir

Depuis la fin de l’après-midi de ce dimanche 24 mars, des centaines de citoyens belges ont pris le risque de se mettre en marge de la loi pour être enfin entendus par le pouvoir politique qui reste sourd face aux appels de plus en plus pressants à agir concrètement pour faire face aux graves menaces climatiques.


Réunis confidentiellement, dès 16h00 ils se sont retrouvés, dans les locaux de la CGSP, là même où se tenaient les réunions qui ont organisé la mobilisation de D19-20 qui a réussi à déstabiliser les projets de traités de libre échange CETA et TTIP… Des centaines de militants venus de diverses organisations étaient présents à la suite de messages, plus ou moins discrets, qui ont circulé sur les réseaux sociaux entre tous les militants connus de la lutte pour la protection du climat. Dans une atmosphère surchauffée (au sens propre et figuré), ils se sont partagés, dans une organisation quasi militaire (mais bien moins violente) pour occuper la rue de la Loi
Occupy wetstraat (clin d’œil à la célèbre action d’occupation de l’espace public de New-York Occupy Wall street), tel était l’objectif des activistes excédés par les mauvaises excuses qu’une majorité de politiques belges avancent pour justifier leur immobilisme sur le dossier climatique. Plus précisément, la revendication était, ici, d’obtenir l’ouverture à modification de l’article 7 de la Constitution afin de permettre d’inscrire dans la Loi fondamentale l’option ferme de prendre des mesures fortes à même de protéger le climat. Et puisque cette décision devrait tomber le mardi 26 mars, la stratégie risquée était d’envahir la zone neutre face au Parlement fédéral, là où toute manifestation est strictement interdite. Il fut dès lors décidé de tenter d’occuper durant 48 heures la rue de la Loi, jusqu’au vote du Parlement sur la révision possible de l’article 7 de la Constitution
Vu le nombre de courriels appelant à cette action désobéissante qui circulaient tous azimuts, on aurait pu craindre que les autorités soient alertées et que l’accès à la zone neutre soit bouclé. Eh bien non, la police n’avait rien vu venir et à 18h00 tapantes, les différents groupes, chacun chargé d’une mission précise, envahissaient le parc royal. Les uns déposaient les lourds blocs auxquels s’attachaient les militants les plus courageux, ceux qui faisaient de leur corps obstacle à toute tentative de délogement par les forces de l’ordre. Certains plantaient les tentes dans le parc en vue des nuits du siège en vue. D’autres attachaient les calicots et slogans explicitant l’action. Le gros de la troupe lui, s’asseyait en cercles compacts à même le macadam de la rue de la Loi pour bloquer toute circulation. Bientôt montaient les slogans et chants bien connus de ceux qui depuis des mois aux diverses marches et actions pro-climat, avec le tube ‘Plus chauds, plus chaud, on est plus chauds que le climat ». A 18h05, les deux premiers combis de police apparaissaient et à 18h15 des dizaines de policiers casqués, matraque en main, encerclaient les militants calmes et déterminés. Les responsables désignés pour les contacts avec la police pouvaient entamer les négociations nécessaires au succès de l’action. Les médias qui avaient entretemps été alertés pouvaient suivre les prises de parole des famous, les bekende Vlamingen (BV) et autres notabilité médiatiques qui avaient accepté d’apporter leur soutien et caution plus que symbolique à l’action. C’est ainsi que l’on a pu entendre, dans le désordre, les syndicalistes Thierry Bodson, Felipe Van Keirsbilck et Verteneuil, des artistes comme Bouli Lanners, évidemment Anuna De Wever et Adélaïde Charlier pour les jeunes (très présents ce soir-là), des représentants d’associations importantes telles le CNCD, Act for Climate Justice, Inter-Environnement Wallonie, Hard Boven Hart, Climaxi, Greenpeace, la FUGEA. Bien visibles, soutenant la banderole résumant les revendications, on pouvait voir Olivier De Schutter, Christine Mahy, David Van Reybroeck et autres néerlandophones moins connus de votre serviteur.

Entrecoupant les prises de parole, des chants, des danses improvisées mais très réussies, des slogans en trois langues (beaucoup d’anglais pour les nombreux internationaux qui étaient également présents) réchauffaient les participants vu le froid qui tombait avec la nuit. L’heure des JT et les interviews en direct était atteinte (importance de décupler l’impact grâce aux médias dominants), sans que la police ne parvienne à déloger les occupants. Des négociations se déroulaient dans un calme relatif et un compromis émergeait : les occupants ne seraient pas arrêtés (500 personnes, il aurait fallu un stade pour les stocker tous…), s’ils acceptaient de se déplacer des 300 mètres un peu à la limite de la zone neutre. Aussitôt dit, aussitôt fait, les blocs étaient soulevés par des dizaines de bras décidés, les tentes étaient emportées et le campement improvisé s’établissait face au 22 rue de la Loi Climat (ainsi rebaptisée). Plus tard, dans la nuit, un second déménagement vers le carrefour Trône sera accepté. L’action continue, l’objectif de modifier la Constitution reste central, il est clair que « ce n’est qu’un début, le combat continue… » et continuera…

Il est quand même désolant qu’une part majoritaire de la société civile doive opter pour la désobéissance du même nom pour essayer de se faire entendre. Et il n’est pas sûr que ce soit suffisant. Présent ce lundi matin à une réunion importante sur la transition (on vous en parlera plus tard), j’ai pu constater une grande colère des personnes porteuses de l’espoir d’une société meilleure qui avaient entendu à la radio, le même matin, la réponse décevante du Premier ministre, Charles Michel. D’évidence, pour certains, la médiocre logique politicienne reste prioritaire et des représentants politiques de premier rang restent incapables de penser l’intérêt général et restent bloqués dans la défense des intérêts partisans de la fraction réduite mais dominante dans nos sociétés.

Crédit images : Act For Climate et Greenpeace