ENQUÊTE SUR UN SCANDALE AUX DROITS DE SUCCESSION
ÉVASION FISCALE – L’affaire Verbruggen – Épisode 4/11
L’ordre des avocats fait feu de tout bois pour couvrir au nom de la déontologie des infractions à sa propre déontologie
L’omerta qui aurait dû prévaloir est fracassée par 2 des 7 enfants héritiers
Le 12 décembre 2002, Luc Verbruggen le cadet des 7 enfants porte plainte au pénal avec constitution de partie civile, rejoint par son frère Jack. Les motifs sont les suivants : faux et usage de faux, abus de confiance, vol, etc. La plainte intervient quelques jours seulement après que le notaire Yves Deschamps ait déposé auprès de l’administration fiscale cette fameuse déclaration de succession de 117.000€. La stratégie mise en place par les planificateurs successoraux dès le décès du notaire ne peut être interrompue, sauf à anéantir la déclaration de succession qui vient d’être déposée. Quelques jours après le dépôt de plainte, le 19 décembre 2002, Emmanuel de Wilde d’Estmael organise à Maastricht (Pays-Bas) la donation des actions de deux des trois sociétés familiales au profit des 5 autres enfants unis dans cette évasion fiscale à l’héritage, à un prix défini par Marc Ghyoot, l’ami réviseur de l’héritière réviseur Chantal Verbruggen, c’est-à-dire grosso modo pour rien. Et comme il est nécessaire de bétonner au mieux ce qui pourrait être fragilisé, le notaire Yves Deschamps s’empresse le 23 janvier 2003 de contester s’être prononcé sur la propriété des titres auprès du notaire Éric Willems, lors de l’ouverture des coffres, le 11 octobre 2002, loués par le défunt, ouverture à laquelle assistaient précisément trois notaires : Yves Deschamps, Éric Willems (notaire des deux frères qui porteront plainte) et Liliane Verbruggen, héritière.
Le notaire Yves Deschamps ne s’arrête pas là et ne craint pas d’écrire que c’est Robert Verbruggen, le notaire défunt, qui gérait la fortune de son épouse couturière mère au foyer depuis toujours. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi écrire que cette mystérieuse holding financière immatriculée au Liechtenstein, la société anonyme Fidelec n’existe pas et n’a jamais existé !
La justice commence bien et découvre très rapidement le pot aux roses
L’instruction menée par la juge Silviana Verstreken commence sur les chapeaux de roues : l’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael est entendu dès le 2 mai 2003 et commence par un mensonge puisqu’il affirme n’être que l’avocat de la veuve du notaire alors qu’il est déjà devenu également l’avocat de 5 des 7 enfants héritiers soudés par l’omerta. Quelques jours après, le 13 mai 2003, la police judiciaire procède à trois perquisitions qui vont s’avérer fructueuses : l’une à l’étude du notaire Yves Deschamps, auteur de la déclaration de succession, l’autre à l’étude de la notaire héritière Liliane Verbruggen ainsi qu’à son domicile privé. Et là que découvrent les enquêteurs ? Les sulfureux conseils prodigués via trois courriers par l’avocat professeur tant à la notaire héritière qu’au notaire chargé de la liquidation de la succession ainsi que la prise de connaissance, sous la forme de notes manuscrites, de la fortune qu’il conviendra de dissimuler. La surprise est si grande et inattendue que l’avocat se voit dans l’obligation d’écrire à la juge d’instruction, toutes affaires cessantes, 3 jours après la perquisition chez les destinataires de ses avisés écrits. En quelques lignes, il n’en accumule pas moins de 32 contre-vérités selon les auteurs de la plainte à l’origine de la perquisition, lesquels n’apprendront que 3 mois plus tard l’existence de ces inédits écrits à l’occasion de l’accès au dossier prévu par la loi, ce qui permettra à Luc Verbruggen, l’initiateur de la plainte pénale de retranscrire alors ce qu’il n’aurait pu faire moins d’un an après, comme nous allons le voir plus loin. L’instruction avance tellement bien, notamment avec de nombreuses auditions, que la juge d’instruction ordonne 4 commissions rogatoires le 19 septembre 2003 : au Luxembourg, en Suisse, en Italie et en Allemagne.
Brutalement, comme si elle était effrayée par ses propres découvertes, l’instruction judiciaire se saborde.
Dès lors, la logique du sabordage fonctionne à plein : 3 des 4 commissions rogatoires ordonnées en septembre 2003 ne sont même pas entamées ; quant à celle qui avait été initiée au Luxembourg, le juge d’instruction local qui en a la charge écrit le 9 mai 2005 à son homologue Silviana Verstreken pour lui dire qu’il a pris bonne note que cette dernière lui a confirmé avoir clôturé son dossier en Belgique le 11 mars 2005 et lui retourne donc sa commission rogatoire internationale en l’état, sans autres devoirs. Il lui précise aussi qu’en ce qui concerne cette mystérieuse holding financière Fidelec, il ne dispose toujours pas des éléments nécessaires lui permettant de vérifier l’existence d’une infraction pénale. Le sabordage est parfait. Il a produit ses effets. La juge d’instruction rend son dossier d’instruction au Parquet en la personne du Procureur du Roi, Françoise Mahieu, qui requiert un non-lieu le 16 mai 2006. Le sabordage est si bien achevé qu’aucun débat au sujet du retrait des pièces ne sera permis malgré plusieurs demandes effectuées par celui qui est à l’origine de la plainte au pénal, Luc Verbruggen. Le procès en correctionnelle qui succédera à l’instruction pénale commencera donc ensuite sans ces éléments déterminants, subtilisés. Un véritable enterrement de première classe, à ceci près que l’un des plaignants, Luc Verbruggen, a retranscrit les pièces à conviction avant qu’elles ne soient retirées du dossier par la juge d’instruction, ce qui lui permettra de demander constamment qu’elles soient produites dans l’ensemble des procédures qui feront suite à l’instruction judiciaire malgré le sabordage exécuté par la juge d’instruction Silviana Verstreken.
Mais que s’est-il donc passé pendant cette instruction finalement sabordée ?
Rendons compte de qui a été divulgué à défaut de pouvoir le faire pour ce qui ne l’a jamais été. Il faut le rappeler : quand l’avocat Emmanuel de Wilde d’Estmael dispense ses conseils par écrit, les 19 novembre, 26 novembre et 2 décembre 2002, il n’est que le conseil de la veuve du notaire, à l’exclusion de tout autre membre de la famille. Il en est de même au jour de la saisie de ses fameux écrits le 13 mai 2003. Ce n’est en effet que le 16 mai 2003 seulement qu’il devient le conseil des 5 héritiers soudés par l’évasion successorale programmée et qu’à ce titre il est alors rejoint par un ténor du Barreau en la personne de Maître Robert De Baerdemaeker. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne peut accéder au dossier d’instruction comme l’atteste le courrier de la juge d’instruction du 5 mai 2003. Apprenant que ses courriers ont été saisis chez leurs destinataires, Emmanuel de Wilde d’Estmael s’adresse alors à la juge d’instruction le 11 juin 2003, en invoquant le secret professionnel et en demandant leur placement sous enveloppe scellée. Aucune réponse ne lui est fournie et le Bâtonnier en fonction du Barreau des avocats francophones de Bruxelles Jean Cruyplants demande alors à la juge d’instruction le 30 mars 2004 d’accéder à la demande de l’avocat spécialiste du droit successoral. Il faut noter que l’autre conseil des 5 héritiers Maître Robert De Baerdemaeker est alors associé du Bâtonnier en exercice Jean Cruyplants, au sein du cabinet Cruyplants-Eloy-Hupin. Le 20 avril 2004, la juge d’instruction Silviana Verstreken demande alors au Procureur du roi Françoise Mahieu le retour de son dossier qui se trouve chez le Procureur Jean-Pascal Thoreau depuis le 10 février 2004 (tiens donc, et pourquoi se trouve-t-il là ? Que les plus curieux se manifestent, ils auront la réponse !) .
Comment les juges du Tribunal correctionnel, venant à la suite de l’instruction pénale, vont-ils conclure ? Le poids de l’Ordre des avocats va-t-il toujours être aussi déterminant ? Nous le verrons dans le prochain épisode de notre enquête.
Christian Savestre
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