Climat, nucléaire, élections et langue de bois

Pour faire face à la pénurie d’électricité qu’on nous annonce dans les mois à venir, ce ne sont pas des réacteurs nucléaires en état de marche qui nous manquent, mais du courage politique. Le sujet est abordé uniquement sous les angles des responsabilités respectives du gouvernement ou d’ENGIE Electrabel et des conséquences de leurs incuries respectives sur le confort et le budget des citoyens. Ce manège à multiples rebondissements ne fait que jeter le trouble dans l’opinion publique en laissant penser que nous ne sommes pas prêts à sortir du nucléaire.

Et pourtant, on pourrait en déduire tout l’inverse : il est urgent de se libérer de notre dépendance à ce secteur, non seulement parce que tout indique que, pour des raisons de profit, sa gestion n’assure ni la sûreté des installations, ni la sécurité de l’approvisionnement mais aussi parce que tout montre qu’il s’agit d’un domaine de plus dans lequel la démocratie est prise en otage et manipulée par le pouvoir du monde industriel privé. Comment expliquer sans cela qu’en cette fin d’année 2018, nous soyons toujours dépendants du nucléaire au point de remettre en cause l’idée d’en sortir alors que la loi belge entérinant cette sortie a été promulguée le 31 janvier 2003 ?

La dérive vers l’illibéralisme

Dans les débats actuels, il y a deux grands absents : les déchets nucléaires et le changement climatique. Les coûts de gestion des déchets ne sont toujours pas sous contrôle, or il faut savoir qu’ils sont en grande partie incontrôlables puisque certains de ces rebuts resteront dangereusement radioactifs pour plusieurs centaines de milliers d’années. Cela implique que ce sont inévitablement les générations à venir qui paieront le prix caché de l’énergie nucléaire que nous consommons aujourd’hui, sans que nous puissions garantir qu’elles ne subissent aussi un jour d’autres conséquences, plus catastrophiques, de cet héritage empoisonné que nous leur léguons. Nous savons par ailleurs que la crise climatique est là, et qu’il nous reste un temps très restreint pour changer radicalement notre système de consommation, si l’on veut limiter ses ondes de choc : l’aggravation des phénomènes tels que les tempêtes, inondations et sécheresses… et le bouleversement des écosystèmes auront, et ont déjà, des conséquences sur les ressources alimentaires et les dangers sanitaires. Les effets géopolitiques du bouleversement climatique constituent le terreau de guerres qui accroissent les déplacements de population et font le lit de l’illibéralisme qui ne cesse de s’étendre sur la planète. Même les États héritiers des plus longues traditions démocratiques sont désormais soumis à cette gangrène.

L’ensemble de ces enjeux se rejoignent pour indiquer l’urgence d’un changement majeur. Il ne semble plus y avoir grand monde pour le nier. Mais qui aura le courage de proposer qu’au lieu de céder au chantage en cours, on le considère comme une opportunité d’entrer activement dans une nouvelle ère, celle d’une sobriété dont les bénéfices ne tomberaient pas dans l’escarcelle de grands groupes privés, mais contribueraient à maintenir une planète vivable pour tous?

En parlant de « crise énergétique », une nouvelle fois, on fait peur aux citoyens. Quand verra-t-on enfin des politiques avoir le courage de porter un autre message : celui de nous dire que le changement de système est inéluctable, et que plutôt qu’il ne se fasse plus tard, face à des catastrophes, cette « mini crise » énergétique est en réalité une opportunité de se libérer de notre dépendance énergétique ? On nous parle comme à des drogués que l’on supposerait incurables.

La « pénurie » annoncée pour novembre serait peut-être l’occasion de découvrir et de faire savoir que ce n’est pas vrai. Six réacteurs nucléaires sur sept à l’arrêt en novembre en Belgique, c’est selon les calculs du gestionnaire du réseau de transport d’électricité Elia un manque de 1.000 MW de capacité pour assurer l’approvisionnement énergétique du pays.

Et si on essayait la sobriété énergétique ?

1.000.000.000W/11.376.070 Belges = 88W par personne. Cela signifie que cette « crise » n’en serait pas une si chaque Belge parvenait à « se priver » de 88W 24h/24 pendant un mois. Quand on sait qu’en mode veille, une télévision ou une box internet peuvent consommer jusqu’à 20W et que nos maisons sont remplies d’appareils équipés de cette fonction qui absorbe une puissance continue (24h/24), on peut vraiment se demander ce qui empêcherait de lancer une campagne de désintoxication énergétique dont les effets pourraient être mesurés rapidement. La consommation d’énergie d’une veille peut-être beaucoup plus importante que la consommation lorsque l’appareil est allumé : au final, en débranchant ces appareils quand on ne les utilise pas, on peut faire des économies d’énergie sans renoncer au moindre confort.

Dans un ménage, le cumul de ces veilles peut atteindre plus de 200kWh par an. Au prix moyen de 0,22€ le kWh, cela fait 44€ d’économies sur un an. « Peu de choses », en apparence, mais un gain plutôt qu’une dépense, et un premier pas pour sortir de l’emprise du secteur énergétique… Ce geste est le plus facile de tous. Il ne consiste qu’à reprendre le contrôle de notre consommation en refusant d’utiliser ce qui nous a été imposé: des appareils qui consomment même quand on ne les utilise pas ! C’est donc un petit geste qui peut avoir une haute portée symbolique : il ne tient qu’à nous d’en faire un acte de désobéissance civile par lequel nous pourrions mettre en cause les pouvoirs qui nous immobilisent, à l’heure où tout indique que les changements sont urgents.

Les petits gestes individuels ne sauraient à eux seuls changer le système mais si nous parvenions à les réaliser massivement, nous pourrions démontrer à ceux qui nous dirigent que nous sommes prêts au changement, que celui-ci se fera avec l’aide des citoyens, mais que la somme des petits éco-gestes ne pourrait nous sauver sans changement profond des politiques menées au sommet. Nous pourrions exprimer au travers de ces gestes notre impatience de retrouver une réelle indépendance face aux lobbies, pour mettre en place un modèle de société soutenable et juste.

Dans le droit fil de cette action, ce mouvement citoyen pourrait revendiquer des mécanismes contraignants pour que les gros consommateurs fassent aussi des efforts et que, s’ils ont les moyens de se moquer de les faire, l’argent généré par leurs consommations soit redistribué afin que les plus pauvres ne subissent pas plus que les autres les effets du changement climatique.

Ce mouvement de désobéissance civile énergétique pourrait rappeler aussi, par exemple, que l’éclairage de nuit qui fait de la Belgique la championne du monde de la pollution lumineuse est moins une question de sécurité que de gros sous : « il profite directement aux fournisseurs et distributeurs d’énergie, ainsi qu’à l’État belge. Les bénéfices réalisés par les différents distributeurs d’énergie sont redistribués sous forme de jetons de présence aux administrateurs communaux… »

Climat, nucléaire, énergie sont bel et bien des enjeux politiques que l’on devrait retrouver à tous les niveaux électoraux. Or pour l’instant, en scrutant la scène politique on ne peut que penser à cette célèbre réplique que Charles Perrault glisse dans la bouche d’Anne, la sœur de la femme de Barbe bleue qui lui demande si elle « ne voit rien venir »: « Je ne vois que le soleil qui poudroie »…

Le 6 octobre prochain aura lieu la seconde grande mobilisation pour le climat, devant le Parlement européen à Bruxelles. C’est le moment de faire savoir que le choix qui s’offre à nous n’est pas « La bougie ou le nucléaire », mais éclairer le futur ou l’éteindre.

Isabelle Masson-Loodts


Credit image d’illustration: Plonk & Replonk Éditeurs, déclarés d’inutilité publique depuis 1997.
Un collectif de créateurs et d’éditeur à l’univers complètement déjanté.
Nous vous conseillons vivement d’aller y jeter un coup d’oeil.