2012, Eric Schmidt, PDG de Google déclare à l’agence Bloomberg à propos de l’évasion fiscale pratiquée par son groupe : « Ça s’appelle le capitalisme ! »
IX-1 De sommes gigantesques pour la seule Belgique à des montants inimaginables pour tous les autres pays.
Quant au seuil déclaratif d’un total de 100.000 euros par an, il mériterait évidemment d’être supprimé, sauf à considérer que ce qui est blanchiment éventuel à 100.000 euros ne l’est plus à 30.000 euros.
La loi belge permet d’appréhender cette question clé des paiements effectués par des entreprises dans des paradis fiscaux. Il n’existe pas d’autres pays ayant promulgué une telle loi, d’après ce que nous dit la Cour des comptes. Son application s’est révélée désastreuse.
Mais ce désastre a néanmoins permis d’en mettre un autre en évidence : celui de l’immensité des règlements effectués par des entreprises belges vers des paradis fiscaux,
30 au demeurant, qui ne figurent pourtant pas parmi les plus importants de la planète.
On a peine à imaginer ce que ces flux financiers déjà vertigineux deviendraient, pour la seule Belgique, si l’obligation déclarative concernait non seulement les entreprises mais aussi les personnes physiques et tous les paradis fiscaux, en tous les cas les plus importants.
Le vertige nous saisit si l’on se met à penser ce que ces sommes faramineuses deviendraient si tous les pays de l’Union européenne connaissaient des mêmes règles existant en Belgique
Quant au seuil déclaratif d’un total de 100.000 euros par an, tous règlements confondus, il mériterait évidemment d’être supprimé, sauf à considérer que ce qui est blanchiment éventuel à 100.000 euros ne l’est plus à 30.000 euros.
Le vertige nous saisit si l’on se met à penser ce que ces sommes faramineuses deviendraient si tous les pays de l’Union européenne (UE) connaissaient des mêmes règles existant en Belgique, dans les conditions d’extension citées plus avant ; la Belgique ne représentant en effet que 3,5% du Produit Intérieur Brut de l’ensemble de l’Union européenne ! Et l’on ne parle pas là des pays hors UE !
IX-2 La bonne gouvernance internationale ! Respect pour quelques-uns, irrespect pour tous les autres.
Ces paradis fiscaux et ce qu’ils engendrent comme conséquences mortifères pour l’immense majorité des habitants de la planète et pour la planète elle-même
Tout cela se passe sous nos yeux et ceux de nos gouvernants qui ne cessent de nous dire que la lutte contre l’évasion fiscale est pour eux une préoccupation de tous les instants. Mais lorsque les esprits se lèvent contre ces paradis fiscaux et ce qu’ils engendrent comme conséquences mortifères pour l’immense majorité des habitants de la planète et pour la planète elle-même, alors les rappels au dogme sont immédiats et cinglants.
Tout ceci participe de « la bonne gouvernance internationale » comme le rappelait doctement Monsieur Pierre Moscovici, alors Commissaire européen aux Affaires Economiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière, devenu depuis Premier Président de la Cour des comptes de France ! La France pourra donc compter sur lui pour veiller au respect de la bonne gouvernance internationale qui pose comme postulat que l’Union européenne ne compte aucun paradis fiscal en son sein, comme il n’en existe pas non plus aux Etats-Unis qui abritent pourtant les plus importants et le plus opaques de la planète. C’est toujours au nom de cette bonne gouvernance internationale, vraisemblablement, que les plus grands organisateurs de l’évasion fiscale, les fameux Big Four, patronnent des chaires de droit fiscal dans les Universités, en Belgique comme ailleurs.
Le respect de cette bonne gouvernance internationale a pour conséquence le non-respect de tous les autres et notamment des contribuables captifs
Le respect de cette bonne gouvernance internationale au bénéfice des puissants -personnes morales et personnes physiques- a pour conséquence le non-respect de tous les autres et notamment des contribuables captifs, dépourvus de « l’agilité » de cette extrême minorité- parmi laquelle nombreux sont ceux qui n’ont eu qu’à se donner la peine de naître
[1] – qui lui permet d’échapper à ce qui s’impose à l’extrême majorité. Les prêcheurs de cette bonne gouvernance internationale ne s’embarrassent pas de considérations éthiques lorsqu’il s’agit d’imposer, quoi qu’il en coûte, leur idéologie. Eux qui prônent à tout bout de champ la transparence se gardent bien d’en faire montre lorsqu’il s’agit de négocier en catimini la sortie de pays
[2], qui ont leurs faveurs, des listes de paradis fiscaux.
IX-3 Ce qui attend les victimes de l’irrespect et l’apartheid fiscal qui en découle.
Les victimes de l’irrespect vont être sommées par les gourous de la bonne gouvernance internationale de choisir entre la peste et le choléra
Déjà soumis à la vulgate d’idéologues déguisés en pseudo-économistes détenteurs de la raison et de la vérité quand ils ne prennent pas les habits du prestidigitateur ou de l’anesthésiste pour mieux les tromper et les endormir, les victimes de l’irrespect vont être sommées par les gourous de la bonne gouvernance internationale de choisir entre la peste et le choléra.
La peste : vous trouvez que vous contribuez trop au financement des services publics et plus généralement de tout ce qui à trait au bien commun, on vous entend bien, on va donc diminuer vos impôts et vos cotisations sociales (tout ce qui est placé sous le vocable de prélèvements obligatoires).
Le choléra : on a accédé à votre demande, alors cessez de vous plaindre du service public et d’en demander plus ou nous serons contraints d’augmenter vos impôts.
Diminuer les recettes fiscales des Etats pour mieux justifier des diminutions drastiques des dépenses publiques permettant ainsi de livrer au secteur privé la fourniture de ces services publics.
Bref le discours habituel d’un véritable apartheid fiscal au nom d’une idéologie déguisée en outil de gestion. Les victimes doivent en effet réaliser que l’organisation de l’évasion fiscale ne constitue pas une fin en soi
. La véritable armée qui s’y livre a pour mission d’assurer –
avec la complicité des gouvernants- le succès d’une
véritable idéologie, consistant à diminuer les recettes fiscales des Etats pour mieux justifier des diminutions drastiques des dépenses publiques permettant ainsi de livrer au secteur privé la fourniture de ces services publics. Mise en œuvre aux Etats-Unis dans les années Reagan quand les fortes baisses d’impôts ont servi de justification à de draconiennes baisses de dépenses publiques, elle a valu à son théoricien le plus célèbre,
James McGill Buchanan, de se voir décerner le Prix Nobel d’économie en 1986.
« Starve the Beast » (« affamer la bête »), telle est l’expression qui définit cette idéologie. Autre distinction pour Buchanan :
Pinochet l’a invité au Chili en 1980 pour participer à l’écriture d’une nouvelle Constitution (pour Buchanan, il fallait interdire les déficits budgétaires dans les constitutions, tiens tiens il ne faut pas nécessairement s’appeler Pinochet pour songer à graver dans le marbre ce qui ne peut pas l’être). Pour les initiés, précisons qu’il a aussi été pendant plusieurs années
Président de la Société du Mont-Pèlerin, association d’économistes libéraux dont Friedrich Hayek a été le fondateur.
Un savant dosage manipulé avec ce qu’i faut d’enfumage communicant pour atteindre l’objectif de privatiser au maximum les services publics.
Les victimes de cette bonne gouvernance internationale vont donc se voir imposer des hausses d’impôts indirects au premier rang desquels la Tva dont l’augmentation au cours des décennies précédentes est sidérante dans la plupart des pays, bien qu’il s’agisse de l’impôt le plus injuste. Il faudra bien compenser évidemment la baisse d’impôts directs tels que l’impôt société dont on voit déjà la baisse constante qui va s’amplifier encore avec la mise en place du système de « taxation universelle » des multinationales, promu par l’OCDE, si celui-ci finit par voir le jour. Et pour leur donner un brin de bol d’air, on leur baissera un peu leurs propres cotisations sociales en prenant soin, évidemment, d’omettre de leur dire qu’il s’agit d’une amputation de leurs revenus futurs. Bref un savant dosage manipulé avec ce qu’i faut d’enfumage communicant pour atteindre l’objectif de privatiser au maximum les services publics.
IX-4 Et qui est déjà en cours.
Ce qui s’est récemment passé en France illustre parfaitement ce qui peut se passer ailleurs et ce qui va se perpétuer.
Ce qui s’est récemment passé en France, où le néolibéralisme n’a pas encore atteint les ravages qu’il cause ailleurs même si son Président Emmanuel Macron fait tout pour rattraper ce qu’il considère être un retard, en faisant preuve d’un zélotisme à la hauteur de ce qu’attendent de lui les puissants,
illustre parfaitement ce qui peut se passer ailleurs et ce qui va se perpétuer.
Les finances publiques ont été ainsi soumises au régime sec avec les effets dévastateurs dont les plus spectaculaires sont l’effondrement de l’Hôpital public et de l’Education Nationale qui ne peuvent plus faire face
Le règne Macron, premier quinquennat, a vu nombre d’impôts supprimés ou réduits : baisse de l’impôt sur les revenus du capital, réforme de l’impôt sur la fortune transformé en impôt sur la fortune immobilière, baisse des impôts de production, baisse de l’impôt sur les sociétés, suppression de la taxe d’habitation, baisse de l’impôt sur le revenu, suppression de la redevance individuelle, baisse des cotisations sociales chômage et maladie, tout ceci ayant pour conséquence de diminuer les recettes fiscales et sociales
[3] de l’Etat de près de 10 milliards par an, soit 60 milliards depuis que « l’homme à la pensée complexe ? » règne. En même temps, comme dit souvent l’ex-banquier d’affaires qui comparait son métier à celui de prostitué, la décision de promouvoir la « flat tax » ou « prélèvement forfaitaire unique » a engendré une explosion ainsi qu’une concentration des dividendes. Les investissements dont on nous disait qu’ils seraient conséquemment au rendez-vous ne l’ont pas été et le Comité d’évaluation des réformes fiscales en place depuis 2018 pour évaluer la « profonde rénovation » de la fiscalité du capital est bien en peine de conclure à quelque effet bénéfique que ce soit et Mr Macron s’il en était le rapporteur n’aurait pas d’autre solution que d’adapter sa vulgaire formule à la situation rencontrée en disant que « tout ceci lui en a touché une, mais ne fait pas bouger l’autre » pour immédiatement ponctuer ces propos empruntés à Jacques Chirac par un « J’assume » retentissant qui caractérise ces apôtres qui travestissent la réaction sous le mot de réforme ; la seule certitude étant que les finances publiques ont été ainsi soumises au régime sec avec les effets dévastateurs dont les plus spectaculaires sont l’effondrement de l’Hôpital public et de l’Education Nationale qui ne peuvent plus faire face.
IX-5 Faire que la bonne gouvernance internationale soit au bénéfice de l’extrême majorité
Ils ont subverti les administrations régionales, nationales et supranationales, fiscales notamment. Ils les perfusent idéologiquement.
Cela passe d’abord par une prise de conscience permettant de cerner à quel point le rapport de forces entre les Etats et les Organisateurs de l’Evasion Fiscale (OEF) est à l’avantage extrême de ces derniers. Pour mémoire, OEF signifie aussi Opération Enduring Freedom (OEF), nom officiel utilisé par le gouvernement américain
[4] pour désigner la guerre mondiale contre le terrorisme.
Le rapport de forces entre les Etats et les Organisateurs de l’Evasion Fiscale est à l’avantage extrême de ces derniers.
De par les ravages qu’ils causent, comme le terrorisme mais avec d’autre effets, la lutte contre les OEF (Organisateurs de l’Evasion Fiscale) devrait être une priorité afin qu’ils cessent de passer sous les radars, et pour ce faire leur puissance phénoménale
[5] doit être mesurée de manière continue ce qui est beaucoup trop insuffisamment fait jusqu’à présent. On le sait, on l’a dit, ils conseillent à prix d’or les gouvernements régionaux et nationaux, les institutions supranationales telles que la Commission européenne et bien d’autres et à la fin c’est le citoyen lambda qui les paie ! Ils ont subverti les administrations régionales, nationales et supranationales, fiscales notamment. Ils les perfusent idéologiquement.
La connaissance des commandes qui leur sont passées (à eux et à tous les autres grands cabinets qui œuvrent pour atteindre les mêmes objectifs) est le minimum minimorum dû par tous les gouvernants à leurs concitoyens. Et viendra alors nécessairement la décision, imposée par ceux qui savent enfin, de mettre un terme à la collaboration avec ceux qui ruinent les Etats.
IX-6 Toujours une guerre d’avance et d’innombrables moyens de contourner ce qui pourrait être considéré comme une avancée au plan de la lutte contre l’évasion fiscale.
Les gouvernants se sont livrés entre leurs mains et ils doivent se marrer franchement, les OEF ou Fiscotrafiquants, quand ils voient combien ils sont parvenus à mettre hors d’état de nuire les Administrations qui devraient disposer des moyens de les combattre.
Il enlève la plupart des effets à une loi qui pouvait donner de l’espoir.
L’exemple des conventions de prévention de la double imposition (dont on peine à croire que les OEF n’y jouent pas un rôle même éloigné), qui pour la plupart si ce n’est pas pour toutes incluent une clause de non-discrimination, illustre parfaitement la capacité qu’ont les gouvernants, convertis à l’idéologie dominante et dociles exécutants de leurs maîtres, à vous retirer de la main droite, vous qui soutenez le combat contre l’évasion fiscale ce que vous pensez avoir obtenu de leur main gauche via le vote, par exemple, de cette loi promulguée fin 2009 pour la déclaration des paiements des entreprises belges vers des paradis fiscaux. Vous ne le savez pas, mais certaines étaient là avant la mise en vigueur de la loi en question et d’autres ont été approuvées après.
Le résultat est le même, il enlève la plupart des effets à une loi qui pouvait donner de l’espoir.
Faire d’Abu Dhabi une sorte de paradis fiscal et réglementaire à l’intérieur d’un paradis fiscal.
Prenons l’exemple de la Convention de prévention de la double imposition, avec clause de non-discrimination- signée entre la Belgique et les Emirats arabes unis. Elle a été signée le 12 mars 2002 et pour le béotien qui vient de lire le rapport de la Cour des comptes (cf les chapitres précédents) son titre est particulièrement savoureux et n’engage pas ceux qui doivent l’approuver (Parlement Fédéral et Parlements Régionaux) à venir croiser le fer pour s’y opposer.
C’est en effet libellé ainsi : « Projet de loi portant assentiment à la Convention entre le Royaume de Belgique et les Emirats arabes unis tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, et au Protocole, signés à Washington le 30 septembre 1996 ». Et pour couronner le tout, c’est signé à l’époque par le Ministre des Affaires étrangères, Louis Michel. le Ministre des Finances, Didier Reynders. la Ministre adjointe au ministre des Affaires étrangères, Annemie Neyts-Uyttebroek.
Abu Dhabi n’est pas le seul à avoir créé en son sein une zone franche financière
Vous n’aviez vraisemblablement aucune idée, lecteur, de ce que pouvait bien être ADGM ? qui signifie Abu Dhabi Global Market. Normal, mais les OEV (Organisateurs de l’Evasion Fiscale ou Fiscotrafiquants) connaissent ça sur le bout des doigts. C’est beaucoup plus qu’un des 7 paradis fiscaux qui constituent la fédération des Emirats arabes anis, c’est une zone franche financière qui a été créée en 2013 dans le but de faire d’Abu Dhabi un centre financier et commercial mondial : une sorte de paradis fiscal et réglementaire à l’intérieur d’un paradis fiscal. Nous n’avons pas trouvé, pour notre part, de nouvelle convention (ou d’avenant) de prévention de double imposition suite à cet événement majeur de la création en 2013 de l’ADGM (s’il s’avérait qu’une nouvelle convention existe, nous ne manquerions pas de procéder à correctif). Nous notons cependant que la convention est signée avec les Emirats arabes unis en tant que Fédération mais pas avec chacun des Emirats qui la constituent. Nous notons aussi que le régime juridique, civil et commercial de l’ADGM est largement indépendant du régime juridique, civil et commercial qui prévaut non seulement dans chacun des Emirats arabes unis mais aussi de l’Emirat d’Abu Dhabi lui-même. Bref, entre le moment où la Convention de 2002 a été signée et 2013, date de création de l’ADGM, beaucoup de choses ont changé ! La lecture de la prose surabondante des Big Four sur les Centres de Trésorerie mondiaux et régionaux nous conduit à penser que Abu Dhabi n’est pas le seul à avoir créé en son sein une zone franche financière : tout évolue donc mais rien ne change, la convention est toujours là. Serait-ce outrecuidant de demander si un examen précis de l’ADGM a eu lieu au regard de la Convention signée en 2002 ?
Les Administrations Fiscales Nationales sont proprement et méthodiquement « déshabillées » alors que les effectifs des OEV croissent sans cesse
Le fait que les Emirats arabes unis aient fini, à ce jour, par disparaître des listes officielles de paradis fiscaux n’est pas la moindre… La bonne gouvernance internationale est passée par là ! En quelque sorte, la Belgique et d’autres ont été des précurseurs de cette bonne gouvernance-là en signant une telle convention alors que le Emirats arabes unis étaient pointés du doigt !
Comme quoi, l’impuissance volontaire n’empêche pas une forme d’activisme sournois que les OEV maîtrisent à la perfection. C’est d’autant plus facile pour eux que les Administrations Fiscales Nationales sont proprement et méthodiquement « déshabillées » alors que les effectifs des OEV croissent sans cesse et dépassent les 300.000 personnes de par le monde pour leur seule activité directe en matière fiscale (et pour les seuls Big Four).
Il n’y pas d’horizon pour ceux qui luttent contre l’évasion fiscale si leur combat n’est pas d’abord et avant tout mené sur le plan politique
Entre une pseudo-lutte contre l’évasion fiscale, les Centres de Trésorerie Mondiaux ou régionaux des multinationales, les administrations fiscales nationales dépeuplées, la véritable armée de consultants fiscaux internationaux et les conventions de prévention de la double imposition avec clause de non-discrimination, il n’y pas d’horizon pour ceux qui luttent contre l’évasion fiscale si leur combat n’est pas d’abord et avant tout mené sur le plan politique.
Sachez aussi que la bonne gouvernance internationale telle qu’elle existe à l’heure actuelle ne plaisante pas avec le respect des traités européens. Si jamais la liberté absolue de circulation des capitaux devait subir la moindre entrave, même la plus bénigne, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) serait là pour veiller au grain et condamner ce qui doit l’être.
IX-7 Le mépris pour la société civile ?
La société civile a un rôle à jouer pour contribuer significativement à la lutte contre l’évasion fiscale et à l’émergence d’une « bonne gouvernance internationale » qui soit radicalement autre que celle en vigueur.
IX-7-1 Les plaintes déontologiques
Plusieurs centaines d’associations et de personnes physiques se sont saisies des Dubaï Papers, versant belge, pour porter plaintes déontologiques
Sur le thème des organisateurs de l’évasion fiscale, plusieurs centaines d’associations et de personnes physiques se sont saisies des Dubaï Papers, versant belge, pour porter plaintes déontologiques, il y a près de 3 années, à l’encontre de 2 avocats fiscalistes auprès de l’Ordre des Avocats du Barreau francophone de Bruxelles et à l’encontre d’un expert-comptable auprès de l’ITAA (Institute for Tax Advisers & Accountants, anciennement IEC Institut des Experts-Comptables) .La démarche était originale , elle visait notamment à trouver une voie, celle de la déontologie, qui n’entraîne pas le mouvement associatif dans un long et coûteux procès au pénal.
Les instances ordinales de l’Ordre des Avocats n’ont pas rempli la mission d’autorégulation dont ils sont investis et il s’est d’abord agi pour elles de s’autoprotéger
Force est de constater à ce jour, pour les centaines de plaignants, que les instances ordinales de l’Ordre des Avocats n’ont pas rempli la mission d’autorégulation dont ils sont investis et qu’il s’est d’abord agi pour elles de s’autoprotéger. Plusieurs associations ont décidé, fin décembre 2021, de saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme, dernière issue possible dans leur quête ultime pour faire reconnaître leur intérêt à agir au plan déontologique. A ce jour, l’issue de ce recours n’est pas encore connue.
Pour ce qui concerne la plainte déontologique déposée auprès de l’IEC/ITAA, celle-ci a déclaré s’être saisie d’initiative et depuis février 2020, aucune nouvelle sur le fond n’a été livrée aux associations plaignantes.
Mettre en cause le système actuel des autorités ordinales se prononçant sur les règles déontologiques à propos de questions relatives à des affaires fiscales constitue pourtant une véritable et importante question méritant débat, notamment lorsqu’il s’agit de discuter de la possibilité de confier le traitement de plaintes déontologiques pour ces questions-là à un organisme indépendant.
IX-7-2 L’évasion fiscale aux droits de succession, cas de l’Affaire Verbruggen
Cela fait plus de 20 années que la Région Bruxelles Capitale est privée de près de 100 millions de droits de succession
Il s’agit d’une autre affaire au long cours puisque cela fait plus de 20 années que la Région de Bruxelles-Capitale est privée de près de 100 millions de droits de succession et que depuis près de 3 années, le média POUR.Press publie très régulièrement sur cette scandaleuse affaire qui n’est pas la seule en cours en Belgique
[6].
Tant pour les plaintes déontologiques que pour l’affaire Verbruggen, des communications ont été faites auprès du monde politique ainsi que quelques propositions destinées à faire évoluer le cadre législatif et réglementaire, sans réponse aucune alors qu’il s’agit pourtant de thèmes très importants qui ont des effets extrêmement néfastes pour la collectivité.
IX-7-3 Qu’en penser ?
La société civile n’est pas écoutée et il ne sert donc à rien de tenter d’œuvrer pour le bien commun ?
Que la société civile n’est pas écoutée et qu’il ne sert donc à rien de tenter d’œuvrer pour le bien commun ?
Dans le cas de l’affaire Verbruggen, suite à la décision de l’Administration du début d’année, c’est tout de même le contribuable qui finance maintenant les frais de l’expertise judiciaire destinée à liquider la succession. A ce titre, la société civile n’est-elle pas qualifiée pour être entendue par rapport à ce qu’elle tente d’alerter et recevoir une réponse autre que celle consistant à s’abriter derrière la séparation des pouvoirs ?
Le pouvoir économique et le secret des affaires qui y est souvent associé, sont-ils si puissants qu’il impose, là aussi, à ceux qui sont trop curieux , de rentrer dans le rang ?
Faut-il conclure que ce que vit la société civile en matière de lutte contre l’évasion fiscale est à rapprocher de ce que vivent les plus hauts magistrats en charge de combattre la criminalité financière ?
Le Procureur Général pointait le manque d’enquêteurs spécialisés en matière économique et financière et annonçait sa décision de limiter le nombre d’enquêtes traitées
Le Procureur Général Johan Delmulle pointait le 01 septembre 2021
[7] le manque d’enquêteurs spécialisés en matière économique et financière et annonçait sa décision de limiter le nombre d’enquêtes traitées par la police judiciaire fédérale et ponctuait la fin de sa déclaration de la manière suivante :
« il s’agit d’une histoire en chaîne dans laquelle, surtout le premier maillon (la police menant l’enquête) et le dernier maillon (la Cour d’Appel qui rend la justice) dans la chaîne pénale, doivent être fondamentalement renforcés, si la criminalité organisée économique, financière et fiscale doit vraiment être maîtrisée ».
« On peut proclamer que la corruption et la fraude fiscale sont des menaces graves pour l’Etat de droit, tout en privant la magistrature des capacités d’enquête nécessaires »
Il est un parmi de nombreux autres hauts magistrats qui ne cessent d’alerter les gouvernants sur les moyens dramatiquement calamiteux que ces derniers leur imposent, quelle que soit leur sensibilité politique de gauche comme de droite, voire très à droite. C’est ainsi que le magistrat Jean de Codt
[8], dans une tribune toute récente
[9] dont le thème
est « Notre Constitution n’est-elle, pas de plus en plus en porte-à-faux avec la réalité ? » écrit, entre autres, pour étayer sa démonstration consistant à répondre non à la question posée :
« Pourquoi la Constitution assure-t-elle que tous les pouvoirs émanent de la Nation et que seul l’exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué aux instances internationales ? Cela semblerait vouloir dire que l’Union européenne ne peut intervenir en dehors des compétences qui lui ont été formellement attribuées. Rien n’est moins vrai. L’élargissement furtif de la gouvernance économique européenne à des dimensions sociales et fiscales, le rapprochement des politiques nationales par l’échange de bonne pratiques, et l’utilisation des instruments financiers afin d’orienter les choix dans des domaines pourtant réservés à la souveraineté nationale, réduisent celles-ci au-delà de ce que la délégation constitutionnelle prévoit. Conserver des règles de droit qui ne correspondent plus à la réalité, mais qui la dissimulent derrière un joli paravent, c’est une manière de remplacer l’Etat de droit par l’Etat menteur. On peut par exemple et très subtilement proclamer que les juges sont indépendants, tout en les contraignant à gérer eux-mêmes, et sous tutelle, leur propre indigence. On peut proclamer que la corruption et la fraude fiscale sont des menaces graves pour l’Etat de droit, tout en privant la magistrature des capacités d’enquête nécessaires pour élucider cette délinquance. »
A l’image des magistrats en matière de lutte contre la délinquance financière, la société civile ne se heurte-t-elle pas dans ses multiples tentatives pour convaincre les gouvernants à ce double langage dont les magistrats sont victimes ? Le risque étant, en l’absence de vigilance suffisante, de jouer les idiots utiles ?
Entre « la stratégie de l’épuisement » menée par les autorités ordinales des professions du droit et du chiffre et celle du double langage ou de la langue de bois menées par les gouvernants, la société civile a pour seule solution d’être en situation d’extrême vigilance.
IX-8 Le moment d’imposer enfin une véritable taxation des transactions financières
Ces mêmes gouvernants s’obstinent, sous la pression du milieu financier, à ne pas avancer sur la question
Pour l’évasion fiscale comme pour la taxation des transactions financières, les enjeux sont considérables : des milliards de recettes fiscales évaporées pour l’une, des milliards de recettes fiscales avortées pour l’autre. Les organisateurs de l’évasion fiscale et leurs clients d’une part et les combattants de la taxation des transactions financières sont le plus souvent les mêmes
[10].
Alors que les recettes actuellement engendrées dans certains pays par la taxation des transactions financières sont lilliputiennes parce que tout a été fait par les gouvernants concernés pour vider de sa substance la philosophie même de cette taxation, il est tout à fait significatif que ces mêmes gouvernants s’obstinent, sous la pression du milieu financier, à ne pas avancer sur la question alors que la force symbolique de cette taxation, très populaire dans de nombreux pays, devrait leur assurer un large soutien : enfin une taxe s’appliquant à grande échelle, de manière supranationale, enfin une preuve concrète de la volonté de réformer le système financier, enfin une remise en cause par le pouvoir politique du dogme absolu de l’efficience des marchés. Au lieu de tout cela, les gouvernants et politiques de leur bord s’échinent à vider le plus possible de sa substance le projet pour n’en garder plus qu’une coquille évidée.
Les centaines de milliards de flux financiers entre la Belgique et des paradis fiscaux constituent une remarquable opportunité pour trouver de nouvelles recettes fiscales
Les centaines de milliards de flux financiers entre la Belgique et des paradis fiscaux, les milliards de milliards pour tous les autres pays de l’Union européenne constituent une remarquable opportunité pour trouver de nouvelles recettes fiscales. Et pour peu que ces règlements d’entreprises vers des paradis fiscaux fassent des allers et retours comme on nous l’explique doctement, l’opportunité est encore plus grande !
Mais l’application du dogme de l’absolue liberté de circulation des capitaux ne viendrait-il pas s’opposer, Cour de Justice de l’Union européenne à l’appui, à ce que requiert l’intérêt général ?
IX-9 La fin de l’abondance, la fin de l’insouciance, le début de la sobriété et la perpétuation de l’évasion fiscale.
« ..la fin de l’abondance…, la fin de celle des liquidités sans coûts et nous devrons en tirer les conséquences en termes de finances publiques… »
Alors qu’il s’agit maintenant pour les gouvernants de prêcher, pour reprendre les propos
[11] d’Emmanuel Macron tenus le 24 août 2022, la fin de l’abondance, la fin de l’insouciance (de qui parle-t-il ?) et le début de la sobriété, pas un mot sur l’évasion fiscale, mais dans les propos tenus une phrase non retenue dans les titres :
« ..la fin de l’abondance…, la fin de celle des liquidités sans coûts et nous devrons en tirer les conséquences en termes de finances publiques… » . C’est l’heure
« d’une grande bascule », «
d’un grand bouleversement » rajoute-t-il.
Pas d’autre choix donc, à les entendre, que de se soumettre à l’apartheid fiscal
Personne n’avait besoin qu’il le dise pour le croire puisque chacun le vit. En revanche, chacun pourrait lui faire observer qu’un oasis de stabilité existe et se développe alors que tout bascule : celui de l’évasion fiscale, de ses organisateurs et de ses clients. Il laisse entendre que le « quoi qu’il en coûte » du temps du Covid est révolu et qu’il va falloir régler la facture en terme de diminution de la dette publique sans dire que cette dernière serait moindre si l’évasion fiscale était réellement combattue. Ses collègues au pouvoir font de même. Tout cela participe vraisemblablement de la bonne gouvernance internationale telle que ces gens-là l’édictent en lois, règlements et normes et quiconque le contesterait appartiendrait évidemment au camp des démagogues, complices
« de la montée des régimes illibéraux » et
« du renforcement des régimes autoritaires ».
Pas d’autre choix donc, à les entendre, que de se soumettre à l’apartheid fiscal dans un cadre de sobriété volontaire.
IX-10 Et si les gouvernants déployaient à l’égard des organisateurs de l’évasion fiscale et de leurs clients évadés fiscaux les moyens qu’ils déploient pour contrôler les contribuables captifs ?
L’Etat ne se met pas niveau des Organisateurs de l’Evasion Fiscale pour attirer des troupes
On en revient au rapport de force totalement déséquilibré entre les Organisateurs de l’Evasion Fiscale et les Administrations fiscales nationales qui touche tant aux effectifs, qu’au niveau de rémunération ayant pour conséquence de créer des impossibilités de recrutements tant l’Etat ne se met pas niveau des Organisateurs de l’Evasion Fiscale pour attirer des troupes.
N’entend-t-on pas parfois de la part de certains fonctionnaires que se retrouver face à une armée d’avocats fiscalistes dans tel ou tel dossier est problématique ? Les transactions financières pénales ne finissent-elles pas par s’imposer face au cruel manque de moyens des Etats, avec là aussi de puissants avocats fiscalistes du côté de ceux qui ont tout intérêt à transiger ?
Il est d’une urgence absolue de non seulement rééquilibrer le rapport de force actuel mais aussi de l’inverser
Il est d’une urgence absolue de non seulement rééquilibrer le rapport de force actuel mais aussi de l’inverser, faute de quoi le financement des politiques publiques ne sera plus une préoccupation puisque ces dernières auront été privatisées au nom de la bonne gouvernance internationale.
Christian Savestre
Table des matières
Introduction – Si vous n’êtes pas à la table, c’est que vous êtes au menu
Chapitre 1 – Sommes vertigineuses, impuissance contagieuse, lutte contre l’évasion fiscale fallacieuse
Chapitre 2 – Après 12 années d’opacité, un rapport de la Cour des Comptes enfin publié
Chapitre 3 – Des déclarations officielles durement taclées par la Cour des comptes
Chapitre 4 – Incohérence législative, sanctions peu effectives, libre circulation des capitaux impérative
Chapitre 5 – Des constats effarants qui tombent comme à Gravelotte
Chapitre 6 – Les contrôles des déclarations sont improductifs, alors ne les contrôlons plus !
Chapitre 7 – Des trous noirs fiscaux à la place des paradis fiscaux et le tour est joué ?
Chapitre 8 – Voyage en ADGM (Abu Dhabi Global Market), à la rencontre des multinationales
Chapitre 9 – Conclusion. Deux poids, deux mesures
Annexe – PARADIS FISCAUX – Listes OCDE, Union Européenne (UE), Belgique vs Listes ONG et Listes Promoteurs évasion fiscale
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[1] Beaumarchais, la Mariage de Figaro
[2] Le Figaro, 18 janvier 2018, Eva Joly Eurodéputée et Vice-Présidente de la Commission d’enquête Panama Papers
[3] Les fameux prélèvements obligatoires sont passés, en pourcentage du PIB, de 45,1% en 2017 à 43,4% en 2022, soit quasiment ceux qu’ils étaient en 2012
[4] Le 7 octobre 2001, en réponse aux attentats du 11 septembre, le président George W. Bush a annoncé que les frappes aériennes visant Al-Qaida et les talibans avaient commencé en Afghanistan. L’opération Enduring Freedom fait principalement référence à la guerre en Afghanistan, mais elle était également associée à des opérations de lutte contre le terrorisme dans d’autres pays, comme OEF-Philippines et OEF-Trans Sahara
[5] http://bxl2.attac.be/grande-enquete-evasion-fiscale-qui-organise-qui-est-complice-pour-qui/
[6] Affaire Joassart, Affaire Vanhalst, Affaire de Spoelberch. Voir https://pour.press/laffaire-verbruggen-fait-elle-contagion-des-milliards-en-cavale-des-centaines-de-millions-de-droits-de-succession-eludes/
[7] L’Echo
[8] Ex-Président de la Cour de Cassation(fin de mandat le 01 avril 2019).Membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More
[9] La Libre du 14 septembre 2022
[10] Voir : https://pour.press/taxation-des-transactions-financieres/
[11] France Info 24 août 2022