S’appuyant sur une iconographie de grande qualité – en nous montrant par exemple des images, trop rares, de Syngman Rhee[1] – le film donne la parole à une série d’experts parmi lesquels l’on se réjouit de trouver Bruce Cumings[2]. Faut-il reprocher au film le fait que la plupart des autres intervenants, pour la plupart sud-coréens ou américains – et même un « politique » toujours actif comme Victor Cha[3] et une « analyste » de la CIA (!), fassent pencher la balance en faveur de la vision traditionnelle que l’on nous inculque du conflit ? L’opacité du régime du Nord ne pouvait, il est vrai, guère permettre d’entendre des témoins de l’autre camp. Mis à part un militaire transfuge de l’Armée populaire… Exceptionnel, par contre, le témoignage d’une Sud-Coréenne âgée, éborgnée à l’époque par des tirs américains.
Rappelons brièvement que la Guerre de Corée (juin 1950-juillet 1953) a fait au moins 3 millions de morts et quelque 5 millions de déplacés. De tous les conflits, c’est elle qui aurait fait le plus de morts civils. Bien sûr, comme pour tout conflit armé, les chiffres des victimes varient selon les auteurs, mais André Collet[4] totalise, au niveau des pertes militaires, 1.827.000 personnes, auxquelles il faut ajouter « plus d’un million de victimes civiles ». L’historien britannique Eric J. Hobsbawm[5] parle de 3 à 4 millions de morts et l’historien américain David Horowitz[6] évoque « quelques 4 millions de victimes » …
Paul Delmotte
Professeur retraité de l’IHECS
[1] Syngman Rhee (pour Ri Syng-man) est la transcription américaine classique que l’on donne du 1er président (1948-1960) de la République de Corée (Corée du Sud), surnommé « le vieillard terrible » et dont le film rappelle l’anticommunisme rabique et « la soif de pouvoir démesuré »
[2] Historien américain, auteur e. a. de Origins of the Korean War, 2 volumes : 1981 et 1990
[3] Victor Cha, d’origine coréenne, membre de l’ancienne administration Bush et directeur aux Affaires asiatiques du Conseil national de sécurité (2004-2007), avait été désigné pour diriger l’ambassade étasunienne à Séoul avant que sa nomination ne soit annulée par D.Trump en février 2018. Cha avait en effet exprimé des doutes dans le Washington Post quant à l’efficacité d’une « frappe unique, préventive et dissuasive » – le « bloody nose » – envisagée par Trump contre la Corée du Nord… avant son « histoire d’amour » avec Kim Jong-un. La République de Corée s’était alors retrouvée sans ambassadeur de son principal allié et protecteur…
[4] Les guerres locales au XXe siècle, PUF, coll. Que sais-je, n° 3341, 1998
[5] L’Âge des extrêmes. Histoire du court XXe siècle, Complexe/Le Monde diplomatique, 1994
[6] De Yalta au Vietnam, tome I, Union générale d’éditions, coll. 10-18, 1973
[7] Odd Arne Westad, Histoire mondiale de la Guerre froide. 1890-1991, Perrin, 2017, p. 190
[8] Aux côtés des Américains combattaient des contingents de seize pays, quoique de façon souvent symbolique pour certains : les membres de l’OTAN (Belgique, Canada, EU, France, GB, Grèce, Pays-Bas, Turquie) plus l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, les Philippines, la Colombie et l’Éthiopie. Les contingents les plus importants furent ceux du Royaume-Uni, de la Turquie, des Philippines et de la Thaïlande, mais presque 90% des troupes étaient américaines (Westad, op. cit ., p.188). 700 volontaires belges et luxembourgeois combattirent en Corée
[9] Dont 33.665 en action
[10] Wetstad, op. cit. p. 169
[11] Le 38e parallèle ne représentait au départ qu’une ligne temporaire, fixée à Yalta, délimitant les zones d’occupation soviétique et américaine, censée disparaître après la guerre. URSS et États-Unis avaient en effet convenu lors de la Conférence interalliée du Caire (1943) que la péninsule devait restée unifiée
[12] La péninsule passa sous contrôle japonais en 1895 avant d’être annexée à l’Empire du Soleil Levant en 1910
[13] 200.000 Coréennes astreintes à devenir les esclaves sexuelles de l’armée japonaise. Cumings rappelle que, pendant la guerre de Corée, l’armée sud-coréenne établit un système similaire «employant » des femmes raflées au Nord …
[14] Hirofumi HAYASHI, professeur à l’université japonaise Kantô-gakuin, in Tokyo face à ses crimes, in Manière de Voir, n°82, août-septembre 2005
[15] Horowitz rappelle qu’en juin 1950, trois émissaires du Nord envoyés à Séoul pour discuter de la réunification disparurent, « probablement fusillés » (De Yalta au Vietnam, tome I, Union générale d’éditions, coll. 10-18, 1973)
[16] Yechon fut vidée de « tous les civils », Sunchon fut évacuée manu militari à 90% et Masan vidée de dizaines de milliers d’habitants … (B. Cumings, The Origins of Korea War, 2010, p. 18)
[17] De Yalta au Vietnam…
[18] Orthographié actuellement Jiang Jieshi. Ex-président de la Chine nationaliste du parti Guomindang, vaincu par les communistes chinois à l’issue de la guerre civile (1949), il se replia avec ses troupes sur Taïwan
[19] Le 30 décembre 1951, Mac Arthur proposa de reconnaître « l’état de guerre avec la Chine, d’établir le blocus des côtes chinoises, de détruire les infrastructures industrielles et d’utiliser les renforts proposés par Chiang Kaï-Shek » (Charles Zorgbibe, Histoire des relations internationales. 1945-1962, Hachette, 1995, p. 181)
[20] A.O. Westad, op. cit., p.185
[21] L’on connaît la phrase célèbre du président au sujet du général : « je l’ai suspendu pour non-respect de l’autorité présidentielle, pas parce que c’est un fils de p… à la con, même si c’en est un, mais, pour un général, ça, ce n’est pas enfreindre la loi. Si ça l’était, 50 à 75% d’entre eux seraient derrière les barreaux » …
[22] Inversement, au moment de s’engager en Corée, Truman craignait que l’URSS n’en profite pour menacer l’Europe…
[23] A.O. Westad, op. cit., p.177
[24] Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères
[25] Cité par Michel Winock in Le temps de la guerre froide, Le Seuil, 1994, pp.391-404
[26] A.O. Westad, op. cit., p.183
[27] A.O. Westad, op. cit., p.174
[28] L’abcès coréen, Entre-les-Lignes, 17 avril 2017
[29] Selon l’ex-ministre sud-coréen de l’Unification, Jeong Se-hyun, in Le Monde diplomatique, janvier 2016 – Ce qui n’empêchera pas son fils et successeur, Kim Jong-il, (le père de Kim Jong-un) de réitérer en 2000 cette proposition de fédération au président sud-coréen Kim Dae-jung
[30] Signé en octobre 1994, cet accord annonçait une restructuration du programme nucléaire nord-coréen afin d’empêcher Pyongyang de développer un arsenal atomique. Ceci en échange d’une assistance économique et d’une reconnaissance politique par Washington de la RPDC qui s’engageait à rester membre du TNP
[31] Notons qu’il avait fallu attendre octobre 1997 pour que Kim Jong-il soit officiellement nommé Secrétaire du Parti des travailleurs[31], puis septembre 1998 pour qu’il accède à la tête de l’État
[32] Le MTCR limite la portée des missiles à 290 km
[33] Manière de Voir n°82, août-septembre 2005
[34] En 2007, la CIA reconnaîtra « ne pas être certaine » que ce programme ait été opérationnel (Le Monde, 22 .12.10)
[35] Le Monde, 04-05.01.04
[36] Nanfang Zhoumo/Courrier international, 2-8.12.10 – Selon Le Monde (7.07.11), « la famine de la seconde moitié des années 1990 a fait entre 600.000 et 1million de morts ». Le même Monde (22 et 24.12.11) évoque « plus de 600.000 morts» (4% de la population)
[37] Rappelé par Bruce CUMMINGS dans Manière de voir, n°162, décembre 2018-janvier 2019
[38] Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Hachette, 1997