L’échec du néolibéralisme

L’héritage de M. Thatcher et R. Reagan est toujours bien présent dans les politiques économiques d’aujourd’hui. Pourtant, l’expérience montre l’échec des principes du néolibéralisme.

 Il n’y a pas de définition précise de ce que recouvre le « néolibéralisme » mais si le terme a connu le succès c’est parce qu’il sert de dénominateur commun pour un certain type de politiques socio-économiques. Ces politiques ont émergé dans les années 80, dans la foulée des difficultés des années 70, et dans un contexte de chute du communisme. Aujourd’hui, l’influence du néolibéralisme continue d’être de première importance. Pourtant, l’analyse est sévère quant à ses effets sur l’économie et le bien-être. Avec le bénéfice de l’expérience de plus de trois décennies, passons en revue les principaux axes d’une politique néolibérale type.

Un premier axe est celui de la modération salariale. De l’après-guerre au début des années 70, les salaires ont augmenté au même rythme que la productivité, ce qui a permis à la demande d’évoluer de concert avec la production. Ensuite, les salaires ont largement décroché. La part de la valeur ajoutée revenant aux salaires a été historiquement de l’ordre de 70%. Aux États-Unis, cette part est tombée à 64% en 2006 et même à 57% en 2016. Même chose en Europe. Ainsi, en Allemagne, la part des salaires a diminué de 65% à 55%. La modération salariale était, pour l’approche néolibérale, le prix à payer pour stimuler la croissance et éliminer le chômage mais le résultat obtenu fut loin du compte. Puisque la demande a souffert de cette modération, les entreprises ont comprimé les investissements. Faute de trouver des emprunteurs locaux, les banques allemandes, françaises ou belges n’ont pas trouvé d’autres moyens pour rentabiliser les fonds qui leur étaient confiés que d’investir dans les subprimes américains et les crédits faciles aux pays du sud de la zone euro, avec les résultats que l’on sait.

Un deuxième axe est celui de la diminution des impôts, en particulier sur les revenus élevés. Ici, la proposition néolibérale est qu’une taxation allégée va stimuler l’initiative, l’investissement et l’activité économique. La richesse qui va en résulter va ensuite « ruisseler » et in fine bénéficier à l’ensemble de la population. Les faits ont invalidé ce scénario du ruissellement : l’investissement n’a pas été dynamisé, la croissance n’a pas été stimulée, la situation des finances publiques s’est dégradée et les inégalités ont fortement augmenté.

Un troisième axe est celui de la dérégulation de l’activité, notamment en matière financière. Nul besoin d’être long sur le sujet : la grande crise financière est là pour montrer l’étendue des dommages. La dérégulation a fait passer la taille relative du secteur financier aux États-Unis de 3% à 8% du PIB mais sans plus-value sociétale. Cela peut donc être vu comme un impôt de 5% sur le reste de l’économie. Autre dimension de la dérégulation promue par les néolibéraux, la libre circulation des capitaux entrave la capacité des pays à mener les politiques démocratiquement choisies par les populations nationales. Au-delà du secteur financier, la privatisation est un autre point à l’agenda néolibéral. Qu’il s’agisse des chemins de fer, des télécommunications, de la distribution électrique, de la poste, de l’eau et, dans certains pays, des hôpitaux ou des écoles, l’évaluation est loin d’être toujours concluante, avec un rapport qualité/prix qui s’est détérioré.

Un quatrième axe tient au rôle de l’État et à la protection sociale. Les néolibéraux estiment que l’économie fonctionnerait mieux avec un État au régime et des systèmes de protection sociale plus légers. Pour les néolibéraux, que la globalisation, la technologie et l’agenda néolibéral lui-même fassent des gagnants et des perdants n’appelle pas à plus de transferts des premiers vers les seconds. Or, le creusement des inégalités de revenu et de patrimoine a des conséquences dramatiques sur le plan social. Une étude menée par les professeurs Richard Wilkinson et Kate Pickett sur la base d’un large spectre de paramètres socio-économiques a montré que les pays les plus influencés par les idées néolibérales performent mal en termes de qualité de vie. L’ironie des choses est que les brexiteurs ont mis les réformes néolibérales et leurs conséquences fâcheuses sur le dos de l’Union européenne quand leur origine était britannique.

Un cinquième axe est l’austérité budgétaire. Dans une situation de crise économique, quand les consommateurs coupent dans leurs dépenses, la meilleure solution pour prévenir les effets délétères d’une contraction de l’activité est que l’Etat augmente ses dépenses, idéalement dans des domaines qui bénéficieront à long terme à l’économie ou au profit de ceux qui ont tendance à le moins épargner. Cette leçon des années 30 se heurte à l’idéologie néolibérale qui promeut l’austérité en période de basse conjoncture.

Si la croissance économique entre 2009 et 2017 avait été égale à celle observée antérieurement, le PIB par habitant de la Belgique serait plus élevé de l’ordre de 15 points de pourcentage, soit quelque 5.000€ par an. On ne peut attribuer avec certitude l’intégralité de ce manque à gagner aux politiques néolibérales mais cela indique l’ampleur de l’enjeu.

Il est urgent de répondre à l’échec des politiques d’inspiration néolibérale car les populations sont fatiguées de voir leur niveau de vie stagner, les inégalités se creuser et l’insécurité, notamment en matière d’emploi, régner. Ces échecs font le lit du populisme d’extrême-droite. Il est donc impératif de tourner le dos à ces politiques inspirées par l’idéologie néolibérale, au bénéfice de l’économie et de la qualité de vie de toute la population.

Bo Dahlqvist[1]


[1] Bo Dahlqvist, Suédois de Belgique, est l’auteur de Wealth of the people.