L’ère post-Covid a été marquée par une réduction drastique des dépenses publiques consacrées aux consultants. Ce phénomène n’a pas seulement touché la France, où l’affaire « McKinsey-gate »concernant la campagne présidentielle de 2017 d’Emmanuel Macron a donné lieu à une enquête sénatoriale et à des coupes budgétaires.
Des débats publics, des enquêtes gouvernementales et de nouvelles lois ont vu le jour dans de nombreux pays, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne et en Afrique du Sud. L’Australie a été particulièrement active et a réalisé d’importantes économies sur les dépenses consacrées aux consultants et aux sous-traitants. Voici comment elle s’y est prise.
Près de 2 milliards d’euros d’économies
Pour comprendre pourquoi le recours aux consultants est devenu un sujet hautement politisé en Australie, il faut remonter au moins aux élections fédérales de 2018. Le gouvernement de coalition de droite s’était fixé pour objectif de réduire les dépenses publiques en supprimant des emplois dans le secteur public. L’opposition travailliste affirmait que cela entraînait un recours plus coûteux aux consultants.
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La controverse s’est poursuivie jusqu’aux élections fédérales de 2022, lorsqu’un gouvernement travailliste nouvellement élu s’est engagé à économiser 3 milliards de dollars australiens (environ 1,9 milliard d’euros) sur les consultants et le recours à la main-d’œuvre externe. Cette mesure a également été appliquée au niveau régional. Par exemple, l’État de Nouvelle-Galles du Suda annoncé des économies de plus de 55 % sur les honoraires des consultants pour l’exercice 2023-2024.
Le cas de l’Australie met en évidence quatre raisons principales de réduire les coûts de consultation et d’améliorer la gouvernance, raisons que l’on retrouve également dans d’autres pays.
- Des dépenses supérieures aux besoins
Tout d’abord, l’augmentation spectaculaire des dépenses publiques consacrées aux consultants a attiré l’attention. En Australie, elles ont presque triplé entre 1988-89 et 2016-17 (après ajustement pour tenir compte de l’inflation), puis ont encore triplé pour atteindre 3,2 milliards de dollars australiens pour les seuls services de conseil en gestion en 2022-23. On peut craindre que ces coûts soient bien supérieurs à ce que pourrait justifier une augmentation temporaire de la charge de travail ou le besoin d’une expertise technique très spécifique, même en tenant compte du cas exceptionnel de la Covid.
- Vidage des services publics
Deuxièmement, il y a la question connexe du vidage des services publics. Le recours accru à des consultants peut déclencher un cercle vicieux dans lequel le gouvernement perd ses compétences et devient ainsi encore plus dépendant des consultants. C’était l’argument central d’une récente critique formulée par des économistes dans un ouvrage intitulé The Big Con.
- Absence d’évaluation
Troisièmement, il y a des raisons de douter de l’efficacité et de l’efficience globales des interventions des consultants, en particulier en l’absence d’une évaluation appropriée par les clients des résultats des services fournis. Malgré les affirmations des consultants et de leurs clients payants selon lesquelles le conseil apporte une valeur ajoutée, il est souvent impossible de mesurer précisément cette valeur et, par conséquent, d’identifier qui mérite le crédit ou le blâme.
Au-delà de la comparaison des taux de rémunération, il est difficile de savoir si les options internes seraient plus efficaces que le recours à des consultants externes. Dans l’ensemble, les recherches fournissent une image très contrastée, certaines études montrant que le recours à des consultants externes est associé à une inefficacité accrue.
- Conflits d’intérêts importants
Enfin, la capacité des consultants à fournir des conseils indépendants a été largement critiquée à la suite d’une série de scandales. Cela s’explique en partie par les conflits d’intérêts des consultants qui travaillent à la fois pour des clients du secteur public et du secteur privé, conflits qui sont souvent non déclarés.
Cette préoccupation est devenue particulièrement importante en Australie avec le scandale fiscal PricewaterhouseCoopers (PwC). Le Trésor avait engagé PwC, l’un des « Big 4 » des cabinets de conseil, pour l’aider à élaborer une législation visant à limiter l’évasion fiscale des multinationales. Certains associés de PwC ont ensuite partagé ces informations avec leurs clients du secteur privé afin de les aider à se préparer à contourner les nouvelles lois. Ces cas sont liés à des préoccupations plus générales concernant le manque de transparence et de professionnalisme dans le domaine du conseil et l’échec de l’autorégulation, tous deux liés à un système de rémunération dans ce secteur qui privilégie la génération de revenus plutôt que l’éthique et l’intérêt public au sens large.
Recommandations de l’enquête sénatoriale
Avec une dépendance à l’égard du conseil proportionnellement plus importante que celle de tout autre pays et la diminution de ses services publics qui en résulte, l‘Australie était confrontée à un défiet à une pression considérables pour réduire ses coûts. Mais en raison de la diminution de la fonction publique, ces réductions risquaient de la rendre incapable de remplir ses missions.
Une récente enquête sénatoriale sur la questiona formulé des recommandations sur la manière d’améliorer le processus de passation des marchés, la publication d’informations sur les contrats de consultants et un nouveau cadre réglementaire pour le secteur du conseil. Elle a également recommandé que tout contrat de conseil externe comprenne une approche visant à transférer les connaissances à la fonction publique australienne.
Toutefois, ces mesures n’auraient pas suffi à reconstruire la capacité de la fonction publique à compenser les réductions importantes de ses dépenses en matière de conseil et de sous-traitance. Pour résoudre ce problème, le gouvernement australien a entamé une vaste restructuration de la fonction publique.
Des milliers de postes réaffectés
Depuis 2022, Canberra a réaffecté 8 700 postesanciennement occupés par des consultants et des travailleurs externes à des fonctionnaires dans tous les principaux organismes de la fonction publique. Cette mesure sera soutenue par la stratégie de la Commission de la fonction publique australienne visant à développer une main-d’œuvre flexible et préparée aux défis auxquels la fonction publique sera confrontée, notamment celui de la numérisation, un domaine qui a été trop dépendant des consultants.
Une autre initiative intéressante en Nouvelle-Galles du Sudest la création d’une unité qui aura pour objectif de réorienter les agences gouvernementales vers l’expertise interne plutôt que vers les consultants. En effet, le recours à des unités de conseil internes est courant dans le secteur privé. Le gouvernement entreprendra également une planification à long terme des capacités et des compétences, notamment pour identifier les compétences essentielles de la fonction publique et combler les lacunes en matière de compétences.
Cela apportera-t-il des résultats durables ?
La solution de l’Australie consiste donc en un engagement fort en faveur de la refonte de la fonction publique, avec une approche flexible et planifiée de la gestion de ses ressources humaines. Il s’agit là d’un élément essentiel pour aller de l’avant si l’on veut maintenir les réductions budgétaires dans le domaine du conseil. Il est toutefois trop tôt pour juger si le défi consistant à redéfinir les effectifs de la fonction publique et à les rendre suffisamment flexibles sera relevé.
Il convient également de garder à l’esprit que cet objectif à long terme est soumis à des changements politiques. Le chef de l’opposition actuel ayant promis une réduction de 10 000 fonctionnairessi sa coalition est élue plus tard cette année, les projets du Parti travailliste concernant la fonction publique pourraient être de courte durée.
En effet, en Australie comme ailleurs, il existe une longue histoire d’efforts gouvernementaux éphémères et infructueuxpour limiter le recours au conseil externe. Cela s’explique en partie par l’incapacité de la fonction publique à s’adapter au changement, mais aussi par le fait que les cabinets de conseil savent convaincre les dirigeants – politiciens et hauts fonctionnaires – qu’ils peuvent résoudre leurs problèmes (et leur laisser tout le mérite).
France, et University of Technology, Sidney, Australie, et Andrew Sturdy, Université de Bristol, Royaume-Uni, 27 mars 2025
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Illustration : Parliament House à Canberra, siège du parlement australien. Thennicke — Travail personnel Photographie du Parliament House, Canberra, Australia, á heure bleu. Cette image est fabrique de quatre exposures. CC BY-SA 4.0 Fichier:Parliament House at dusk, Canberra ACT.jpg Date de création : 7 avril 2017 Téléversé : 25 octobre 2017 Emplacement : 35° 18′ 23,92″ S, 149° 7′ 32,86″ E