Michel Ansay recense ici un livre d’Olivier Abel, De l’humiliation. Cette recension est sa lettre n° 187.
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La rédaction de POUR
Le nouveau poison de notre société
C’est un poison plus grave que celui de la violence, de l’injustice
Poison. L’auteur le dit d’emblée. L’humiliation empoisonne nos relations en société. Et c’est un poison plus grave que celui de la violence, de l’injustice. C’est un long processus, un peu comme ces stolons (par exemple, de mon jardin) qui font leur chemin sous terre (parfois dans l’inconscient, dans la mémoire des peuples) et qui resurgissent çà et là, destructeurs.
CROYEZ-VOUS QUE NOUS POUVONS VIVRE SANS VOUS ?
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Le premier chapitre s’intitule Mesurer l’ampleur de l’humiliation. Sans doute, il s’agit de son territoire, de son aire d’expansion. Et on y rappelle l’humiliation de Paul Ricoeur, doyen de Nanterre en 1970, le port de l’étoile jaune par les juifs à partir de 1942, les conséquences d’un armistice ressenti comme humiliant par l’Allemagne en 1918 et qui donna lieu à la guerre de 1940-1944, la prison humiliante, le chômage, un certain management en entreprise qui humilie les travailleurs, les cultures humiliées, les réseaux sociaux dont on a pu dire qu’ils sont des autoroutes de l’humiliation…
L’humilié perd sa dignité, celle qui le fonde en « sujet »
Le deuxième chapitre veut saisir la profondeur de l’humiliation. Un visage qui pâlit ou qui rougit, des SDF qu’aucun siège n’accueille sinon atrocement conçus pour qu’on ne puisse s’y allonger. « Son corps exprime son âme » disait Wittgenstein. L’humiliation n’est pas mesurable, quantifiable. Là est souvent la raison pour laquelle certains viols ne sont pas re-connus par la justice ou dénoncés par la victime. L’humilié perd sa dignité, celle qui le fonde en « sujet … »
Chapitre 3. Le cœur de l’humiliation ? Elle touche à l’image et à la parole, à notre désir de reconnaissance.
Le sujet « parlant » est destitué
Deux sortes d’humiliation. Selon la première, l’autre est une chose que l’on traite industriellement comme dans les camps d’extermination juifs; ou comme l’esclave devenu outil dans les mains de son maître, mais esclave qui lutte pour son émancipation, sa libération. Selon la seconde, la question n’est plus tant celle de la servitude, de la libération de l’esclavage que celle de l’exclusion. L’esclave s’est affranchi, mais on n’a plus besoin de lui. Ses diplômes sont inutiles. Au mieux, il devient un servant de la société consumériste. Le sujet « parlant » est destitué.
Trois sortes d’humiliation. Elles concernent le pouvoir, l’avoir, le valoir.
Par rapport au « valoir » et aux religions monothéistes venues de l’étranger.
Le feu de la critique externe étouffe la critique interne
Méfiance. Notamment vis-à-vis des religions de l’étranger, les évangéliques et l’islam. On ne comprend pas que le feu de la critique externe étouffe la critique interne. C’est parce qu’ils se sentent dans une citadelle assiégée qu’ils se replient, se blindent. Pas de place pour une critique interne, théologique qu’il faudrait au contraire encourager. C’est quand ils se sentiront « chez eux », ayant confiance en soi, qu’ils oseront regarder leurs propres travers.
Se laver de la honte d’avoir été « colonisable »
Comment encourager une approche véritablement littéraire et poétique du fait coranique ? Comment ouvrir les portes de l’interprétation ? Comment ouvrir les portes écrasées de l’histoire ? L’islam n’est pas encore, hélas, vraiment sorti de la problématique de la colonisation et de la décolonisation. L’Islam avait en quelques décennies, colonisé un immense empire et le voilà de nos jours humilié, se sentant sali, souillé, mais désirant se purifier, se laver de la honte d’avoir été « colonisable », car on a été « mélangé », « corrompu » (comme on dit d’une matière noble mélangée à un ersatz). Il faut sans cesse « se purifier » !
Un autre scénario théologique part du fait que la colonisation était perçue comme une punition divine parce que l’on n’a pas été de bons musulmans. Les pères ont été disqualifiés, réduits au chômage, humiliés dans leurs traditions. Les enfants repartiront de la seule chose intouchable, la parole de Dieu, seul rempart contre la mondialisation du capitalisme. L’embarras est la condition de la parole religieuse quand celle-ci ne prétend pas à une vérité de surplomb qui s’imposerait de gré ou de force.
Chapitre 4. Déconstruire l’histoire et le mécanisme de l’humiliation.
Le christianisme était vu comme la religion des esclaves
On est passé de la « charité chrétienne » à l’État-Providence. Comment ? Dans la civilisation gréco-romaine, il fallait des trophées, des victoires. Le christianisme était vu comme la religion des esclaves. Mais paradoxe !, il apparaissait en même temps comme l’évangile de la libération, de la révolte contre les situations d’iniquité.
Au Moyen Âge régnait l’esprit chevaleresque, mais aussi celui de l’humilité, représenté par les ordres mendiants (Franciscains, Dominicains…).
Deux besoins humains fondamentaux.
Selon le premier, l’humiliation consiste à être montré, dévoilé, cloué au pilori. A l’opposé, un besoin de reconnaissance, de respect qui passe notamment par un droit à l’oubli. « Tu vaux mieux que tes actes » résumait Ricoeur.
L’estime de soi, c’est la faculté de se constituer en sujet
Dans un second sens, l’humiliation serait d’être exclu du jeu. On voudrait montrer ce dont on est capable, mais rien n’est reçu. Et pourtant, on a besoin de l’estime. L’estime de soi, c’est la faculté de dire : « me voici ! », de raconter son histoire et ainsi de se constituer en sujet.
Chapitre 5. Penser des institutions non humiliantes, des « institutions décentes ». Une société dont les institutions (prisons, écoles, hôpitaux…) seraient moins humiliantes et qui favorisent l’estime de soi, la confiance en soi.
Le chapitre 6. Déjouer l’humiliation. L’humiliation est plus que l’affaire d’institutions justes. Elle est aussi affaire personnelle où sont impliqués l’humiliant, le témoin, l’humilié. Pour ce dernier, que sa réponse ne soit pas seulement une réaction, mais une action. Le pardon ou encore l’oubli. Ils permettent de sortir du ressentiment qui paralyse. Ou encore l’humour.
Michel Ansay
Olivier Abel
De l’humiliation. Le nouveau poison de notre société
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