C’est étrange que l’on s’aperçoive de la présence de cette caravane en ces jours de confinement. La colonisation du ciel, celui que l’on a à portée d’œil mais qui n’est pas non plus celui des avions, c’est un ciel plus profond, le ciel des étoiles et des constellations, le ciel de la Grande Ourse et de la voie lactée, produit ses externalités : elles sont faites de pollution lumineuse, d’une part, et de déchets, d’autre part, qui tournoieront des siècles durant et qui compliqueront les vols des autres engins qui voudraient s’aventurer vers le grand espace. Mais surtout elles délivrent ce message très clair : le ciel est à vendre et Elon Musk l’a acheté. Vous pensiez que la société des communs avançait pas à pas, mais un colon a décidé de prendre option déjà sur la 6G et de sortir sans payer. Dans cette autre vulgarité des temps, un petit bip-bip révélateur des impermanences en cours : une autre compagnie entendant elle aussi balancer des satellites à foison vient de faire faillite du fait, nous dit-on, du Coronavirus. Comment, pourquoi, nul ne le sait, mais le résultat c’est que ces 74 engins (sur le 648 prévus) seront rapidement abandonnés à leur sort et qu’ils seront eux aussi appelés à tournoyer dans la nuit et à être consumés un jour par le feu, laissant derrière eux ces carcasses flottantes qui signalent qu’une civilisation, un jour, est passée par là.

Et les boues dont je parlais hier, ce sont celles qui se sont échappées d’une entreprise sucrière française, pas très loin de la frontière belge, sur l’Escaut. Environ 100.000 tonnes de pulpe de betteraves qui ont rompu une digue avant d’aller happer tout ce qu’il y avait de vie dans le fleuve depuis Escaudoeuvres (là où se trouve l’usine Tereos à l’origine de ce lâchage) jusqu’à Audenaerde déjà (70km)… et nous ne sommes qu’aujourd’hui. Le bas bruit d’une digue rompue est tout de même impressionnant, parce que si nous ne sommes qu’aujourd’hui, c’est le 9 avril dernier que s’est passé ce lâchage. Il y aurait beaucoup à dire sur la valeur symbolique de cet événement, se produisant dans un temps de frontières fermées et asphyxiant, par excès de nutriments, tout ce qui constitue la biomasse vivante d’un cours d’eau, beaucoup à dire sur cette mort silencieuse progressant mètre par mètre, crime tenu secret par les autorités françaises. Il est vrai qu’on enterre en catimini ces temps-ci.

Le ciel comme l’eau sont deux choses que l’on nomme ordinairement comme communes. Je venais simplement vous dire que pendant que vous preniez votre température, la foire aux salauds qui préemptent l’avenir était restée ouverte et qu’elle accueille du monde.

Paul Hermant