En matière de communication, Greenpeace aime soigner les choses. Le jour du muguet a vu fleurir, via quelques médias judicieusement choisis, une annonce fracassante faite par la branche néerlandaise de l’ONG. Lundi 2 mai à 11h seraient mis en ligne des documents confidentiels des négociations du TTIP. Au jour dit et à l’heure dite, le mystère se levait alors que le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, parmi ceux à avoir reçus les documents à l’avance, avait avancé que “la réalité des négociations surpasse les pires pressentiments ».
Un site dédié offre pas moins de 248 pages d’une quinzaine de documents confidentiels. La fuite* couvre 13 chapitres, représentant à peu près les 2/3 de l’ensemble des textes discutés. Pour l’essentiel, il s’agit de ce qui a servi de base au dernier cycle de négociations qui vient de se dérouler à New York du 25 au 29 avril. S’y retrouvent également un document tactique européen et, pour la première fois, un document de la partie états-unienne. Ce document-là n’est effectivement pas de première fraîcheur — c’est le seul du lot dans ce cas —, datant de novembre 2015, mais il permet de situer l’approche US.
La Commission européenne a rapidement allumé des contre-feux. Via Twitter notamment, l’EU TTIP Team a tenté de minimiser la portée des documents révélés par Greenpeace, en déplorant un “malentendu” et en dénonçant des interprétations “erronées” fondées sur des textes dépassés. Dépassée, c’est plutôt la communication de cette équipe qui l’est.
Les réactions venues de Washington ne font pas mieux. “Les interprétations faites de ces documents semblent être au mieux trompeuses et au pire totalement erronées”, a osé un porte-parole de la Représentation américaine au Commerce extérieur (USTR), qui mène les négociations avec l’UE.
De son côté, Cecilia Malmström, en déplacement à Genève ce jour-là, a publié une note sur son blog. La commissaire au Commerce extérieur y reprend ses antiennes: il n’y aura pas d’abaissement des normes, les lobbies industriels ne sont pas privilégiés dans les discussions etc. Ce qu’il faut souligner, c’est un aveu de sa part, peu commenté jusqu’ici. Vu l’ampleur des divergences, “dans certains domaines (…), il n’y aura tout simplement pas d’accord”. Voilà qui ne cadre avec la promesse maintes fois répétée qu’il n’est pas question d’aboutir à un “TTIP light” et qui, par contre, laisse penser à une manœuvre. Ecarter des pans entiers dans la négociation permettrait de gagner un temps précieux, de nature à espérer boucler l’accord avant la fin du mandat de Barack Obama.
Ignacio Garcia Bercero, négociateur en chef de l’UE, a pris son relais à l’occasion d’un briefing presse, déjà prévu pour revenir sur le tout récent 13ème cycle de négociations. Il n’a pas attendu d’être interrogé au sujet de ces fuites pour émettre un avis. Il est essentiellement revenu sur le fait que les documents sont des textes consolidés càd les positions respectives jointes et que ceci ne présume en rien de ce que seraient les termes d’une position commune.
Autrement dit, les TTIPLeaks présente les tenants mais pas les aboutissants. Qu’à cela ne… tienne. Pour Edward Alden, du Council on Foreign Relations, un think tank de Washington, “l’élément le plus frappant de ces fuites n’est pas leur contenu précis mais le fait que les deux parties sont encore très éloignées l’une de l’autre dans les négociations et que des questions centrales restent en suspens”. Il est très loin d’être le seul à partager cet avis quel que soit la rive de l’Atlantique.
Avant même que soient décortiquées l’entièreté des 248 pages, le TTIPLeaks nous parle déjà. Sur son blog Mediapart, Maxime Combes relève les premiers enseignements dont la transparence déficiente et l’intérêt privilégié des multinationales. La chronique de Bertrand Henne sur la RTBF ce mardi 3 mai est, elle, salutaire, qui circonscrit précisément l’enjeu lié à ces traités: “Ce n’est pas une question de gauche ou de droite, de libéralisme ou d’étatisme. C’est plutôt une question de société juste. (…) Malgré tous leurs efforts, les défenseurs des accords transatlantiques ne sont pas arrivés à démontrer que nos sociétés seraient plus justes et équitables avec ces accords. Tout le problème est là.”
Greenpeace a évidemment tiré les premières conclusions de ces révélations. Sont soulevés quatre aspects considérés comme “particulièrement préoccupants”, à savoir la protection de l’environnement et la protection du climat rendues plus compliquées, le principe de précaution mis à mal et la voie privilégiée donnée aux industriels dans les négociations.
Avec la masse d’informations que recèlent les documents aujourd’hui publics, les analyses ne vont pas manquer dans les jours et semaines qui viennent. En voici une première fournée avec un article du Monde intitulé les 13 choses que nous apprend la fuite du tafia sur l’état des négociations.
* Greenpeace refuse de révéler la source de cette fuite et précise avoir corrigé des fautes d’orthographe qui auraient pu être laissées volontairement dans la version obtenue par l’ONG afin que l’origine de la fuite puisse être identifiable par les négociateurs.